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mardi 21 mai 2024

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Épidémie de Dengue : « Les personnes drépanocytaires sont susceptibles de faire la forme sévère » (Dr Gloria Berges)

Le Burkina Faso est touché depuis quelques mois, par une épidémie de dengue. À la date du 5 novembre 2023, le pays a enregistré 95 785 cas suspects dont 42 516 cas probables et 421 décès, selon les chiffres du ministère en charge de la santé. Dans ce contexte, les personnes atteintes de drépanocytose paient le plus lourd tribut. En effet, le constat révèle que le plus grand nombre de décès de dengue à la date d’aujourd’hui est enregistré parmi les patients drépanocytaires, enfants comme adultes. Alors, qu’est-ce qui explique ce fait ? Quels comportements adopter dans ce contexte d’épidémie lorsque l’on est drépanocytaire? Quelles sont d’ailleurs les manifestations de la drépanocytose ? Pour donner des réponses à toutes ces questions, Minute.bf s’est entretenu avec Docteure Gloria Berges/Damoaliga, médecin drépanocytologue en service à l’hôpital protestant Schiphra. Entretien !

Minute.bf : Bonjour Docteure, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs s’il vous plaît ?

Dr Berges : Je suis Dr Berges/Damoaliga Gloria, médecin de santé publique à l’hôpital protestant Schiphra, référent de la prise en charge de la drépanocytose au centre d’initiative contre la drépanocytose (CID/Burkina).

Minute.bf : Quand dit-on qu’une personne est
drépanocytaire?

Dr Berges : La drépanocytose, c’est une maladie du sang, tout simplement. C’est une maladie génétique dans laquelle on retrouve une anomalie des globules rouges. Cette anomalie conduit à la falsi-formation des globules rouges qui sont normalement biconcaves, rouges et engorgés de beaucoup d’oxygène. Mais chez le drépanocytaire, il sera en forme de croissant lunaire, ou en forme de fossile. Ce qui fait qu’au lieu d’avoir une durée de vie de 120 jours, ces globules rouges falsi-formés auront une durée de vie de 25 jours. Cela entraîne pas mal de phénomènes après, d’où les manifestations que nous constatons. Donc, la drépanocytose est cette maladie du sang dans laquelle le globule rouge falsi-formé est appelé hémoglobine S. Un patient drépanocytaire est un patient qui a une anomalie totale de ce globule rouge. Donc, les SC, c’est-à-dire les S plus une autre malformation de type C, c’est une hémoglobinopathie. Les SC, les S bêta thalassémies et S plus une autre anomalie, c’est ceux-là qu’on appelle
malade de la drépanocytose. Sinon, ceux qui sont AS, ce sont des porteurs du trait de drépanocytose. Eux, ils transmettent la maladie, mais, ils ne la manifestent pas.

Dr Gloria Berges/Damoaliga, Médecin drépanocytologue en service à l’hôpital protestant Schiphra

Minute.bf : Comment peut-on reconnaître une personne drépanocytaire?

Dr Berges : Pour reconnaître un patient drépanocytaire, c’est déjà par une prise de sang. Quand on fait l’électrophorèse de l’hémoglobine, on verra quel type de globule le patient a et on saura s’il est drépanocytaire. Cependant, même quand on n’a pas cette possibilité, il y a des signes, des manifestations qui ne trompent pas. Un enfant qui a des douleurs ou un adulte qui a des douleurs aux os, ça, c’est le maître-symptôme que tout le monde sait, d’où le nom dans les langues vernaculaires qui disent que c’est la maladie des os. C’est la manifestation essentiellement dans les os. Mais il n’y a pas que la manifestation dans les os, il y a les yeux jaunes, il y a le patient qui peut avoir des maux de ventre ou l’enfant qui ne grandit pas bien, etc. Tout ça, ce sont des signes qui peuvent alerter que ce patient qui a tout le temps des douleurs aux articulations et aux os, peut être malade de la drépanocytose.

Minute.bf : Quelles sont les causes principales de cette maladie ?

Dr Berges : Comme je l’ai dit tantôt, c’est une maladie génétique. Donc il n’y a pas de cause. On naît avec la drépanocytose. C’est un père qui a un trait de drépanocytose et une mère qui a un trait de drépanocytose ou toute autre maladie de l’hémoglobine, qui transmet la maladie à son enfant. C’est une maladie qui découle de l’union des couples à risques. Un couple à risques c’est quoi? C’est comme je l’expliquais tantôt, quand vous avez un monsieur qui est AS et une femme qui est aussi AS, il y a 25% de chances sur chaque grossesse, d’avoir un enfant SS. Un autre couple à risque, c’est le couple AS et le couple AC. Il y a encore 25% de chances sur chaque grossesse issue de ce couple, d’avoir un enfant SC. Et il peut y avoir encore ce qu’on appelle un couple à risques où il y a un parent qui a le trait S et une autre anomalie qu’on appelle les thalassémies. L’association des deux peut donner un enfant drépanocytaire. Donc, c’est une maladie héréditaire transmise aux enfants par les parents.

Minute.bf : Aujourd’hui, quelle est la situation de cette maladie au Burkina Faso ?

Dr Berges : Au Burkina Faso, actuellement, il y’a des études parcellaires qui montrent que le nombre de naissances d’enfants atteints de la drépanocytose avoisinerait les 2%. Ce qui veut dire que sur 100 enfants, il y a au moins deux enfants qui seraient malades de la drépanocytose. Il y a une autre étude aussi au niveau du ministère qui a révélé que la prévalence nationale tourne autour de 4,63 %. Donc il y a quand même des cas et nous qui sommes dans la prise en charge, nous les voyons et les recevons pour les accompagner.

Minute.bf : Le Burkina Faso est fortement touché par une épidémie de dengue depuis quelques mois. Quel est l’impact de cette maladie sur les personnes drépanocytaires ?

Dr Berges : Je pense que c’est un secret de polichinelle que de dire que les drépanocytaires sont un groupe à risques dans cette épidémie de dengue. Il y a plusieurs études qui ont été menées au Burkina comme ailleurs qui montreraient que dans les taux de décès, il y a plus de drépanocytaires. Donc ce groupe est un groupe à risques. Ce qui se comprend bien sûr parce que la drépanocytose est déjà un problème de sang. Donc un virus de la dengue qui vient dans le sang et qui crée beaucoup de phénomènes inflammatoires ou du moins, beaucoup de désordre, pourrait compliquer ou bien déranger l’équilibre du drépanocytaire qui était déjà précaire avec son anomalie. A ce jour, on a plus de 21 000 cas selon les statistiques du ministère de la santé et plus de 200 cas de décès. Il est vrai que nous n’avons pas les chiffres précis pour savoir combien de drépanocytaires sont affectés, mais ce qui est sûr les drépanocytaires sont ceux qui sont vraiment susceptibles de faire la forme sévère de la dengue. C’est donc un groupe à risques et à vraiment surveiller de près.

Plus de details dans la vidéo ci-dessous ⤵️

Minute.bf : Dans ce contexte, quels comportements une personne drépanocytaire doit-elle adopter pour se protéger ?

Dr Berges : Le drépanocytaire étant exposé, il doit se protéger. Il ne doit pas négliger les mesures de protection parce que tout le monde sait que les moustiques qui transmettent la dengue piquent à partir de 14 h. Donc, les mesures de protection, c’est déjà le maître-mot pour prévenir les piqûres du vecteur. Ensuite, une fois qu’on arrive à bien se protéger contre les piqûres, cela veut dire qu’on utilise les moyens de protection individuelle ou du moins les mesures répulsives, comme assainir notre cadre de vie, dormir sous une moustiquaire ; le drépanocytaire doit faire attention aussi à l’usage des anti-inflammatoires. Dans la gestion de ses douleurs, il a recours aux anti-inflammatoires mais en épidémie de dengue, il faut vraiment être prudent. Donc, s’il y a des symptômes, il faut prendre le temps de poser le diagnostic ou bien de prouver que le patient ne souffre pas de la dengue avant de poursuivre la prise des anti-inflammatoires. Le drépanocytaire, comme la population ou le citoyen lambda doit aussi éviter l’automédication. Surtout chez le drépanocytaire qui peut déjà par sa spécificité, avoir une insuffisance au niveau du foie et du rein alors que dans la forme sévère de la dengue, il y a déjà une défaillance de ces organes notamment le foie et le rein. Donc, il faut éviter l’automédication, éviter les anti-inflammatoires, faire usage des éléments de protection contre les piqûres des moustiques, continuer à boire beaucoup d’eau et surtout éviter de s’exposer aux piqûres des moustiques.

Minute.bf : A ce jour, y a-t-il un remède contre la drépanocytose ? Un vaccin ?

Dr Berges : On parle de vaccin quand il y a un germe qui transmet ou une bactérie ou un virus, mais là, c’est une maladie génétique donc il n’y a pas de vaccin. Mais il y a plusieurs possibilités thérapeutiques de nos jours. La recherche avance et il y a des mesures notamment les greffes de moelle osseuse et des thérapies géniques, mais, qui ne sont pas accessibles sous nos cieux, ni financièrement ni même dans l’offre. Cependant, il y a des protocoles qui sont mis en place pour le meilleur suivi des enfants et adultes drépanocytaires. Et quand le suivi est bien fait notamment les bilans sanguins, les vaccins, la prise de certains médicaments que les drépanocytaires connaissent, le patient peut vivre au mieux avec sa spécificité. Sinon, il n’y a pas de vaccin contre la drépanocytose.

Minute.bf : Même du côté de la médecine traditionnelle, n’y a-t-il pas d’espoir ?

Dr Berges : Ce n’est pas mon domaine, la médecine traditionnelle. Mais, je sais qu’il y a des possibilités que les tradi-praticiens proposent et il y a plusieurs remèdes qui ne sont pas encore suffisamment développés pour rentrer dans les protocoles homologués sur le plan international de la prise en charge. Mais, nous ne pouvons pas négliger la medecine traditionnelle parce que nos populations y ont recours et je pense que les recherches continuent dans ce domaine. Donc, nous savons qu’il y a beaucoup de ressources dans ce domaine, mais, il faille vraiment qu’il y ait plus d’accompagnement pour développer justement ces solutions qui ne pourraient que sauver et aider à la prise en charge de nos patients.

« Ce n’est pas parce que tu es drépanocytaire que quand tu as la dengue tu vas mourir… »

Minute.bf : Avez-vous déjà fait face à des cas de patients drépanocytaires atteints de la dengue ? Comment les avez-vous traités ?

Dr Berges : Oui, il y a eu des cas. Le dernier en date remonte à moins d’une semaine. Un jour, dans la cour de l’hôpital, en sortant, j’ai entendu hurler, je me retourne, je vois un papa qui a une petite fille de 7 ans entre les mains qui saignait du nez. Il avait fait le tour de Ouagadougou depuis Boassa, Tengandogo, Bogodogo et il venait ici avec l’espoir qu’on puisse trouver un espace pour eux. Arrivé, c’était un peu difficile au départ, mais finalement, on a pu accueillir cet enfant qui avait déjà beaucoup saigné. Il se trouvait que c’est un enfant drépanocytaire SC qui avait souffert de la dengue et qui est arrivé dans un tableau d’anémie et qui était déjà dans une situation difficile. On a pu en tout cas recevoir l’enfant et lui prodiguer des soins. Je me réserve de donner la suite, mais ce qui est sûr les cas de drépanocytaires atteints de dengue, on en rencontre presque tous les jours. Il n’y a pas deux ou trois jours, on a eu deux ou trois cas ici hospitalisés, des adultes qui sont drépanocytaires et qui font la dengue. Mais c’est vrai que comme on l’a dit, dans les chiffres que l’on voit, le taux de décès est élevé, cependant il y a aussi des guérisons. Et c’est ce à quoi nous voulons nous accrocher. Ce n’est pas parce que tu es drépanocytaire que quand tu as la dengue tu vas mourir, ce n’est pas écrit. Donc il faut pouvoir faire le diagnostic à temps, il faut pouvoir se rendre dans un centre de santé à temps et que les agents de santé puissent avoir les bons réflexes à temps, il faut qu’ils sachent quoi surveiller. On peut avoir des résultats vraiment encourageants.

Minute.bf : Un message à l’endroit des personnes drépanocytaires ?

Dr Berges : À l’endroit des personnes drépanocytaires, je m’aligne derrière cet adage du ministère de santé qui dit : « je me protège de la dengue grâce à des gestes simples ». Le drépanocytaire doit avoir des gestes simples et ces gestes simples, c’est d’éviter de s’exposer en créant un cadre de vie assaini, en dormant sous une moustiquaire, en utilisant des crèmes répulsives, en essayant de traiter notre cadre de vie. Ensuite, on évite, en cas de dengue, l’automédication. On se fait accompagner par des agents de santé dans la prise en charge de la dengue, on évite les anti-inflammatoires dans les cas de dengue et vraiment, surtout, il faut avoir le réflexe d’aller dans un centre de santé quand on est drépanocytaire et qu’on remarque que notre corps n’est plus comme avant. Aussi, il ne faut surtout pas oublier de boire beaucoup d’eau. Au-delà de cela, je vais rappeler aux drépanocytaires, les 9 règles d’or :

– Je mange sainement,

– J’évite de porter des habits serrés pour éviter les crises,

-J’évite d’être dans un environnement clos,

-Je me lave correctement,

-J’évite de faire des sports de compétition pour ne pas réveiller les crises,

-J’évite d’avoir des excès d’émotions, de colère et tout ce qui peut amener des phénomènes de crises,

– etc.

Les règles d’or, les drépanocytaires les connaissent. Le drépanocytaire doit toujours avoir ces 9 règles d’or en tête.

Minute.bf : Merci Docteure.

Dr Berges : C’est moi qui vous remercie.

Propos recueillis et retranscrits par Oumarou KONATE

Minute.bf

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