jeudi 10 octobre 2024
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Burkina : Entre abandonner ou continuer les études, le difficile choix des étudiants PDI

« Etudiant déplacé interne (EDI) », cela peut être l’appellation attribuée aux étudiants dont les parents sont des déplacés internes au Burkina Faso à cause de la situation sécuritaire que traverse le pays depuis maintenant plusieurs années. Comment vivent réellement ces étudiants dans la capitale afin de mener leurs études supérieures ? Quel peut être l’impact de la situation sécuritaire en rapport avec leurs études ? Au cours de ce mois de décembre 2022, Minute.bf est allé à leur rencontre. Reportage !

Ce mois de mai de 2019 restera à jamais gravé dans la mémoire de Boureima Sanfo (nom d’emprunt). « C’était ma première fois de voir réellement des hommes armés. Ils sont venus attaquer la gendarmerie et ensuite procéder à des tirs en l’air dans la ville », se rappelle-t-il de ce qui était le début du calvaire dans la commune de Pensa, province du Sanmatenga, région du centre Nord, d’où il est originaire.

Après cette première incursion, Boureima Sanfo a plié bagages pour rejoindre Ouagadougou, la capitale burkinabè, où il devrait poursuivre ses études supérieures à la faculté de philosophie, à l’Université Joseph-Ki Zerbo. Quelques mois plus tard, ses parents, sous la pression des hommes armés à Pensa, ont fui à la recherche d’une zone stable. Une fois à Pissila, la famille Sanfo a finalement pu rallier Kaya, le chef-lieu de la région, en 2020 d’autant plus que la commune de Pissila à partir d’un certain moment est devenue « invivable ».

Lire aussi : Pensa : L’attaque du village de Ankouna a fait 11 morts (communiqué)

Boureima Sanfo, étudiant déplacé internes, originaire de Pensa

Wayalguin, c’est dans ce quartier périphérique à l’est de la ville de Ouagadougou que l’étudiant Boureima Sanfo a déposé ses valises. Dans la soirée du 8 décembre, nous lui avons rendu visite à son domicile, dans une cour commune où il paye le loyer à 17 500F le mois. « Le loyer était de 20.000F, mais la maison est dégradée et le bailleur nous a fait une réduction de 2500F. J’habitais ici avec mon cousin et on se partageait les dépenses. Il a eu un concours de la police nationale et est en formation, donc, actuellement toutes les dépenses me reviennent. J’avoue que c’est difficile », a-t-il fait savoir. Sans vélo ni moto, c’est généralement « à pied » que l’étudiant rejoint les amphithéâtres depuis son domicile. Et pour couvrir ses dépenses basiques, Boureima Sanfo offrait ses services dans les chantiers de construction de la ville. Sauf que ces derniers temps, les choses sont devenues plus difficiles, selon ses dires. « Avant, je faisais ‘’du manœuvrage’’ (aide-maçon, ndlr) les jours que je n’ai pas cours. C’est ce qui me permettait de subvenir à mes besoins financiers. Mais actuellement, ça même on ne trouve plus », a-t-il relaté.

« Souvent il arrive que tu pense à abandonner tes études … »

Apres Boureima, nous avons rencontré, à l’Université joseph-Ki, Arzouma Ouédraogo (nom d’emprunt), étudiant venu d’Arbinda, toujours dans le centre-Nord. Arzouma est aussi inscrit en philosophie, en deuxième année dans ladite université.

Ses parents se sont déplacés dans un premier temps à Pensa. Mais à un certain moment, l’accalmie semblait revenir dans leur Arbinda et ils sont repartis avant de se déplacer finalement à Silmangué dans le Namentenga. Donc la famille Ouédraogo aurait effectué trois mouvements de déplacement dans une même année pour échapper à l’atrocité des terroristes. Arrivé à Ouagadougou pour ses études supérieures, Arzouma Ouédraogo a pu retrouver un tuteur (son oncle maternel) dans le quartier Rimkieta. C’est avec son vélo que l’étudiant parcourt chaque jour la vingtaine de kilomètres pour rejoindre le temple du Savoir à Zogona. Une quarantaine de kilomètres en aller-retour.

A l’opposé de son camarade Boureima qui arrive à visiter de temps en temps ses parents réfugiés dans les quartiers bidonvilles de Kaya, Arzouma, lui, n’a les nouvelles des siens que très souvent par appel téléphonique. Il n’y a pratiquement pas de voie pour se rendre à Silmagué même en cas d’urgence. « L’année passée, courant 2021, mon père qui était malade est finalement décédé, donc j’étais obligé de me rendre à Silmangué. Mais j’avoue que le trajet n’a pas été facile », se souvient-il de la dernière fois qu’il a vu les membres de sa famille. « Souvent, quand je veux avoir de leurs nouvelles, j’appelle. Même avec cela, c’est souvent difficile, vu que les réseaux ont été sabotés (par les groupes armés, ndlr) », a-t-il confié.

Lire aussi : Namentenga : Les VDP repoussent une attaque à Silmangué

L’avantage pour Arzouma contrairement à certains de ses camarades dans la même situation est que, lui au moins, arrive à joindre normalement « les deux bouts » grâce à sa famille d’accueil. Malgré cet avantage, il avoue penser souvent à fermer la page étude et à trouver « des jobs » afin d’être en mesure de venir en aide à sa famille en difficulté. « Souvent il arrive que tu pense à abandonner les études et faire autres choses mais de fois aussi, tu te donnes le courage de continuer dans l’espoir de décrocher un concours », a-t-il avoué.  Et parlant de concours de la fonction publique, l’étudiant en philosophie confie avoir déposé une dizaine cette année avec espoir que son salut viendra de là.

Arzouma Ouédraogo (nom d’emprunt), étudiant inscrit en 2e année de philosophie, originaire d’Arbinda

« Je vis grâce aux petits gombos »

Habibata Zoungrana est originaire de Kondibito, un village situé à 7 km de la commune de Barsalogho. Etudiante en licence 3 de Géographie, Habibata vit au niveau de la cité universitaire de Kossodo. Quand elle venait à Ouagadougou en 2018 après l’obtention de son diplôme de baccalauréat, mademoiselle Zoungrana n’imaginait pas que son Kondibito natal serait un jour inaccessible. Mais, malheureusement, c’est le cas actuellement. Le village s’est vidé de ses habitants depuis plusieurs mois et les parents de Habibata ont trouvé pour le moment refuge à Barsalogho ville. Cette commune n’est accessible de nos jours qu’à partir de la ville de Kaya et là aussi il faut profiter d’un convoi sécurisé. Habibata ne prend pas de risque. « On ne peut plus aller puisque la voie n’est plus sûre. C’est au téléphone uniquement que je peux avoir de leurs nouvelles », explique-t-elle.

Lire aussi : Attaque à Barsalogho : Plusieurs terroristes neutralisés dans des frappes aériennes (Armée)

La jeune étudiante partage ses journées entre la cité universitaire et l’université. Mais pour « gagner sa vie », elle s’adonne à certaines activités rémunératrices à ses heures perdues. « Je vis grâce à des petits gombos (un business, ndlr) que je fais souvent les week-ends », a-t-elle confié. Et par moment, il arrive même que sa famille coincée à Barsalogho lui fasse recours pour gérer financièrement certaines situations urgentes. « S’il se trouve que j’ai eu à faire un gombo et que j’ai un peu d’argent sur moi, je les envoie ; mais s’il n’y a rien, il n’y a vraiment rien », a-t-elle indiqué.

Habibata Zoungrana, originaire de Kondibito, inscrite en 3e année en Géographie

« Même si la situation est délicate, il faut tenir le cap… »

Le lundi 26 décembre 2022, nous avons rencontré Bernard Sawadogo à la cité universitaire de Kossodo. Il est le président de l’association des étudiants ressortissants du centre-nord (AECN). Avec son équipe, ils disent travailler à mettre en place un projet en vue d’épauler les étudiants déplacés internes. « Nous sommes entrain de réfléchir sur un projet qui va permettre aux étudiants qui sont dans cette situation de poursuivre normalement leurs études. Le projet est dénommé ‘’le père adoptif des étudiants déplacés internes’’ et vise à faciliter auprès de ces étudiants PDI des frais d’inscription, de transport, de résidence à la cité et de l’achat de leurs documents d’étude », a-t-il expliqué.

Bernard Sawadogo, président de l’association des étudiants du Centre-Nord

Mais avant que ledit projet ne voit le jour, Bernard Sawadogo appelle ses camarades à s’armer de courage et surtout à ne pas déserter les salles de classe. « Même si la situation est délicate, il faut tenir le cap. Les associations d’étudiants sont là, il faut toujours les approcher et expliquer votre situation, elles trouveront certainement des solutions à votre problème », a-t-il conseillé. Du reste, le président de l’AECN appelle l’autorité à avoir un œil sur les étudiants qui vivent dans cette situation pour « ne pas qu’ils basculent sur des chemins qui seront nuisibles à la société », surtout quand on sait que l’une des causes du terrorisme est le désespoir.

Le CENOU apporte son aide aux étudiants PDI…

Le centre national des œuvres universitaires (CENOU) n’est pas resté insensible face à la situation que vivent les étudiants déplacés internes. Un projet d’aide social a permis de distribuer gracieusement près de 30 tonnes de vivres aux étudiants en situation de vulnérabilité de façon générale, selon le centre régional des œuvres universitaire de Ouagadougou (CROUO). « Nous avons essayé à travers nos partenaires, de répertorier ces étudiants déplacés internes et nous avons monté un projet pour leur venir en aide avec des vivres. Nous avons déjà eu 5 tonnes de vivres dans le passé, que nous avons mis à leur disposition. En Novembre dernier nous avons acquis avec le CONASUR (conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation, ndlr) 23 tonnes de riz et 200 bidons de 5 litres d’huile que nous sommes en train de distribuer », nous a précisé Souleymane Koussé, directeur régional du CROUO.

Une vue du magasin du CROUO. Ces sacs de vivres seront distribués dans quelques jours…

Les distributions sont faites à tous les étudiants de Ouagadougou y compris ceux de l’Université Thomas Sankara avec la complicité de l’association nationale des étudiants du Burkina (ANEB), les délégués élus des UFR et les délégués des différentes cités pour plus de transparence, a expliqué le CROUO. Ces étudiants PDI ont eu également « quelques avantages par rapport aux chambres de cités », a ajouté M. Koussé tout en précisant que son département n’a pour le moment pas prévu de donner de liquidité (argent) à ces étudiants.

Souleymane Koussé, directeur régional du CROUO

La situation sécuritaire qui prévaut au Burkina Faso depuis maintenant près de 8 ans, a occasionné le déplacement massif des populations. A la date du 30 novembre 2022, le CONASUR a enregistré 1 810 105 personnes déplacées internes sur tout le territoire national.

Voir ici ➡️ Burkina : Plus 40 000 nouveaux déplacés enregistrés à la date du 30 novembre

Mouni Ouédraogo
Minute.bf

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