A Ouagadougou, le barrage, loin d’être un lieu de propreté, d’air pur et de vie douce, est aujourd’hui, dans sa partie de Tampouy (Nord), un dépotoir à ciel ouvert, qui reçoit des tonnes d’immondices chaque mois. Nous avons fait le constat sur les berges de ce barrage, dans sa partie de Tampouy, situé vers le prolongement avec Nonsin, un autre quartier de Ouagadougou.
Sur les berges du barrage de Tampouy le vendredi 29 octobre 2021, les rayons solaires dardaient les cultures maraichères de Habibou (nom d’emprunt), septuagénaire. Le poids de l’âge se sent sur sa démarche, et son visage qui se perd dans les rides. Elle a 4 enfants, dont une fille. Mais aucun d’entre eux n’a pu d’abord décrocher un boulot pour subvenir aux besoins de la famille. La « vieille Habibou » est donc obligée de faire des va-et-vient entre les planches de sa parcelle dédiée à la culture maraichère juste au bord du barrage, arrosoir en main, pour espérer avoir un peu d’argent à la vente de la salade ou autre culture qu’elle pratique, pour offrir à manger à la famille.
Elle travaille au bord de ce barrage depuis plusieurs années. Mais, depuis quelques mois, elle est touchée au plus profond de son être par le comportement déviant d’une certaine jeunesse qui a décidé de déverser les ordures ménagères et autres, juste à quelques mètres de sa parcelle. A notre arrivée sur les lieux aux environs de 10 heures, ce 29 octobre 2021, l’air pur des abords du barrage où aiment aller se reposer certaines personnes, pestait à des dizaines de mètres. Impossible de respirer normalement. Il faut même improviser pour maitriser sa respiration. L’odeur pestilentielle des ordures de tout genre ôtait en tout homme l’envie d’avaler sa propre salive.
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« Un jeune a insulté ma mère ici »
« Il y a des ordures ménagères. Il y a aussi des eaux sales des fosses septiques, et même des eaux puantes des plumeurs de poulets qui sont déversées ici », déplore Harouna (nom d’emprunt), un commerçant exerçant au bas-côté du goudron.
Sous un petit manguier au centre de ses plants, Habidou tenait subtilement sa tête, le menton dans sa main droite, le regard dans le vide. C’est son seul recours pour sa survie. Mais cette porte est en train d’être fermée par l’odeur et l’impact négatif qu’ont les ordures. « J’ai plusieurs fois interpellé ceux qui viennent jeter les ordures ici, mais personne n’écoute. L’autre jour, un jeune est venu avec sa moto, transportant des sacs contenant des ordures. Il a commencé à les déballer ici. Quand j’ai voulu parler, il a commencé à m’injurier et il menaçait de me frapper. A mon âge (70 ans), je ne savais pas qu’il y avait encore des gens qui veulent frapper une pauvre vieille dame parce qu’elle a tout simplement exprimé un mécontentement », marmonne Habibou, le regard fuyant notre micro.
Ses dires sont confirmés par Harouna qui a failli lui-même être roué de coups, pour avoir attiré l’attention d’une personne qui déversait les ordures sur les berges du barrage. « Ce sont des gens du quartier. Quand tu parles, ce n’est pas facile. Il y a un jeune qui m’a menacé. Il m’a insulté, insulté mes parents et a même failli me rouer de coups. J’ai pu échapper grâce à l’intervention de riverains », se rappelle-t-il. Sur les menaces, Habibou en a beaucoup à dire. « On a plusieurs fois insulté ma mère ici. Une autre fois, lorsque j’ai voulu interpeller un jeune, il voulait traverser le fossé pour me rejoindre dans ma parcelle afin de me frapper. J’ai eu la vie sauve grâce à l’intervention de certaines personnes qui étaient à la mosquée. Ce sont ces personnes qui sont venues me défendre et le jeune a démarré son engin pour disparaitre », confie-t-elle.
Les ordures sont déversées la nuit…
Sur les berges, les ordures sont convoyées dans l’eau du barrage. Ces ordures ont fini par ronger une partie du fossé qui conduisait les eaux des pluies au barrage. Cette partie s’est affaissée. « Regardez de ce côté, indexe Habibou. Le fossé est complètement anéanti. Si rien n’est fait, d’ici quelques mois, tout va s’écrouler. Même le pont risque de s’affaisser. Il faut vite mettre fin à cet incivisme », alerte-t-elle.
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Une alerte encore appuyée par Pascaline, une autre femme qui pratique la culture maraichère au bord du barrage. C’est la voisine de Habibou. Elle souhaite, pour sa part, qu’une plaque soit implantée juste au bord du barrage, sur laquelle il sera écrit : Interdit de jeter des ordures ici. Aussi, a-t-elle proposé qu’un numéro vert accompagne cet écriteau, pour permettre à toute personne témoin de ces cas d’incivisme, de pouvoir alerter les services compétents.
Mais, pour Harouna, il est maintenant difficile d’appréhender les auteurs de ces dérives. « Avant, ils venaient la journée. Maintenant que nous avons marqué notre opposition, ils viennent la nuit, pendant que tout le monde est rentré chez lui. La police municipale est présente sur le pont presque chaque jour pour des contrôles de documents des usagers, mais elle ne s’intéresse pas à ce qu’il se passe sur les berges du barrage. Il nous faut trouver très vite une solution à cela », s’alarme-t-il.
Aujourd’hui, Habibou ne sait plus à quel saint se vouer. Elle qui se servait de l’eau du barrage pour arroser ses plants, devrait désormais être obligée d’aller puiser l’eau au puits. Avec son âge avancé, elle n’a plus les ressources physiques pour tirer l’eau du puits. Elle souhaite que cet « incivisme s’arrête » pour permettre à d’autres personnes de vivre dignement.
Construction de décharges pour l’évacuation des ordures
De l’autre côté du barrage, à sa partie Ouest vers le quartier Rimkièta, un autre dépotoir s’était développé. Mais, quelques années après, il y a eu la construction d’un centre de récupération des ordures. Ce centre recueillait gratuitement les ordures et les convoyait dans les centres de gestion des ordures. Aujourd’hui, le barrage est en train de se vider de ses immondices.
Les femmes exerçant au bord du barrage ont souhaité que la municipalité facilite l’accès des ménages aux poubelles. Ainsi, chacun pourra disposer d’une poubelle devant sa concession, et en collaboration avec les associations qui ramassent les ordures, travailler à vivre dans un environnement sain et hygiénique.
Au Burkina Faso, en 2020, grâce à l’appui de l’ONG Autre Terre, 75 000 citoyens et citoyennes ont bénéficié d’un service professionnel de gestion des déchets. Cette activité a permis d’embaucher 200 personnes dont 160 femmes.
L’ONG a, dans le but d’améliorer les infrastructures en vue de rendre un service de qualité, construit une décharge à Kaya.
Au Burkina Faso, de la collecte au recyclage, les initiatives se développent pour pallier les insuffisances des communes dans la gestion des ordures. Le Centre écologique Albert Schweitzer Burkina (CEAS-Burkina) est une association de droit burkinabè qui existe depuis 2009, après avoir été pendant plus de 27 ans la représentation burkinabè du CEAS-Suisse. L’association milite pour la protection de l’environnement ; la lutte contre la pauvreté par le biais de la recherche appliquée ; l’appui et le suivi conseil, en technologies appropriées, en agro écologie et en agro-transformation, l’assainissement.
Comme elle, plusieurs associations luttent pour l’assainissement dans la capitale burkinabè. Les personnes qui déversent illégalement les ordures dans le barrage de Ouagadougou peuvent donc travailler en collaboration avec ces associations pour rendre la ville propre.
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Armand Kinda
Minute.bf