Le handicap c’est dans la tête, a-t-on coutume d’entendre. Ce dicton, Benoît Kouka Kaboré se l’est approprié dès l’instant où il a su que ses yeux ne reverraient plus la lumière du jour. Plutôt que de céder au découragement et à la fatalité, cet aveugle a choisi de se battre. Pour ce faire, il a appris la mécanique et les lavages motos qu’il exerce à la perfection, au quartier Paglayiri de Ouagadougou. Minute.bf est allé a sa rencontre !
Kouka a perdu la vue quand il était encore dans la vingtaine. Tout est parti d’un simple mal d’yeux qui l’a terrassé il y a de cela 17 ans. Un mal à l’origine inconnu qui va lui ôter toute chance de revoir le jour. Malvoyant, il a décidé de faire de son handicap, une motivation de lutte. Après un passage au centre de formation professionnelle pour personnes en situation de handicap de Nagrin, où, il a appris les rouages de la mécanique pour deux roues, l’aveugle a ouvert un garage dans son quartier à Paglayiri pour réparer motocyclettes et vélomoteurs. « Quand ma maladie s’est déclenchée et que j’ai su que je n’allais plus revoir la lumière du jour de ma vie, j’ai décidé d’apprendre la mécanique. Je suis allé m’inscrire au centre à Nagrin où j’ai appris cela pendant quelques mois. C’est vrai que je suis un handicapé mais j’ai carrément refusé de mendier. C’est la principale motivation qui m’a amené à faire la mécanique », nous confie notre interlocuteur.
Réparer motos et vélos n’a plus de secret pour lui. Clés en mains, il démonte, répare et remonte la ferraille, en dépit de l’absence de sa vue.
Pour réparer un engin, il dispose de plus d’une technique dans son sac-à-savoir. Pour le collage du pneu d’un engin par exemple, Benoît Kouka a développé une technique propre à lui et adapté à son état. « Pour coller le pneu crevé d’un vélo par exemple, je pompe d’abord le pneu et j’écoute attentivement pour déceler là où se trouve le trou d’air. Une fois l’orifice décelé, j’y place un doigt. Je gratte et je mets la colle. Après, je remplis le pneu d’air et le tour est joué. C’est ainsi de suite que je fais et j’arrive à réparer les engins. Il y a plusieurs techniques que j’utilise quand une situation se présente à moi », explique notre mécanicien atypique.
Son dynamisme et son professionnalisme à la tâche ont fidélisé sa clientèle. Dans le quartier, il s’est fait un nom et une certaine renommée qui font que son garage ne désemplit pas. A la mécanique qu’il exerce à la perfection, Benoît Kouka y a associé le lavage des engins. Il a installé sur les lieux, du matériel de lavage et propose ses services à ses clients pour l’entretien de leurs engins. Chez Benoît, tout est fait de sorte que le client ne se rende même pas compte que sa moto ou son vélo a été entretenu par une personne non-voyante. « Par jour, je peux réparer au moins 09 à 10 engins, motos et vélos confondus. Souvent quand le marché est bon, j’arrive même jusqu’à 15 et des fois je remets même certains au lendemain parce que je suis débordé. En tout cas, en la matière, les gens me font confiance », atteste-t-il à notre micro.
Des détails dans cette vidéo ⤵️
Une clientèle satisfaite
Si les clients de Kouka apprécient son travail, c’est surtout parce qu’il y met du sien à la tâche. En effet, pour ce mécanicien-laveur, chaque moto à lui confiée est un défi à relever, une marque de confiance à mériter. Il s’y adonne donc avec beaucoup d’entrain. « Dans la vie quand tu veux faire quelque chose, il ne faut pas le faire à moitié. Il faut le faire bien de sorte à ce que quel qu’en soit l’issue, on puisse reconnaître au moins que tu as fait de ton mieux. Quand quelqu’un envoie sa moto ici, que ce soit pour réparer ou pour laver, je fais comme si la moto m’appartenait. Je ne m’amuse pas. Je pense que c’est ça qui fait que les gens ont confiance en moi. C’est vrai que ma situation peut susciter de la compassion, mais je pense que le travail y est pour quelque chose au niveau de mes clients », dit-il. Et il ne semble pas avoir tort. C’est aussi ce qu’estime Amadou Bougouma, l’un de ses fidèles clients.
« Je suis dans le quartier et à chaque fois que ma moto est malpropre, je viens la lui confier pour qu’il la lave. Mais pour dire vrai, toutes les fois où je reviens récupérer mon engin, je suis toujours ébahi tellement c’est propre et bien lavé. On ne dirait pas que c’est lui-même qui a fait le travail. Il est vraiment dynamique. Parfois, si je viens trouver qu’il n’est pas là, je préfère attendre qu’il vienne au lieu de donner a laver ailleurs, parce que j’ai confiance en lui. Il y a des gens même qui ne sont pas dans sa situation, mais qui ne peuvent pas faire comme lui », témoigne ce fidèle client.
Pour lui, le cas de Kouka est une école de vie à enseigner aussi bien aux personnes vivant avec un handicap, mais aussi à la jeunesse dans sa globalité. « C’est un exemple. Malgré qu’il ne voit pas, il a refusé d’aller s’arrêter aux feux tricolores pour mendier. C’est cela qui me touche. Donc c’est pour dire aux autres personnes en situation de handicap que ce n’est pas parce que tu es handicapé que tu dois forcément mendier. Tu peux faire quelque chose de tes dix doigts et t’en sortir. Donc en chaque chose, il ne faut pas baisser les bras », recommande-t-il.
Comme lui, Achille Ouédraogo fréquente aussi le garage de Benoît. Il ne manque pas l’occasion de lui confier son engin par moment, soit pour une réparation, soit pour un lavage; et il en ressort toujours satisfait. « Moi à chaque fois que je veux faire la vidange de ma moto, c’est ici que je viens. Que ce soit pour le lavage ou même une panne, quand je viens, je suis toujours satisfait. En tout cas, il abat un bon travail. Je ne peux que l’encourager dans ce qu’il fait », indique Achille Ouédraogo qui invite les bonnes volontés à encourager le non-voyant afin qu’il émerge dans son activité. « J’invite les gens à l’encourager, parce que c’est un exemple pour les autres personnes handicapées. Quand ils vont voir cela, ils vont comprendre que ce n’est pas forcé qu’ils aillent mendier parce qu’ils ont un handicap, mais qu’ils peuvent aussi s’en sortir ailleurs. Donc si les autorités peuvent l’encourager dans son travail c’est très bien », exhorte t-il.
Des rêves pour mieux faire
En attendant que cette exhortation trouve un écho favorable auprès de bonnes volontés, l’aveugle Kouka Kaboré poursuit son bonhomme de chemin. Et en dépit de son handicap, il rêve grand. Au nombre des rêves qu’il souhaite réaliser de tout son coeur, Kouka veut moderniser et agrandir son espace de travail. Il espère s’acquérir une machine à pompe pour ses lavages ainsi que des instruments de travail pour son garage. Mais pour obtenir cela, notre antifataliste compte d’abord sur ses propres moyens. Il dit avoir foi qu’il va y arriver et pour cela, il dit redoubler d’ardeur au travail. « Dans la vie, quelqu’en soient tes problèmes, il ne faut jamais être une charge pour les autres. Si quelqu’un voit ta situation et qu’il pense que ce que tu fais est bien et qu’il peut t’aider, c’est bien. Mais dire que tu vas passer ton temps à implorer la pitié des gens, là, il faut l’éviter. Dans ce cas, tu deviens une charge pour la société. C’est ce que j’ai toujours voulu éviter et c’est pour cela que je me bats tous les jours », lâche le forcené qui appelle ses pairs vivant avec un handicap à l’espoir et à se trouver des métiers adaptés à leurs conditions.
Oumarou KONATE
Minute.bf