Les mutilations génitales féminines (MGF), selon toutes les analyses des agents de santé et au regard des conséquences subies par des femmes victimes de cette pratique, ne présentent « aucun avantage » pour la santé et entraînent de graves conséquences physiques et psychologiques tout au long de la vie des femmes. L’excision est une mutilation génitale féminine qui consiste à couper une partie du clitoris, qui est un organe du sexe féminin servant à ressentir le plaisir sexuel. Cette mutilation est parfois accompagnée de l’ablation des petites lèvres génitales et de la suture des grandes lèvres génitales. Tous ces actes sont considérés comme des violences, car ils entrainent une mutilation ou une infirmité permanente. L’excision est donc un crime. Malgré le fait que cette pratique soit criminalisée et combattue, force est de constater qu’elle a la peau dure dans plusieurs pays d’Afrique, et même dans le monde entier. Au Burkina Faso, la lutte âpre menée contre ce phénomène a fini par développer d’autres initiatives chez les personnes qui la pratiquent. Il s’agit des MGF transfrontalières. Reportage sur cette pratique qui continue de faire des victimes!
La pratique de l’excision au Burkina Faso continue de faire des victimes. Même si cette pratique est criminalisée, force est de constater qu’elle perdure dans certaines zones du pays. www.minute.bf est allé à la rencontre de certaines victimes dans la province du Kénédougou, à Orodara.
Il est 7h20 minutes le 28 septembre 2021. Une équipe de Minute.bf embarque dans un véhicule de transport en commun pour parcourir environ 500 kilomètres. C’est parti pour une mission de trois jours, précisément du 28 au 30 septembre 2021. La destination est Orodara, cette belle ville connue pour les grâces que lui offre la nature. Les villes des délicieuses mangues. Après plus de 5 heures de route, c’est la ville de Sya qui nous ouvre ses portes. Il était un peu plus de 13h45 minutes. La compagnie que nous avions empruntée fait également la navette entre Bobo-Dioulasso et Orodara, distant d’environ 75 kilomètres. Mais nous devrons regagner à cet effet, la « gare d’Orodara ». Il était déjà 14h. Le car devrait pourtant bouger à 16h. Après quelques heures de repos, nous prenons place dans le long bus de plus de 60 places. Le car était plein. Destination Orodara. Il était déjà 16h30 minutes. Les crevasses et nids de poules qui ont détérioré ce tronçon ont contraint le conducteur à rouler à une vitesse adaptée aux exigences de la route. Les secousses nous ont tenu compagnie pendant au moins 2 heures de temps avant que Orodara ne décide de nous tendre les mains. Il était déjà 18h40 minutes quand le bus a stationné à la gare de Orodara.
Dans cette ville située dans la région des cascades, nous avions rendez-vous le 29 septembre 2021 avec Odette et Habibou, la première est témoin des conséquences de l’excision et la seconde en a été victime. A Orodara dans le Kénédougou, la lutte acharnée contre les MGF a permis d’avoir une tendance baissière de la prévalence, mais le mal persiste car de l’autre côté de la frontière, la pratique se poursuit et nuit aux vies des femmes.
L’excision est une « terreur »
Habibou (nom d’emprunt) est ménagère, deuxième fille d’une famille de 22 enfants. Né en 1953 à Bobo-Dioulaso, elle est un pur produit de l’excision. Elle l’a d’ailleurs subie dès son bas âge, sa mère avant elle, tout comme la dizaine de sœurs qu’elle a dans cette « grande famille ». Elle rêvait d’être une grande fonctionnaire à l’époque, lorsqu’elle était inscrite à l’école dans la cité des Silures sacrés. Après son CEP, elle a été retirée de l’école et donnée en mariage à un homme en 1979, avec qui elle a fondé une famille et est aujourd’hui mère de six enfants dont trois filles et trois garçons. Ces filles ont toutes été excisées pendant qu’elle était à Bamako avec son mari commerçant. Après 13 ans passés dans la capitale malienne, le couple revient au bercail en 2005.
Vidéo- Habibou dénonce une « mauvaise pratique » contre la femme
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De toutes ses trois filles qui ont subi l’excision, deux d’entre elles ont pu avoir des enfants avec leur mari, mais une n’a pas encore eu la chance d’être mère. Elles vivent toutes avec le manque d’un organe. « Je sais que nous ne sommes plus complètes. Mais, c’était comme cela avant. La femme doit obligatoirement passer par là », se résigne-t-elle à dire. « J’ai été excisée lorsque j’étais tout petite. Je ne me rappelle plus la date. Mais je sais que j’étais en classe de CP2. C’était à Bobo-Dioulasso (actuel capitale économique du Burkina Faso)», murmure-t-elle d’une voix basse, avant de confier qu’après cette expérience « amère », l’organe qui avait subi l’ablation « a repoussé ». Mais, elle a été épargnée cette fois-ci d’une deuxième « terreur ».
Habibou et ses filles ont été victimes d’une pratique traditionnelle. C’est la coutume qui l’exigeait. Bonne ou mauvaise pratique ? Des réponses lui envahissent la tête. « Il y a une localité située à quelques kilomètres de chez nous ici (Orodara) où les femmes ne sont jamais excisées. Mais j’ai plusieurs fois vu des hommes de chez nous qui n’arrivent pas à fonder une famille avec elles. Ces femmes sont régulièrement renvoyées », nous confie Habibou, 68 ans, pour qui, certains hommes aiment plutôt les femmes excisées. Et les conséquences ? C’est là où le bât blesse. Les conséquences sont « énormes », reconnaît Habibou. Des femmes ont eu des complications pendant l’accouchement, ou ont des difficultés à satisfaire les désires libidinaux de leur conjoint. Cela est aussi souvent cause de répudiation, chez les hommes qui n’arrivent pas à les comprendre. Aujourd’hui, après avoir été sensibilisée sur les méfaits de cette pratique, Habibou s’est engagée dans la lutte contre l’excision au Burkina Faso. Elle invite toute personne qui menait cette pratique à y mettre un terme parce que « c’est une mauvaise chose ».
« Ma grande sœur a failli y laisser sa vie »
Odette (nom d’emprunt) est âgée de 29 ans. Elle par contre, a eu la chance d’être épargnée de la terreur de la lame. Mais, sa grande sœur Emilienne n’a pas eu cette chance. Fille aînée de sa famille, Emilienne (nom d’emprunt), 36 ans, traîne depuis sa tendre enfance, les séquelles de cette pratique. En effet, selon les explications d’Odette, commerçante à Orodara, qui a accepté de témoigner sur le cas de sa sœur qui était absente, c’est en Côte d’Ivoire que tout a commencé. Leur grand-mère décide de faire venir une exciseuse d’un autre village, pour « faire d’Emilienne une femme ». C’est là que tout dégénère.
Emilienne est excisée, privée à jamais de son clitoris et hanté par la lame. Le pire est qu’elle restera marquée par les séquelles de cette pratique. « Ma grande sœur est victime. De la grossesse à l’accouchement, elle a presque côtoyé la mort. Si mes petites sœurs et moi avions été épargnées, c’est parce que notre mère a vu les dangers liés à cette pratique, avec l’effet que cela a créé sur notre sœur ainée », confesse Odette, le visage pâle avec des lèvres tremblotantes. Elle nous plonge dans un petit silence après son profond soupir. Quelques secondes après, elle demande à se rafraichir la gorge qui était nouée. Elle avale lentement quelques gorgées d’eau fraîche, avant de reprendre ses propos, en nous esquissant un petit sourire, comme pour nous rassurer que l’entretien peut se poursuivre.
« L’excision est une très mauvaise pratique parce qu’elle prive la femme d’un de ses organes. La femme n’est plus entière. C’est une pratique qui a beaucoup de conséquences. Il y a les maladies sexuellement transmissibles comme le sida, mais aussi des complications pendant l’accouchement ou les rapports sexuels », avoue-t-elle.
Aujourd’hui, Emilienne est mariée, et est mère d’une fillette de 7 ans. Elle a juré de ne jamais exciser ses enfants. « Pendant les rapports sexuels, elle a des difficultés à satisfaire les besoins libidinaux de son époux. Elle a aussi eu des complications extrêmes à son accouchement », révèle Odette.
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Nous avons pu entrer en contact avec Emilienne qui, aujourd’hui, vit avec le poids de cette tradition. « J’ai des difficultés à faire les rapports sexuels avec mon époux. J’ai plusieurs fois contracté des grossesses après la naissance de notre fille, mais j’ai toujours fait des fausses couches. Cette pratique doit s’arrêter pour sauver des vies », s’époumone-t-elle.
Pour sa part, Odette estime qu’il y a lieu de « protéger la femme et sa dignité ». Aujourd’hui, leurs parents sont contre cette pratique. Issue d’une famille de 7 enfants dont 6 filles et un garçon, seule la grande sœur Emilienne a été excisée. « Les parents, après avoir vu les conséquences de cette pratique sur Emilienne, n’ont plus jamais voulu ôter à leurs filles cette grâce de vivre libre et digne, et de se sentir entière », eructe Odette.
Vidéo – Odette s’engage à lutter contre les MGF
Une tendance baissière de la prévalence de l’excision à Orodara
A Orodara, la prévalence de l’excision est baissière. Aucun cas n’a été signalé depuis le début de l’année 2021 à la police nationale engagée également dans la lutte contre cette pratique. Mais le risque aujourd’hui, confirme une source policière, est que la position de la province du Kénédougou ne facilite pas les choses. En effet, certaines personnes, conscientes que cette pratique est combattue au Burkina Faso, préfèrent donc transiter vers le Mali voisin situé à quelque 50 kilomètres de Orodara, pour faire exciser leurs enfants.
Il faut rappeler que le Mali n’a pas encore criminalisé l’excision. Une plainte avait même été déposée en décembre dernier par les Organisations de défense des droits des femmes (Equality Now, Institute for Human Rights and Development in Africa, l’Association Malienne pour le Suivi et l’Orientation des Pratiques Traditionnelles et l’Association pour le Progrès et la Défense des Droits des Femmes) contre Bamako devant la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), lui reprochant de ne pas avoir adopté de loi interdisant les mutilations génitales féminines, dont l’excision.
Notre source policière a donc souhaité qu’il y ait une lutte commune des deux pays contre cette pratique, ce qui pourra facilement mettre fin à l’excision. « La difficulté, c’est la proximité avec la frontière. Avec le coronavirus, les frontières sont fermées, malgré cela, il y a des voies de contournement qui permettent à des gens de traverser chaque jour la frontière pour se retrouver au Mali. », a déploré notre source.
Le coronavirus, autre entrave à la lutte contre les MGF
Depuis l’apparition du Covid-19 en mars 2020 au Burkina Faso, les structures en charge de la lutte contre les MGF ont rencontré plusieurs difficultés. Le coronavirus a impacté tous les secteurs d’activés. Le Secrétariat Permanent du Conseil national de Lutte contre la Pratique de l’Excision (SP/CNLPE) n’en est pas en reste. Les activités de mobilisation sociale telles que les causeries, les grandes rencontres avec les différentes communautés, ont été impactées par la pandémie. Le confinement qui rimait avec absence de mouvement a aussi paralysé certaines actions du SP/CNLPE. Cela a eu un impact sur la mobilisation financière dans la lutte contre les MGF. « La période du Covid-19 qui a restreint la mobilité a aussi joué sur la pratique. Certaines personnes ont sans doute profité de cette période pour exciser leurs enfants. Durant cette période, nous n’avons pas reçu de dénonciation contre cette pratique », nous confiait une source au SP/CNLPE qui invitait de ce fait toutes les populations témoins de cas d’excision à dénoncer les auteurs en appelant au 80 00 11 12.
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Pour sa part, Philomène Kaboré/Zongo, éducatrice sociale à la retraite, par ailleurs ancienne directrice provinciale de l’action sociale de Orodara, point focal de l’ONG Voix de femmes à Orodara, a souhaité que des moyens soient mobilisés par les autorités pour faciliter la sensibilisation auprès des communautés en vue d’accentuer la lutte contre cette pratique qui se déroule actuellement de « manière clandestine ». Aussi, a-t-elle dénoncé les MGF transfrontalières qui se sont développées ces dernières années, plombant ainsi d’autres actions de sensibilisation.
Video – Philomène Kaboré donne plus de détails sur les MGF transfrontalières développées dans le kenedougou
Le Burkina Faso a criminalisé l’excision
Le Burkina Faso fait partie des pays les plus touchés par le phénomène des mutilations génitales féminines. C’est pourtant l’un des pays en Afrique à avoir adopté une loi contre la pratique de l’excision, à la différence qu’il n’y a pas de loi spécifiquement réservée à la question des Mutilations génitales féminines (MGF). Les articles qui répriment la pratique sont inclus dans le code pénal.
Plusieurs auteurs et complices d’excision sont passés à la barre pour répondre des faits à eux reprochés. Certains ont été condamnés conformément aux dispositions de la loi à cet effet.
En plus de la criminalisation de l’excision, plusieurs initiatives sont développées au Burkina Faso pour apporter une nouvelle chance aux filles et femmes excisées, qui rencontrent des complications. Il s’agit de la chirurgie de réparation des séquelles des MGF. Des associations et/ou ONG apportent leur soutien à ces victimes d’excision par une chirurgie réparatrice. Cela permettra à toutes ces victimes de rendre un peu justice à leur corps, et de se sentir digne d’être une femme épanouie.
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Armand Kinda
Minute.bf