samedi 27 juillet 2024
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Procès des Réquisitionnés : Rasmané Zinaba, Issaka Lingani et Bassirou Badjo obtiennent gain de cause

Les débats dans le cadre du « référé liberté » des avocats des personnes réquisitionnées se sont tenus au tribunal administratif, ce mercredi 06 décembre 2023. A l’issue des débats, la juge des référés a ordonné la suspension des réquisitions à l’endroit de Bassirou Badjo, Rasmane Zinaba et Issaka Lingani, qui ont attaqué l’ordre de réquisition. Elle a également ordonné au Commandement des Opérations du Théâtre National (COTN) d’annuler la procédure de déploiement de ces derniers au front.

Les avocats des personnes réquisitionnées estiment dans ce référé-liberté, que leurs clients sont inquiétés du point de vue de leurs libertés d’opinion, d’aller et venir et de leur droit à ne pas être soumis à des tortures. Ils demandent donc au juge des référés « d’enjoindre à l’Etat burkinabè de prendre des mesures pour garantir ces libertés à leurs clients ». 

Selon les avocats, si leurs clients ont été réquisitionnés pour le front, « c’est en raison du meeting qu’ils projetaient d’organiser le 31 octobre pour donner leur opinion sur la situation du pays ». Ici donc, selon eux, la remise en cause de la liberté d’opinion est constituée. Quant aux menaces, Me Prosper Farama a relevé qu’elles relèvent de deux ordres : les menaces privées et les menaces étatiques. « On a vu des gens proférer des menaces à ces personnes avec des machettes sans être inquiétés. Tout simplement parce qu’ils ont donné leur opinion. Ça, c’est une atteinte grave à leur liberté d’opinion », a dit regretter Me Farama en ce qui concerne les menaces qu’il qualifie de privées. Sur les menaces étatiques, il a pointé du doigt l’une des déclarations du chef de l’Etat sur la réquisition du Docteur Louré. « Le président avait lui-même laissé entendre ceci : Vous dites que la place d’un médecin, c’est pas au front. Mais est-ce que le rôle d’un médecin, c’est de critiquer ? », a rappelé Me Farama. 

Il a aussi cité en exemple le cas du Dr Daouda Diallo, coordonnateur du Collectif contre la stigmatisation des communautés (CISC), que des images sur les réseaux sociaux ont montré en tenue de combat « alors que les réquisitions ont été attaquées et que la procédure suit toujours son cours ». 

Pour les avocats, il y a un « détournement de pouvoir » dans ces réquisitions. Ils ont soutenu que la loi sur les réquisitions est fondée sur la « nécessité ». « Quelle est la nécessité que M. Zinaba soit réquisitionné? Qu’est-ce qui justifie que M. Badjo soit réquisitionné ? Le but poursuivi ici, c’est quoi ? », a interrogé Me Guy Hervé Kam. 

Me Prosper Farama a ajouté qu’il y a des droits auxquels on ne peut porter atteinte quelle que soit la situation. Il s’agit notamment à l’en croire, des libertés fondamentales comme celles mises en cause dans la présente affaire. « Il y a des droits auxquels l’Etat peut mettre des limites quand les conditions l’exigent, mais la liberté d’opinion ne fait pas partie de ces droits-là. Ce sont des libertés indérogeables auxquelles on ne peut pas toucher », a-t-il dit. 

Pour ce qui est du « droit à ne pas être soumis à la torture », les avocats estiment que ce droit de leurs clients est menacé, au regard d’un certain nombre de faits observés ces derniers temps notamment avec les cas du Dr Daouda Diallo et de l’activiste Wendpouiré Charles Sawadogo. Ces derniers ont vu leurs images en tenue de combat relayées sur la toile alors qu’ils auraient été réquisitionnés pour le front. « C’est une torture morale. La loi stipule clairement que les réquisitions ne doivent pas avoir pour but de punir ou d’intimider. Quand on vous réquisitionne dans le but de vous punir ou de vous intimider, humainement, est-ce qu’on ne peut pas considérer que c’est une sorte de torture ? », a demandé Me Prosper Farama. 

« Regardez le Docteur Diallo qui vient d’être réquisitionné. Nous, nous n’avons pas connaissance qu’en période de guerre, on publie les images des personnes qui vont en guerre. En publiant une telle image, nous, nous sommes en droit de penser que ces personnes ont été soumises à un traitement inhumain et dégradant », a ajouté Me Hervé Kam.  

Et Me Prosper Farama de renchérir : « Mme la présidente je suis sûr qu’en toute humanité, vous-même quand vous avez vu les images du Dr Diallo, vous avez eu un pincement au cœur. C’est inhumain et dégradant. Même ceux qui sont au front, nos militaires qui sont au front, ils portent des masques. Comment comprendre que les professionnels eux-mêmes se protègent alors que ceux qui ne le sont pas sont exposés ? », a-t-il questionné. 

Outre ces points, les avocats ont demandé à la juridiction d’enjoindre à l’État, la cessation des réquisitions. Cependant, Me Prosper Farama a précisé que ce n’est pas la réquisition en elle-même qui constitue le problème, mais le « caractère punitif » que laissent percevoir ces cas-ci. Pour lui, tous les faits observés confortent l’idée selon laquelle ces réquisitions s’inscrivent dans une dynamique de sanction. « Nous souhaitons que vous ordonniez la cessation immédiate de cette réquisition, pour laver votre main de cette affaire parce que, sinon, la justice elle-même risque de parrainer l’injustice », a soutenu Me Kam. 

Sur l’urgence de ce référé liberté, les avocats ont laissé savoir que leurs clients en l’occurrence Rasmane Zinaba, Bassirou Badjo et Issaka Lingani sont incapables, à ce jour, d’aller et venir et de dire librement ce qu’ils pensent. « Issaka Lingani, qui était sur les plateaux tous les dimanches ne peut plus le faire librement », a confié Me Kam. 

« Nulle part, l’illégalité de cet acte de réquisition n’a été relevé » (AJE)

S’attaquant aux arguments des avocats, le représentant de l’Etat burkinabè a axé son argumentation sur le caractère légal des réquisitions. Pour lui, pour que la légalité d’un acte soit attaquée, il faut que l’acte soit manifestement illégal. Pourtant, dans cette affaire, dit-il, l’acte de réquisition posé est prévu par la loi. « Si on enregistrait l’audience, vous auriez remarqué que nulle part, l’illégalité de cet acte de réquisition n’a été relevé pendant les discussions. D’ailleurs, toutes ces questions d’illégalité soulevées dans cette affaire sont des questions de fond et leur annulation ne saurait relever de votre juridiction Mme la présidente », a-t-il indiqué.

L’agent judiciaire de l’Etat a aussi battu en brèche les explications des avocats sur l’urgence de ce référé liberté. Il a indiqué que le caractère grave de ce référé n’est pas caractérisé, en raison du fait que certaines personnes parmi les réquisitionnés ne sont toujours pas inquiétées, après la notification de leur réquisition. « Certains parmi eux continuent même de donner leur opinion sur les plateaux de télévision sans être inquiétés. En plus, c’est eux-mêmes qui sont allés chercher les ordres de réquisitions. Donc je ne vois pas l’urgence ici », a-t-il déclaré.

Lire aussi ➡️ Burkina : Débats au tribunal sur les libertés des personnes réquisitionnées

Sur la liberté d’aller et venir, l’AJE a estimé que le front est aussi un endroit où l’on peut se mouvoir. « Là où ils seront envoyés, il n’est pas interdit d’aller et venir », a-t-il affirmé. Une déclaration qui a aussitôt fait réagir Me Prosper Farama : « Si l’AJE pense qu’on peut aller et venir au front, j’attends qu’ils viennent à la barre ici le démontrer », s’est offusqué l’avocat. 

Decision du juge des référés

Après une suspension d’une heure, la juge a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par l’agent judiciaire de l’État et a ordonné la suspension des réquisitions à l’endroit de personnes concernées par les réquisitions. La juge a également ordonné au Commandement des Opérations du Théâtre National (COTN) d’annuler la procédure de déploiement de ces derniers notamment Bassirou Badjo, Rasmane Zinaba et Issaka Lingani. 

Pour sa part, l’Etat burkinabè a dit prendre acte de cette décision et a affirmé qu’il va en aviser. « En tant que partie au procès, nous allons analyser froidement la décision prise par la juridiction et évidemment échanger à notre niveau et envisager les voies de recours qui nous sont offertes à travers les lois et les procédures qui existent au niveau de notre pays », a laissé entendre l’Agent judiciaire de l’État.

Voir la réaction de Me Prosper Farama, l’un des Avocats des personnes réquisitionnées, dans cette vidéo ⤵️

Pour information, le 04 novembre dernier, plusieurs figures qui avaient animé une conférence de presse annonçant un meeting le 31 octobre 2023 ont été notifiées de ce qu’elles étaient réquisitionnées pour le front. Des déclarations de condamnations demandant l’annulation de ces réquisitions fusent de partout. Politiques, syndicats, Organisations de la Société civile (OSC), organisations de défense de droits de l’homme, tous condamnent ce qu’ils qualifient d’atteinte aux libertés individuelles et collectives. Dans la foulée, trois des concernés notamment Rasmané Zinaba, Bassirou Badjo et Issaka Lingani attaquent leur ordre de réquisition devant les juridictions. Appuyés par un collectif d’avocats, ils demandent l’annulation des ordre de réquisition. L’audience est ouverte le 20 novembre 2023. Après plusieurs heures de débats, le tribunal administratif rejette leur demande. Suite à cela, les conseils des prevenus vont entamer une « procédure en annulation ». Mais en attendant l’aboutissement de cette procédure, ils saisissent le juge des référés pour demander un « référé liberté », c’est-à-dire le respect des libertés des personnes réquisitionnées, en attendant le jugement de la « procédure en annulation » dont l’instruction était en cours. Finalement, ils obtiennent gain de cause ce 6 décembre 2023, avec la présente décision rendue par la juge des référés.

Lire aussi : Rejet de la demande de suspension des réquisitions : Le collectif d’avocats entend faire appel de la décision du tribunal administratif

Oumarou KONATE

Minute.bf

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