« Si tu ne fais pas la politique, c’est la politique qui va te faire », dit-on souvent sous nos cieux. Cette citation populaire colle avec la situation de certaines populations de localités situées dans la commune de Sabcé. A Loungo, une localité située à une dizaine de kilomètres de Sabcé, l’arrêt des travaux du pont de Yembskangho fait grincer les dents et inquiète plus d’un. Les différends politiques ont fini par toucher en plein cœur des populations d’une dizaine de localités enclavées par les eaux du prolongement du lac Bam, à Loungo. Pourquoi les travaux sont aux arrêts ? Quel est l’impact de cet arrêt sur les populations de la zone ? Qu’attendent les populations des autorités communales ? Pour répondre à ces questions, votre journal www.minute.bf a rencontré les populations directement impactées par l’arrêt des travaux le samedi 12 mars dernier. Reportage !
Le pont de la discorde, pourrait-on dire. La construction de ce pont à une dizaine de kilomètres de la ville de Sabcé permettra de désenclaver une dizaine de localités situées de l’autre côté de la rive. Mais depuis plus d’un mois maintenant, les travaux sont aux arrêts, alors que la saison des pluies profile à l’horizon. Les populations sont donc inquiètes car, à la première pluie, ce passage sera définitivement fermé. Impossible pour elles, pendant plusieurs mois, de se rendre encore à Sabcé pour les besoins de documents administratifs, pour des soins sanitaires ou tout autre besoin. « Dès la tombée des pluies au mois de juillet, il faudra attendre février ou mars pour pouvoir encore traverser ce radier », a confié Paul Sawadogo, ressortissant de Loungo, localité qui devrait abriter le pont.
YembsKango, « la forêt de la mare aux crocodiles », selon une traduction littérale de la langue locale mooré, est le prolongement du lac Bam, dans la commune de Sabcé. Ce cours d’eau enclave plusieurs localités de la commune surtout durant les saisons des pluies où les eaux montent au niveau de Yembskango, interrompant le trafic sur la route qui relie Sabcé à Singuinvoussé en passant par Noh et Loungo.
Vidéo – Les populations ne souhaitent que la réalisation du pont
Les populations étaient obligées de parcourir de grandes distances (plus de 30 kilomètres), avec des grands détours, pour rejoindre le département de Sabcé, alors qu’elles avaient la possibilité de parcourir quelque 10 kilomètres. Pour atténuer ce calvaire, dans les années 2000, les populations ont soumis leur doléance à Celestin Pierre Zoungrana, ancien député de la province et par ailleurs ancien maire de Sabcé. Il a donc mobilisé des moyens, « avec l’implication des populations dans les travaux », pour la construction d’un radier, afin de faciliter la circulation et réduire la distance entre les localités de la commune de Sabcé. Quelques années après, avec les travaux de la mine industrielle de Bissa Gold, une digue a été érigée par la mine afin de contenir l’eau du lac pour les travaux. Cette action a donc obligé l’eau à faire un repli, envahissant plusieurs espaces. Le radier qui aidait les populations ne tenait plus en saison des pluies. Les populations sont depuis lors obligées de parcourir encore de grandes distances pour des besoins à Sabcé, à cause de la crue au niveau du pont de YembsKango. Leur cauchemar a donc repris.
« Nous sommes obligés de faire un grand détour en passant par Kongoussi, avant de revenir à Sabcé », confirme Adama Rabo, ressortissant du village de Siguinvoussé, une localité située à l’autre rive du pied du lac. Toutes ces difficultés pour la traversée de ce cours d’eau ont donc poussé les populations à formuler une nouvelle doléance à la Commune de Sabcé alors dirigé par un conseil municipal présidé par l’ex maire Rigobert Nassa. Il s’agit de la construction d’un pont sur le bras du lac au niveau de Yembskango pour permettre aux populations de circuler librement, quelle que soit la saison. Le conseil municipal, selon les informations en possession de www.minute.bf, « a voté à l’unanimité » pour la construction de ce pont. Selon également nos informations, avec le fonds minier de développement dont bénéficie la commune de Sabcé, le maire Nassa a donc non seulement lancé, avec le quitus de son conseil municipal, les travaux de construction du pont, mais a aussi entrepris en plus la construction de la route qui relie Loungo à Siguinvoussé en passant par le marigot de Yembskango, dans le but de désenclaver toutes les localités (une douzaine de villages) situées sur la rive Est du bras du lac Bam.
Mais, pour la construction de ce pont, les ingénieurs ont trouvé nécessaire de racler le radier. Cette destruction du radier pour le remplacer par le pont a donc suscité une vive réaction chez l’ex maire, Pierre Zoungrana, qui « accuse son successeur de vouloir effacer toutes les traces de ses actions durant son passage à la tête de la commune ». C’est ainsi qu’une action a été intentée en justice contre le maire Nassa dans laquelle Zoungrana réclame des dommages et intérêts à hauteur de plus de 90 millions de FCFA, pour « dégradation volontaire de biens ». Depuis lors, les travaux des 9 ouvrages dont le pont « à problème » sont aux arrêts plongeant les populations dans le désarroi et causant une grande inquiétude à quel que trois mois de la saison des pluies.
Dédommagement ! Ce mot passe du reste difficilement auprès des populations de Loungo, de Siguinvoussé, Souriyala, etc. A l’origine, retrace Paul Sawadogo, ressortissant de Loungo, la construction de radier avait été possible grâce au soutien de l’ancien maire Pierre Zoungrana, mais aussi, avec l’implication de toutes les communautés qui ont ramassé le sable, le gravier, et fourni de la main-d’œuvre. « Si Pierre demande un dédommagement, va-t-il nous dédommager également ? » En outre, reconnaît Paul Sawadogo, M. Zoungrana a fait ce qu’il pouvait en aidant à la construction du « radier…qui est dépassé et dégradé aujourd’hui ». « Le pont va régler définitivement la question du désenclavement de la localité et sauver des vies ».
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Les populations ne souhaitent que la réalisation du pont
« Nous avons même perdu plusieurs personnes dans les eaux ici. Nous ne demandons aux autorités que de nous aider à ériger ce pont le plut tôt possible, avant que la saison des pluies ne s’installe », a plaidé Adama Rabo. Il estime que s’il y a des gens qui travaillent à stopper les travaux de ce pont, « ce ne sont que des personnes qui veulent (les) nuire ». « Lorsque vous construisez une maison et que vous trouvez qu’elle n’est plus sécurisée, vous pouvez la démolir et la reconstruire en y garantissant la sécurité. Nous ne souhaitons que la construction du pont pour notre bonheur. Nous n’entrons pas dans les autres débats », a-t-il tranché.
Pour Tasséré Kouanda, ressortissant de Siguinvoussé, la construction de ce pont venait mettre fin aux souffrances, et des populations et du radier. « C’est une évolution. Il faut toujours s’adapter à l’évolution des choses », a-t-il dit, notant qu’avec le temps, le radier avait fini par connaitre une dégradation avancée, surtout avec l’érosion. « Si nous n’arrivons pas à avoir le pont, notre vie n’aura plus de sens, car nous souffrons au plus profond de nous. Notre grande préoccupation reste et demeure actuellement la réalisation de ce pont », enchaine de son côté Adama Rabo, pour qui « les deux maires devraient travailler main dans la main pour le bonheur des populations qui les ont successivement élus ».
« Nous avions accueilli la bonne nouvelle de l’érection d’un pont ici, à la place du radier qui devenait de plus en plus impraticable à cause de la montée des eaux. Mais, quelques temps après nous avons été frappés par la tristesse car, il nous a été donné de constater l’arrêt des travaux. Nous apprenons que ce blocage est dû à une guéguerre politique entre les deux anciens maires de la commune. C’est déplorable ! Ce que nous leur demandons, c’est de travailler pour les populations. Ce sont les mêmes populations qui avaient accordé leurs voix à ces deux maires pour qu’ils occupent tous la mairie de Sabcé. Si après tout cela ils reviennent, à cause de questions politiques, vouloir détruire l’avenir des populations, c’est déplorable », a regretté Rabassi-Sida Ouédraogo, ressortissant de Foursa. Il confie qu’une personne est décédée l’année passée dans ce radier, parce qu’emportée par les eaux. « Avec le grand fossé creusé pour la construction du pont sur cet espace, si les travaux ne reprennent pas le plus tôt possible, il y aura beaucoup de morts cette année ici. Il faut dire qu’il y a une grande partie des populations du département qui traversent ce pont pour les travaux champêtres pendant la saison des pluies. Si ce pont n’est pas construit cette année, ce sont les populations qui les avaient élus qu’ils veulent tuer », a-t-il indiqué.
Des médiations n’ont pas abouti au retrait de la plainte du maire Zoungrana
De son côté, Adama Sawadogo, ressortissant de Souriyala « ne souhaite que la réalisation du pont ». Il a invité les deux parties à une concertation, un dialogue en mettant l’intérêt des populations en avant. « D’abord, le maire Zoungrana pouvait attendre de voir à quoi va ressembler ce pont avant d’initier une action en justice contre le maire Nassa. Si la réalisation n’est pas bien faite, c’est la population, elle-même, qui va sortir manifester son mécontentement », a-t-il soutenu, avant de demander au « maire Zoungrana de retirer sa plainte afin que les travaux se poursuivent ».
Dans cette dynamique, les membres de l’association Sougre-Soab Ya Wenam Zoa ont mis en place un comité de médiation pour une sortie de crise afin de permettre la reprise des travaux. Lambert Sawadogo, vice-président du comité de médiation de cette association, a confié à www.minute.bf, que les membres de son association ont écrit aux deux maires pour demander une rencontre avec eux afin de discuter de la situation. Les courriers leur ont été transmis. Le maire Nassa qu’ils ont pu rencontrer leur a fait savoir qu’il n’a aucun différend avec une personne. « Il a expliqué que ce chantier est une initiative concertée du conseil municipal qui voulait aider les populations en leur offrant cette infrastructure », resume Lambert Sawadogo. Ainsi, concernant la médiation initiée auprès de lui pour que les travaux puissent se poursuivre, il a précisé que la reprise des travaux aujourd’hui ne dépend plus de lui, invitant ainsi les médiateurs à entendre également son « grand frère » Zoungrana sur la question. Les médiateurs n’ont malheureusement pas pu, à l’heure où nous tracions ces lignes, rencontrer le maire Zoungrana sur la question.
www.minute.bf a tenté de rentrer en contact avec l’ancien maire Pierre Zoungrana pour avoir sa réaction sur cette question. « Bonjour monsieur. Je n’ai pas de part de vérité du moment que moi-même je cherche la vérité auprès de la justice. Je vous remercie ! », nous a-t-il répondu par un message whatApps. Approché également, le maire Nassa dit attendre l’issue du procès avant de s’exprimer dans la presse.
Pour information, le procès sur cette affaire se tiendra le mercredi 30 mars 2022 au Tribunal de grande instance (TGI) de Kongoussi.
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Armand Kinda
Minute.bf
Je sais que la justice est juste. La vérité va triompher.