À travers une déclaration conjointe, des partis politiques alliés membres du dernier gouvernement d’ouverture de Blaise Compaoré, ont laissé entendre que l’homme choisi pour conduire la méditation au Burkina par la CEDEAO a « un parti pris ». De ce fait, ils pensent alors que Mahamadou Issoufou « part avec un handicap non négligeable en termes de déficit de confiance de la classe politique burkinabè ». www.minute.bf vous propose l’intégralité du communiqué signé le 15 juin 2022.
« Médiation de la CEDEAO dans un contexte de Guerre terroriste
Le Burkina Faso est en deuil ! La horde barbare s’est encore abattue sur notre peuple, semant la désolation à Seytenga dans la nuit du 11 au 12 juin. Un massacre horrible, conduit par des assaillants venus de la frontière Nigérienne à seulement 10 km, tuant 86 de nos frères et sœurs, selon les sources officielles. A travers cette déclaration conjointe, nous, partis politiques alliés membres du dernier gouvernement d’ouverture de Blaise Compaoré, nous nous inclinons devant ces nombreuses victimes, nous présentons nos condoléances les plus attristées aux familles éplorées. C’est à croire que les dieux ont quitté la terre sacrée du Burkina. Trop c’est trop !
Cette tuerie sauvage de nos concitoyens intervient à un moment où les acteurs nationaux discutent, se disputent même autour des voies et moyens pour sortir nos populations de cette situation d’enfer. Parmi les grands sujets en débat, il y a entre autres la dernière décision prise par la CEDEAO lors de son sommet extraordinaire tenu à Accra le 05 juin 2022. A cette occasion, l’ancien Président du Niger Mahamadou Issoufou a été désigné, médiateur de l’organisation sous régionale au Burkina Faso.
Depuis cette date des voies se sont fait entendre et les premières réactions sont venues du côté des hommes de l’ancien pouvoir de Roch Marc Christian KABORE. Ils ont applaudi à rompre les bras cette décision à travers des médias comme RFI, ce qui n’a pas surpris beaucoup d’observateurs compte tenu de leur appartenance politique. Puis, tout aussi sans surprise, d’autres acteurs ont pris publiquement position contre cette décision.
Aujourd’hui, après à une appréciation de la situation nationale, les auteurs de la présente déclaration conjointe, membres du dernier gouvernement du Président Compaoré, ayant vécu directement les évènements douloureux des 30 et 31 octobre 2014, voudraient légitimement présenter leur position suite à cette désignation de l’enfant du Niger voisin. Toutefois, nous sommes d’avis que ce débat ne constitue pas une véritable priorité au regard du niveau de gravité de la situation sécuritaire actuelle. Cependant, elle pourrait être utile dans le cadre du processus de refondation nationale annoncée et qui nécessite une clarification de certaines questions nationales. Mais qui est Mahamadou Issoufou ?
Mahamadou Issoufou n’est pas un inconnu chez nous, car il a été, avec certains parmi nous, un acteur des luttes de la jeunesse estudiantine en Afrique ; il a donc été un ami politique de certains cadres de nos partis politiques. Dans son pays, au Niger voisin, son engagement pour une Afrique prospère a été partagé et soutenu chez nous. Aujourd’hui, nous avons encore en mémoire l’épisode des moments difficiles vécus dans son pays et qui ont obligé son camp politique à fuir les poursuites du régime du Président Mamadou TANDJA, pour se réfugier à Ouagadougou. Le régime Compaoré l’avait abrité et pris soins des « indésirables » de Niamey parmi lesquels Mohamed BAZOUM, l’actuel président du Niger. De toutes évidences le régime Compaoré avait pris des risques s’agissant du bon voisinage.
Mahamadou Issoufou s’est aussi illustré en acceptant de quitter le pouvoir suite à des élections organisées à cet effet. Compte tenu de tout ce qui précède la désignation de Mahamadou Issoufou aurait dû être un choix pertinent et consensuellement accepté. Mais en réalité la médiation de l’ancien Président nigérien dans la crise burkinabè fait l’objet d’une certaine contestation. Question, pourquoi donc ?
D’abord il faut le souligner, la crise que nous subissons aujourd’hui est en grande partie une suite des évènements des 30 et 31 octobre 2014. Nos « amis » du Niger étaient de vrais grands amis de Kossiayam et Mahamadou était le Président de ce pays frère. Aussi, pour expliquer les réticences de nombreux acteurs à la désignation du médiateur annoncé il faut remonter à la crise des 30 et 31 octobre 2014.
Nos deux partis, l’AUTRE Burkina/PSR et l’UNDD, membres alliés du gouvernement à cette époque, signataires de la présente ont subi les affres de toutes natures orchestrées par les vainqueurs d’alors ; les incendies sauvages de nos biens personnels, les menaces physiques contre nos proches, les tracts orduriers, les appels à la haine sur les réseaux sociaux nous livrant à la vindicte populaire dans les quartiers et secteurs. En plus encore, des années sont passées et sur ces dossiers, c’est l’impunité totale au nom de la justice des vainqueurs.
A l’occasion de ces évènements de 2014, les premières déclarations des autorités du Niger marquées par un triomphalisme débordant en plus des confidences de certains responsables de la classe politique nigérienne, ont donné les premiers éléments dévoilant la position de Niamey sur la chute du régime en place à Ouagadougou. Puis quelques mois après, la presse nationale présente des faits annonçant des sommes colossales, des milliards de franc CFA auraient été mis à la disposition des putschistes de 2014. Les autorités du Niger venaient ainsi de commettre ouvertement l’irréparable vis-à-vis de celui qui leur avait offert un asile de sauvetage il y a quelques années. Depuis lors les prises de positions de Niamey ont montré clairement son soutien total au nouveau régime du MPP avec lequel le PNDS, le parti de Mahamadou Issoufou, entretien des relations très étroites.
Ainsi donc, Issoufou au lieu d’aider à éteindre l’incendie chez le voisin, n’avait pas trouvé mieux que d’allumer le Faso avec toutes ces conséquences graves ; les incendies des biens publics et privés, les nombreuses pertes en vies humaines, l’installation de la chienlit, la haine féroce, les arrestations des membres du gouvernement de l’époque que l’on jetait en prison sans ménagement et sans aucune décision de justice, sur instruction expresse du pouvoir des colonels de la transition de 2014, l’exclusion à toutes les élections post transition de 2015 d’un grand nombre de cadres politiques considérés comme des proches de l’ancien régime Compaoré etc. Sans surprise, Roch KABORE soutenu par ses amis de l’extérieur et les grands dignitaires de la transition de l’époque est élu président du Faso en 2015.
Dès lors le MPP s’installe au pouvoir et les premières déclarations du nouveau Président élu sur les questions de sécurité, très maladroites, à la limite irresponsables, suscitent des questions et des inquiétudes. Et la suite on la connait, nous la vivons depuis 07 ans. A partir des frontières communes la horde djihadiste ouvre le feu sur le Burkina, répand la terreur et la désolation, massacre nos populations et le pays lui-même est menacé de dislocation. Avec le recul, nous sommes convaincus qu’en 2014, le président Issoufou en tant que démocrate progressiste aurait dû procéder autrement :
– Il avait la possibilité voire le devoir de prendre position contre les changements des dispositions constitutionnelles annoncés ce qui aurait pu renforcer notre processus démocratique. Il pouvait le faire et il devait le faire. C’était bien possible car à l’époque, compte tenu des dangers multiformes clairement perceptibles et contrairement aux déclamations mensongères, nos deux partis, même étant des membres du gouvernement d’ouverture n’avaient pas soutenu le projet de modification de l’article 37 ; les uns l’avaient qualifié de « Waterloo » tandis que d’autres considéraient que c’était la « mère des batailles » pour le pouvoir en place.
– Et en tant que Chef d’Etat voisin, il avait aussi la latitude, d’initier et de soutenir le dialogue républicain entre les protagonistes, pour une juste sortie de crise, au lieu de financer les violences sauvages.
Depuis l’annonce de cette médiation nous attendons une feuille de route officielle sur cette mission. Néanmoins on pourrait s’appuyer sur certaines déclarations et prises de positions pour tenter de mieux comprendre les intentions de l’organisation ouest africaine. Ainsi, en termes d’objectifs à atteindre, on peut retenir les axes ci-après: la crise sécuritaire, la liberté totale pour Roch KABORE, la durée de la transition et le retour à une vie constitutionnelle normale.
– Si la crise sécuritaire est notre haute priorité actuellement, l’on peut se demander ce que pourrait apporter le médiateur Mahamadou Issoufou, « l’ami » du Burkina selon un ancien conseiller de Roch (sic), lui dont le pays est tout aussi submergé que le nôtre par le terrorisme. Et certains médias nous l’annoncent, la douloureuse actualité de Seytenga semble avoir pour source la frontière nigérienne située à 10 km.
– Concernant la liberté totale pour l’ancien Président KABORE, nous ne sommes pas de ceux-là qui se réjouissent d’une quelconque privation de liberté d’un citoyen encore moins de notre ancien Président car avec lui nous avions vécu ensemble de grands moments de combat pour la liberté. Pour autant l’ancien Président du Niger ne semble pas être l’homme qu’il faut pour cette mission, lui qui a embastillé des années durant son principal opposant politique et qui l’a exclu des élections, ce en dépit de nombreux appels en faveur de sa libération. Par ailleurs il faut souligner l’inconséquence des hommes politiques surtout chez nous. Quand ils sont au pouvoir ils soutiennent avec la dernière énergie les arrestations des opposants politiques et des activistes, toutes tendances confondues, et les qualifient de putschistes. Et quand ils sont dans l’opposition ils brandissent partout et en tout lieu l’étendard des libertés !.
– Par rapport à la durée de la transition et le retour à une vie constitutionnelle normale, nous sommes formels. Notre pays est en guerre, la vie est presque arrêtée, le peuple est martyrisé, de nombreuses familles sont endeuillées, nos forces de défense et sécurité, les VDP luttent avec courage et détermination au prix de leurs vies pour sauver d’autres vies, celles de leur peuple. Ce qui importe aujourd’hui, ce n’est point la durée de la transition, mais c’est son contenu et ses objectifs. D’abord sauvons nos soldats, sauvons la patrie, sauvons notre nation ! C’est pourquoi, nous ne cesserons de le répéter, les élections peuvent attendre, les élections doivent attendre ! Tôt au tard elles auront lieu.
Aujourd’hui, connaissant l’homme désigné pour cette médiation, l’on peut se demander s’il a le profil pour conduire une bonne médiation de haut niveau. Selon nous, son expérience et ses capacités managériales peuvent représenter un atout. Mais, pour ce « dossier Burkina », il part avec un handicap non négligeable en termes de déficit de confiance de la classe politique burkinabè.
-Quant à ceux de nos contradicteurs politiques, qui évoquent des questions relatives aux « aspirations profondes de notre peuple en matière de démocratie.. », nous disons que notre pays n’a pas besoin actuellement d’une médiation extérieur pour ce genre de questions. Et si tel est le cas, ce serait désolant après plus de 60 ans d’indépendance politique. Sans aucun doute, la classe politique nationale a déjà une expérience lui permettant de bien approfondir ce genre de questions.
Et pour l’ensemble de la mission, nous croyons que le Président Issoufou a gravement fauté en 2014. C’est pourquoi suivant le dicton, « qui a bu boira » certains acteurs nationaux disent que le nouveau médiateur a déjà bu. Il y a donc des antécédents qui font de lui un médiateur fragilisé et il lui revient d’en tenir compte. On est tenté de dire, quelle erreur et aussi quel gâchis pour cet homme d’expérience ! En tout état de cause, le véritable pouvoir de récusation du médiateur désigné appartient aux autorités de la Transition du Burkina.
Sur un plan plus général, l’on se demande si notre pays a-t-il besoin d’une médiation ?
Dans un pays en crise, comme le nôtre, le besoin d’une médiation est réel ; cependant pour ce type de médiation , les doutes sont permis quand on sait qu’il y a des acteurs bien connus qui « grenouillent » pour pousser la CEDEAO à sanctionner la transition burkinabè, avec le risque d’une complication réelle des relations entre le Burkina et cette organisation.
A contrario, en lieu et place de ce type de médiation, nous préconisons de mettre en jeu certains mécanismes internes qui, au sein de nos communautés, ont fait leur preuve depuis des décennies voire des siècles. Le but étant de rapprocher les grandes entités nationales à savoir les communautés religieuses, la classe politique de tout bord, les nationalités régionales, la société civile etc. Une telle démarche renforcera la cohésion sociale et préservera l’unité nationale gage de réussite face aux terroristes.
Néanmoins la CEDEAO peut aussi avoir un autre rôle à jouer à travers un autre type de médiation entre les pays en guerre comme le Burkina et certains Etats puissants. En effet en attendant la révision inéluctable des accords militaires qui nous lient à certains Etats comme la France, cette communauté devrait engager une médiation forte sous la forme d’un plaidoyer fort afin de lever, ne serait que provisoirement, les dispositions très contraignantes qui nous empêchent d’acquérir plus facilement et rapidement des équipements militaires sophistiqués, de grande qualité. Une telle facilitation est vitale dans ce contexte d’urgence et d’horreur sur le théâtre des opérations.
Du reste, vu que la guerre terroriste dure depuis des années, la CEDEAO devrait réexaminer sa vision habituelle bien connue, centrée surtout sur les processus électoraux et la « gestion » des coups d’Etat, et ce parce que sa mission classique n’a point donné des résultats probants à la hauteur des attentes des différents peuples de la sous-région.
Le Gouvernement de transition est fortement interpelé sur l’extrême gravité de la situation sécuritaire. Hier c’étaient Solhan, Yirgou, Tanwalbougou et aujourd’hui c’est Seytenga ! Malgré toutes ces difficultés, les acteurs politiques de la transition, les FDS et les VDP sont engagés dans un combat de vie voire de survie. Nous devons les encourager. Les sorties du Président sur le terrain, ses dernières déclarations indiquant : « Il n’est plus concevable de faire les choses comme on le faisait habituellement » témoignent d’une volonté de changement sur le théâtre des opérations. Le chef de l’Etat sait cependant que les citoyens burkinabè attendent plus au–delà de ses engagements. Mais en tant citoyens vivant cette atroce réalité nous devons y croire, être solidaires, pour espérer vaincre l’hydre terroriste.
Incontestablement, les attentes sont pressantes et les besoins sont urgents ; et c’est pourquoi nous sommes d’avis qu’aujourd’hui, plus qu’hier, c’est le « Tout pour la guerre » ! Tout pour la guerre, en équipements de qualité surtout une grande flotte aérienne moderne et puissante, des effectifs de qualité en complément, un renforcement de la coopération transfrontalière avec les pays voisins, une démarche politique basée sur l’engagement de toutes les composantes du peuple et fondée sur une gouvernance nationale légitime et une souveraineté nationale affirmée.
– Après notre invite aux différents acteurs ci-dessus, et conscients de la gravité de la situation ; nous sommes convaincus que désormais les enfants du Burkina doivent se donner la main et s’unir face à l’ennemi terroriste. Nous n’avons qu’un seul et même pays, nous n’avons pas le choix. Chaque citoyen, chaque force sociale, chaque région, chaque communauté doit assumer son devoir historique. Aussi nous en appelons au patriotisme de tous les Burkinabè, à leur esprit de solidarité et de sacrifice.
Vaincre ou périr, l’union contre le terrorisme ne peut plus attendre.
Ouagadougou, le15 Juin 2022
ONT SIGNE :
Le Président de l’UNDD : Le Président national de l’AUTRE BURKINA/PSR
Me Hermann YAMEOGO Dr Alain Dominique ZOUBGA »
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