dimanche 15 décembre 2024
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Me Bénéwendé Sankara: « Le Capitaine Ibrahim Traoré est sur le bon chemin » (Interview)

Dans cette interview exclusive accordée à Minute.bf, le 28 août 2024, l’avocat et homme politique burkinabè, Me Bénéwendé Stanislas Sankara, partage son analyse sur la situation nationale actuelle. Du projet de modification de la devise nationale à la question des réquisitions, en passant par les actions des soutiens de la transition appelés « Wayiyans » et les réformes judiciaires opérées par le gouvernement, Me Sankara, sans langue de bois, donne son appréciation de la gouvernance actuelle du président Ibrahim Traoré. Pour l’avocat, fervent défenseur de l’idéologie « sankariste », « le Capitaine Ibrahim Traoré est sur le bon chemin ». Entretien !

Minute.bf : Vous vous faites un peu rare sur la scène publique depuis un certain temps. Comment vous portez-vous ?

Me Bénéwendé Stanislas Sankara (MBS) : (Rires). C’est votre appréciation ! Sinon je me porte très bien. Comme vous pouvez le constater, j’ai la pleine santé. Santé morale, physique, mentale… et ma famille aussi se porte bien. Donc, cela permet d’être sur les différents chantiers, principalement professionnels. Parce que, depuis que je ne suis plus au gouvernement et depuis ma démission à la tête du parti l’UNIR/MPS, je suis retourné dans mon cabinet pour exercer mes activités d’avocat et surtout, former les jeunes avocats stagiaires qui sont avec moi. Je me résume simplement pour dire que je me porte très bien.

Maintenant, est-ce que je suis rare sur la scène publique, politique ? Ça, c’est l’actualité du moment qui nous dicte une retenue. Mais de temps en temps, je m’exprime sur certains sujets d’intérêt, comme je le fais aujourd’hui avec vous.

Minute.bf : Depuis bientôt 2 ans, le Burkina Faso est sous une transition dirigée par le Capitaine Ibrahim Traoré. D’aucuns pensent qu’il y a des similitudes entre la gouvernance du Capitaine Ibrahim Traoré et celle du Capitaine Thomas Sankara. Est-ce que vous partagez cette lecture des choses ?

MBS : C’est vrai que sur certains points on peut parler de similitudes. Ne serait-ce que par rapport à l’institution militaire de laquelle relèvent le Capitaine Ibrahim Traoré et le Capitaine Thomas Sankara, ce sont des hommes d’armes, des militaires. Donc, ça, c’est un point de similitude, de ressemblance. Ils sont tous des Capitaines.

Et puis, je pense aussi que ce qui intéresse surtout le peuple burkinabè et africain, c’est l’engagement politique, c’est de travailler, non seulement à une rupture avec un certain ordre, mais aussi, d’apporter ce que moi j’appelle une véritable alternative. Le président Sankara est venu à la tête d’une révolution démocratique et populaire avec un programme politique qui était bien connu, qui est le Discours d’orientation politique (DOP), et qui s’appuyait aussi sur des forces politiques de gauche. Il était connu que le Conseil national de la révolution (CNR) était composé de forces politiques qui permettaient au président Sankara d’avoir une vision. Maintenant, comparé au président Ibrahim Traoré, je dirais que les contextes n’étaient pas les mêmes. D’abord, vous savez qu’après l’insurrection, il y a eu des élections qui ont permis à un président civil de prendre le pouvoir. Et, il a été victime d’un coup d’État militaire opéré par le lieutenant-Colonel Damiba (Sandaogo Paul Henri Damiba, ndlr), lui-même objet d’un autre coup d’État d’un Capitaine. Donc vous voyez qu’à ce niveau-là, quand on regarde au niveau de l’armée, l’institution militaire, moi j’ai souvent quelques appréhensions. Mais la révolution démocratique et populaire avec le président Sankara est venue autrement. De ce point de vue, je crois qu’il y a quand même des différences dans la démarche de la prise du pouvoir.

Maintenant, en ce qui concerne sa gestion, je crois qu’à ce niveau, on peut noter des points de ressemblances. Parce que le premier discours du Capitaine Ibrahim Traoré, c’est d’offrir au peuple burkinabè une rupture dans un contexte de guerre antiterroriste. Sous Sankara, c’était de s’attaquer à la mal gouvernance avec les Tribunaux populaires de la révolution (TPR), et de travailler à permettre aux Burkinabè de retrouver leur dignité par un développement endogène. Voilà pourquoi d’ailleurs à l’UNIR/PS nous parlons de programme alternatif sankariste avec un développement endogène participatif. C’est un programme politique sur le terrain économique et social.

Avec le Capitaine Ibrahim Traoré, il faut d’abord lutter pour la sécurité de ce pays, il faut lutter pour la paix, il faut instaurer l’Etat du Burkina Faso qui, aujourd’hui, est en train d’être menacé par les terroristes.  Et s’il n’y avait pas eu une mesure forte comme on le voit aujourd’hui, dans l’équipement de l’armée et dans le recrutement des Volontaires pour la défense de la Patrie (VDP), et surtout, dans la mobilisation populaire derrière les autorités, je pense que ça allait être très difficile pour notre pays. Je pense qu’il faut d’abord, avant de parler des questions démocratiques, de libertés et même de vie tout court, exister en tant qu’État. C’est l’une des priorités du Capitaine Ibrahim Traoré.

Maintenant, je constate qu’en dehors de ses efforts pour lutter contre le terrorisme, sécuriser le pays, ramener la paix, il entreprend également des actions de développement dans la guerre. Ce qui n’est pas simple parce que si on parle de la guerre, on parle de l’engagement patriotique de chaque citoyen. Là, on ne parle plus de couleur, on ne parle pas de politique, on ne parle pas de religion. On parle du pays et des citoyens du pays, voilà pourquoi on parle de patriotisme qui est une valeur mise en avant pour mobiliser l’ensemble des Burkinabè autour de l’essentiel.

Je me résume pour dire : il y a des similitudes, certes, entre les deux Capitaines, mais il y a aussi des différences et c’est tout à fait normal. Chaque être humain, chaque leader a sa touche particulière. Et les contextes ne sont pas les mêmes. 1983-2024, aujourd’hui, ça fait quand même plus de 40 ans. Mais je pense, pour terminer, que le Capitaine Ibrahim Traoré se veut héritier et continuateur de l’œuvre du président Thomas Sankara. Cela est extrêmement important. Héritier et continuateur de l’œuvre du président Thomas Sankara, ce, d’autant plus que dès que le pouvoir a été pris, c’est lui-même qui s’est présenté au Mémorial Thomas Sankara pour prendre le flambeau de la Révolution. C’est quand même un effet majeur d’engagement politique sankariste du président Ibrahim Traoré. Ce n’est pas à discuter.

Minute.bf : Dans cette dynamique-là, le Capitaine Traoré et son gouvernement ont décidé, en conseil des ministres du 21 août 2024, de la modification de la devise nationale qui était « Unité-Progrès-Justice ». On revient à l’ancienne devise « La patrie où la mort nous vaincrons ». Comment avez-vous accueilli cette décision ?

La reponse de Me Sankara dans cette vidéo ⤵️

Minute.bf : Certains estiment que la devise, « La Patrie ou la mort, nous vaincrons » est empreinte de violence. Qu’en pensez-vous ?

MBS : La violence s’entend de la réaction que chaque Burkinabè devrait avoir à la hauteur de la riposte à apporter à l’ennemi. La violence, ce n’est pas avec nous-mêmes, mais c’est par rapport à l’autre, c’est par rapport à nos ennemis. Ce n’est pas par rapport aux Burkinabè, mais c’est par rapport à l’ennemi dont les méthodes sont les plus barbares, les plus odieuses.  Voyez-vous, quand on va en kamikaze, quand on tue des enfants, quand on tue des femmes, on égorge des femmes enceintes, la riposte devrait être comment ? C’est sans pitié ! Donc, cette violence là ne s’entend pas de nous Burkinabè, parce que le Burkinabè est un homme de paix. Ce qui caractérise le Burkinabè, c’est un homme qui aime travailler, vivre de son intégrité. C’est cela qui fait l’image du Burkinabè. Le Burkinabè n’est pas un homme violent. Mais, s’il est attaqué de cette façon, la riposte doit être proportionnelle à la violence qu’on lui impose.

Minute.bf : De façon globale, pensez-vous que la transition du Capitaine Ibrahim Traoré est sur le bon chemin ?

MBS : Je pense, en tant qu’observateur, que le Capitaine Ibrahim Traoré est sur le bon chemin. C’est vrai qu’aucune action politique ne peut se faire sans difficultés, sans obstacles et même sans adversité.

C’est à lui de savoir avoir la confiance des Burkinabè et consolider cette confiance-là, pour la transformer en action crédible pour accompagner ses œuvres politiques. Sinon, ça ne peut pas se faire sans vagues, ce n’est pas possible. Le président Sankara a été emporté 4 ans après. Personnellement, je ne souhaite pas que le Burkina Faso bascule encore, parce que nous venons de loin. Travaillons vraiment à nous hisser, à saisir les opportunités pour créer une unité nationale, une concorde nationale, pour mener les mêmes combats. Tous les pays qui se développent, c’est parce qu’avant tout, les fils et les filles sont dans une fraternité, dans une solidarité agissante et prennent l’État comme étant un patrimoine commun. Et chacun a intérêt à ce que le pays se développe. Je pense que le combat qu’il mène, en tant que Capitaine Ibrahim Traoré, c’est cela, c’est sa volonté. Maintenant les autres aléas, les paramètres qui entourent, moi, je ne saurais vraiment faire de commentaires.

Minute.bf : Et comment appréciez-vous les choix diplomatiques à l’ère du regime du Capitaine Ibrahim Traoré ?

MBS : C’est un choix tout à fait fondé. C’est sa vision politique. Il s’est beaucoup plus tourné vers les pays traditionnellement qui partagent des valeurs de gauche, avec les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), au plan économique et financier. Et puis on voit que le partenariat avec les autres pays n’a jamais été abandonné.  D’ailleurs, en diplomatie, vous n’avez pas d’ennemis entre les États, vous avez des intérêts à défendre. Mais vous mettez l’accent sur ceux avec lesquels vous pouvez mieux discuter, mieux vous entendre pour le développement de votre pays et de façon réciproque. Donc, moi, je salue cet engagement diplomatique affiché, qui y va de l’intérêt du Burkina Faso.

Minute.bf : Le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont décidé de leur retrait « avec effet immédiat » de la CEDEAO pour créer l’Alliance des États du Sahel. Comment appréciez-vous cela ?

MBS : En fait, au-delà même de la CEDEAO, quand on regarde, tous les pays africains ont eu à un moment donné foi en l’Organisation de l’unité africaine (OUA), en son temps, en 1963. Si je ne me trompe pas, on a parlé de réformes pour aboutir à l’Union africaine (UA) avec des institutions, y compris un parlement panafricain que je connais pour avoir été l’un des premiers députés. Ensuite on a créé des communautés sous-régionales comme la CEDEAO et tout cela, dans une vision à plus ou moins long terme de travailler à l’unité africaine. Mais il s’agit là des intentions. Quand on regarde dans la pratique, c’est la déception. Vraiment la déception ! Et pendant longtemps nous avons été de ceux-là qui avons demandé, en vain, la CEDEAO des peuples. C’était la nomenclature de chefs d’État qui utilisaient en fait la CEDEAO comme un instrument à leur guise pour exploiter même d’autres États. La question de la monnaie, pourquoi ça traine ? Pourquoi on n’est pas capable au sein de l’UEMOA et de la CEDEAO d’avoir une monnaie commune ? De ce point de vue, les États se sont fragilisés. Et les États qui se sentent grugés ou qui ne voient pas véritablement d’intérêt ont tendance à quitter.

Pour Me Sankara, voit en AES une « politique essentielle et fondamentale qu’il faut entretenir pour redynamiser la question de l’unité africaine »

En ce qui concerne les 3 États qui forment l’AES, c’est parce qu’au Mali, quand Assimi Goïta a pris le pouvoir, comme c’est l’armée, les textes qu’on (CEDEAO, ndlr) a voulu appliquer ont été à la tête du client. Pour le Mali, le Burkina et le Niger, ces sanctions sont tombées à un moment donné où ces Etats sont confrontés, j’allais dire, à une catastrophe avec la montée en puissance des terroristes ; et bien-sûr, la suspicion qui pesait sur la France d’être également complice. Si on ne peut pas au pire moment apporter un soutien aux États membres, je pense que, ne serait-ce que pour la dignité, il fallait quitter cette fanfaronnade de la CEDEAO qui ne répond pas aux besoins des populations malienne, burkinabè et nigérienne. Voilà pourquoi, ils ont décidé de quitter et de s’assumer. Je pense qu’aujourd’hui, l’histoire retiendra au moins que ces 3 présidents ont eu le courage, faute de ramener la CEDEAO sur ses principes de départ, de quitter pour créer une nouvelle dynamique qui est soutenue. En tout cas, quand on écoute aujourd’hui, à travers l’Afrique, à travers même d’autres pays qui ne sont pas africains, c’est une dynamique, une initiative qui est soutenue. Mais espérons que cela ne va pas se limiter aux trois Etats.

Minute.bf : Parlant d’unité africaine, ce retrait n’est-il pas une entrave à cette dynamique d’union que prône justement l’UA ?

MBS : Oui ! Comme je le disais tout à l’heure, le débat à l’interne à l’UA ou à la CEDEAO, c’est un débat qui a été en réalité étouffé. Il y a quelques semaines de cela, vous avez vu ce qui s’est passé à la CEDEAO avec l’altercation qu’il y a eue entre le député sénégalais et la députée ivoirienne. Moi, quand je regarde des choses comme cela, c’est du spectacle.

Mais les questions de fond, qui peuvent être soulevées au niveau de l’UA ou au niveau de la CEDEAO, si elles avaient été prises en compte, avec une considération pour faire des réformes profondes ; et faire en sorte que ce soit une unité africaine à la base avec les populations qui sont confrontées à des défis que les chefs d’État de l’Union africaine de ces rassemblements communautaires prennent en compte, aujourd’hui, on n’en serait pas là. Parce qu’il s’agit de toute l’Afrique qui doit prendre en main son destin, face à d’autres continents qui se sont se regroupés. En Europe, on a l’Union européenne qui est venue après l’Union africaine. Mais ils sont encore structurellement plus soudés pour exploiter l’Afrique que les Africains ne sont soudés pour se protéger. Uniquement pour se protéger, n’en parlons pas d’un pays comme les États-Unis. Ils sont allés à une dizaine d’États au départ, mais aujourd’hui, c’est une cinquantaine qui constitue un seul État fédéré. Mais l’Afrique, on en a combien ? On est toujours en train de nous balkaniser entre nous. C’est ça qu’il faut arrêter. Mais nous avons l’impression qu’il y a des gens qui tirent nos chefs d’État comme des marionnettes pour nous exploiter et surtout exploiter nos ressources. C’est ça qu’on dénonce.

Quittons maintenant le cadre de dénonciation pour poser des actes. Il faut agir. Et c’est ce que font le capitaine Ibrahim Traoré, le président Goïta et le président nigérien. Ils ont pris leurs responsabilités pour dire : nous allons arrêter. Mais arrêter, faire la rupture, ce n’est pas sans conséquences. Thomas Sankara disait chaque fois, qu’on ne s’attaque pas impunément à l’impérialisme. Ce sont des intérêts colossaux qui sont remis en cause et les autres vont réagir, parce qu’ils veulent toujours considérer l’Afrique comme leur colonie à exploiter. La jeunesse africaine dit ça suffit. Si nos devanciers, nos parents, nos grands-parents, ont pu être dans l’esclavage, dans la colonisation, ensuite il y a eu la néocolonisation, ça suffit. Nous, nous disons non et on assume. Et ça, c’est une politique essentielle et fondamentale qu’il faut entretenir pour redynamiser la question de l’unité africaine.

Minute.bf : Après leur retrait de la CEDEAO et la création de l’AES, le Burkina Faso, le Mali et le Niger se sont engagés dans la Confédération de l’Alliance des États du Sahel. Qu’en pense Me Sankara ?

MBS : C’est une excellente chose. C’est un noyau qui vient pour relever un défi que les Africains depuis plus de 60 ans, depuis l’appel du président Kwame N’krumah, attendent en vain. Il faut que l’Afrique soit unie pour aller de l’avant. On dit à quelque chose malheur est bon. Souvent, c’est dans les pires moments que vous êtes obligés de vous unir pour comprendre la nécessité fondamentale d’une unité. Et ironie du sort, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, sont les pays les plus pauvres de l’Afrique, qui ont décidé de prendre cet élan avec leurs peuples. Je dis bien avec leurs peuples parce que si les peuples ne s’engagent pas, tout ce que les trois présidents feront, n’aura pas d’effet. Ils ont décidé de s’engager dans une dynamique avec leurs peuples pour créer une synergie d’actions, pas seulement pour la souveraineté des trois États, mais de toute l’Afrique. Si jamais la vision est perçue dans les autres pays comme étant une vision novatrice de refondation même de la question de l’unité africaine, qui a échoué avec l’Union africaine (UA), avec les regroupements que nous avons, qui sont devenus en réalité des regroupements politiciens et de profit pour certaines personnes, l’AES est une autre expérience d’unité africaine. Gageons que cette expérience ne va pas échouer, si effectivement les trois chefs d’État arrivent à mobiliser leurs peuples autour de l’essentiel.

Minute.bf : L’actualité nationale est marquée par des réquisitions qui font des gorges chaudes. Les dernières en date sont celles des procureurs et magistrats. En tant que juriste et Sankariste, quelle appréciation faites-vous de cette question ?

Voici ce qu’en pense Me Sankara ⬇️

Minute.bf : Il y a aussi cette affaire de la reforme du Conseil supérieure de la magistrature (CSM) qui a créé la controverse au sein de la magistrature. Pensez-vous, comme certains de vos confrères, que cette reforme aura un impact sur l’indépendance de la Justice?

MBS : C’est un ensemble, parce que, ce que nous, nous avons dénoncé et combattu pour obtenir le Pacte sur le renouveau de la justice, c’est de faire de l’institution judiciaire un système indépendant. L’indépendance de la magistrature, c’est comme le cœur de l’homme dans son organisme. Si vous l’enlevez, ça ne veut plus rien dire. On a travaillé à faire en sorte que même le procureur soit indépendant, qu’il ait une liberté relative pour défendre l’ordre public. Et si aujourd’hui, on saute ce verrou, il n’y a plus d’indépendance de la magistrature; le magistrat doit répondre aux claques de l’exécutif et c’est fini. On ne parlera plus de la séparation des pouvoirs. Donc on comprend que ce soit dans un système unilatéral de pensée unique où personne n’a le droit de contester quoi que ce soit. Alors que la magistrature est là pour le monde comme garant de l’ordre social pour tout le monde, de toutes les libertés. Tout le monde aura recours un jour à la magistrature. Tout le monde ! Nous sommes tous des justiciables. Donc il faut travailler à protéger la magistrature.

Maintenant, il est vrai qu’à un moment donné dans le pacte, les magistrats ont travaillé à exclure le Chef de l’État qui est le garant de l’indépendance de la justice. C’est comme dans la constitution, on dit qu’il est le Chef suprême des forces armées. Il est le garant de la justice parce qu’il incarne la Nation. Mais, on n’a pas dit de faire une reforme pour créer une caisse de résonance. Le Conseil supérieur de la magistrature, c’est un organe qui veille sur l’indépendance des magistrats, règle leurs affectations, règle toutes les questions disciplinaires et travaille à garantir au-delà de cette indépendance-là, la justice. C’est regrettable, parce que ça divise la magistrature. Les magistrats sont divisés. Il faut travailler à éviter cela, parce qu’à un moment donné, les magistrats avaient retrouvé leur unité autour de leur syndicat. Donc, si vous divisez cela, un proverbe africain dit que « si tu te couches sur ta nuque et puis tu craches, ça retombe sur ta poitrine ». Ce sont des erreurs qu’il faut éviter.

Minute.bf : Une certaine opinion estime aujourd’hui qu’il faut réinstaurer les Tribunaux populaires de la révolution (TPR). Est-ce aussi votre souhait ?

MBS : S’il faut faire les TPR, il faut le faire. C’est dans le cadre de la réforme de la justice. Il y a eu beaucoup d’études sur les TPR.

Les magistrats ont mené une longue lutte pour aboutir à ce pacte (le Pacte sur le renouveau de la justice), parce que la magistrature, à un moment donné, avait été perçue comme une magistrature pourrie. Et c’était vrai, puisque les magistrats eux-mêmes disaient qu’il y a des magistrats de services, donc qui sont serviles, inféodés au pouvoir. Si nous retombons dans cela, c’est pour dire qu’il faut supprimer la justice. Si la justice n’existe pas dans un pays, ça devient la loi du Talion : œil pour œil, dent pour dent. Alors que, nous sommes dans des États modernes où la justice a un rôle à jouer, seulement, fondé sur des principes comme l’impartialité, dire le droit et rien que de droit, avoir des magistrats intègres et lutter pour une bonne gouvernance. Et la justice intervient justement comme le tremplin et de la liberté, et d’un état vertueux qui permet à la société de vivre en confiance. Quand on parle du vivre ensemble, s’il n’y a pas la justice, eh bien, vous êtes permanemment en guerre et personne ne va intervenir. Donc, ramener les TPR pour moi, c’est comme ramener la devise : La Patrie où la Mort , Nous Vaincrons. Seulement, il faut tenir compte du contexte et adapter les TPR au contexte actuel pour leur permettre d’être plus efficaces et leur permettre aussi un accès plus équitable et plus grand à l’ensemble des Burkinabè.

Minute.bf : Parlons politique maintenant. La levée de la mesure de suspension des activités des partis politiques est toujours attendue des hommes politiques que vous êtes. Pensez-vous que la reprise des activités des partis politiques peut être une partie de la solution au phénomène du terrorisme ?

MBS : Vous savez, cette suspension est une suspension qui, juridiquement, n’existe pas. Moi, je n’ai jamais vu un texte, un décret, même pas un arrêté, qui suspend les activités des partis politiques. Je me souviens qu’à l’époque, j’étais encore à la tête du parti l’UNIR/MPS quand Damiba a reçu les partis politiques pour leur dire que l’armée a fait un coup d’État parce que, entre autres, les partis politiques sont responsables de la situation ; et que donc, on va leur demander de suspendre leurs activités en attendant. Jusqu’à présent, c’est comme si c’est sur une injonction verbale de l’autorité que les activités ont été suspendues.  

Me Bénéwendé Sankara considère que les partis politiques ne sont suspendus, qu’ils sont plutôt « en berne », eu égard à la situation nationale

Et comme la situation, le contexte de guerre, de terrorisme, est une réalité, je pense que les partis politiques burkinabè qui sont des partis républicains, ont simplement pris acte et évitent justement de poser des actes politiques de nature à gêner l’activité des autorités à l’heure actuelle. Mais vous voyez que les partis politiques font quand même souvent des communiqués. Ça veut dire qu’ils sont là, mais en berne. Ils ne posent pas d’actes statutaires. Les partis politiques ont été même associés à la Charte, à l’élaboration de la Charte. Donc, on ne peut pas vouloir d’une chose et son contraire. Maintenant, chaque parti politique avisera. Mais c’est l’occasion aussi pour certains partis de disparaître de la scène politique, de mourir de leur belle mort.

Minute.bf : Justement, pensez-vous que c’est une occasion pour réduire le nombre des partis politiques au Burkina Faso ?

MBS : Parfaitement ! D’ailleurs, c’est une question qui était en étude avant même le coup d’État. Des réformes avaient été proposées dans le cadre du gouvernement, pour revoir la Charte des partis politiques et faire une refonte. C’est ridicule d’avoir 100 partis politiques qui ont le même programme. C’est ridicule !

Avant, quand vous prenez même les partis sankaristes, on avait plus d’une dizaine qui se réclamaient de Sankara. Qu’est-ce que cela veut dire ? Souvent, quand vous prenez les statuts, les règlements intérieurs, à la virgule près, c’est la même chose, sauf que quelqu’un veut un récépissé pour être président.

Ça apporte quoi au plan politique, au plan du renforcement de la démocratie, de la cohésion sociale, ça rapporte quoi ? Donc, moi je suis de ceux qui pensent toujours qu’il faut une véritable refonte de l’activité politique, je ne dirais pas des partis politiques mais de l’activité politique pour l’intégrer dans le sens d’un débat sincère d’idées de construction de notre société. Une société ne peut pas se construire sans idéologie, ce n’est pas possible. Ce sont des valeurs. Quand vous prenez tous les pays qui se développent, que ce soit l’Inde, la Chine, le Vietnam ou bien les pays latino-américains, dans leur histoire, vous verrez que culturellement, ils ont intégré ce qu’ils ont comme valeurs. Et le Burkina Faso en a. C’est ça qu’il faut codifier et transformer en une offre politique pour les Burkinabè.

Quand le président Sankara est arrivé, l’offre politique qui a rassemblé tous les Burkinabè, c’est d’abord de dire nous sommes un pays d’hommes intègres. Ça, c’est fondamental. C’est pour nous faire respecter d’abord dans le concert des Nations. Nous sommes intègres, ça, c’est important. Il n’est pas donné à n’importe qui de taper sa poitrine et dire qu’il est intègre. Et maintenant, il a pris des actions en conséquence. Je citais tout à l’heure les TPR (Tribunaux populaires de la Révolution ndlr). Mais avant, il y en a qui se disaient intouchables, mais quand on a démystifié la justice, on s’est rendu compte qu’on pouvait juger un député, un ministre, un Chef d’État, tout le monde a dit mettons-nous au pas pour respecter la chose publique.

Maintenant sur le plan économique et sociale, il y a eu des réalisations, il y a eu des travaux d’intérêts communs. Mais à un moment donné, on a détruit cela. Et la jeunesse, vous ne pouviez plus la mobiliser que sur des espèces sonnantes et trébuchantes, alors que les gens adhéraient parce qu’ils étaient patriotes. C’est ce sentiment-là qu’il faut faire revivre et décliner une vision programmatique de construction de ce pays.

Mais, il y a un préalable : sans sécurité, c’est difficile. Si vous construisez des écoles ou des maternités, des dispensaires qui sont quelques temps après détruits, c’est compliqué.

Parce qu’on a des zones occupées où il est difficile d’aller et parler de développement parce que les gens cherchent d’abord à vivre. Et là, je crois que les partis politiques ont un rôle qui est de pouvoir mobiliser pour soutenir l’action qui est en train de se mener pour sécuriser le Burkina Faso. Maintenant, il faut travailler effectivement à éviter les contradictions inutiles pour aller de l’avant.   

Minute.bf : L’activité politique actuellement est rythmée par des sorties et manifestations des défenseurs de la transition qui se font appeler les Wayiyans. Quelle analyse faites-vous des actions de ces regroupements ?

La réponse dans cette vidéo ⬇️

Minute.bf : Il se sursurre que Me Sankara murmure aux oreilles du Capitaine Traoré. Est-ce avéré ?

MBS : Ce n’est pas une réalité ! C’est archifaux !

Minute.bf : Si vous aviez le président Ibrahim Traoré en face de vous, que lui diriez-vous ?

La réponse dans cette vidéo ⬇️

Minute.bf : Nous tirons vers la fin de notre entretien; quel appel avez-vous à l’endroit des populations, des FDS et VDP, dans ce contexte de lutte contre le terrorisme ?

MBS : C’est la mobilisation et encore la mobilisation. C’est notre pays. On n’a pas un autre pays. Si nous capitulons, nous serons tous des esclaves d’autres personnes. Donc, il faut que chaque Burkinabè comprenne que dans la lutte qui est menée, il faut que les sacrifices que nous faisons soient les mêmes sacrifices, pour sauver le pays et revenir à une sérénité qui permet à chaque Burkinabè de gagner son pain dans la liberté.

Je ne saurais terminer mon propos sans avoir une pensée pour les victimes récentes de Barsalogho, et bien-sûr, toutes les victimes depuis ces attaques qui, depuis bientôt une dizaine d’années, endeuillent le Burkina Faso. Le Burkina est très éprouvé, mais c’est aussi un appel et une invite à nous ressourcer, à nous armer d’espoir et de courage et cela, une fois de plus, explique la nécessité de l’union de tous les Burkinabè. Il nous faut une union sacrée pour avancer.

Je vous remercie !

Propos recueillis par Mathias KAM, Oumarou KONATE et Jean-François SOME

Minute.bf

7 Commentaires

  1. Merci Mr benewendé Sankara pour votre analyse de la situation nationale de la reconnaissance des actions entreprises par le gouvernement pour le bien être de notre pays et votre vision sur d’autres manquement que le gouvernement doit revoir et surtout votre appel à chaque intervention à l’union de tous les burkinabè m’a beaucoup marqué : tous unis pour la partie nous vaincrons

  2. 99% maître SANKARA est administrateur du capitaine IB ses réponses en témoigne… Nous ferons tout pour que réunisse cette révolution populaire si non nous serons à jamais les esclaves des puissances impériales.Merci pour ce encouragement et ses conseils utiles…

  3. Merci beaucoup maître Sankara. En tout cas, nous ne voulons plus un 15 octobre 1987 bis. Nous avons eu l’homme qu’il nous faut.
    Vive le président du Faso le capitaine Ibrahim Traoré. Vive tout le gouvernement. Ils font du bon travail. La patrie ou la mort nous vaincrons.

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