Le 30 septembre 2022, le Burkina Faso a une fois de plus été bouleversé par un deuxième coup de force après celui du 24 janvier 2022. Un coup d’Etat conduit cette fois-ci, par le Capitaine Ibrahim Traoré qui a entraîné la chute du Lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Un mois après les événements, le Capitaine Ibrahim Traoré est investi President de la Transition et un nouveau gouvernement installé avec des priorités nouvelles et « recentrées ». Pour décortiquer l’ensemble de ces événements, Minute.bf s’est entretenu avec Aziz Dabo, Directeur exécutif de Think Thank Prospectiv’. Entretien!
Minute.bf: Le Capitaine Ibrahim Traoré a prêté serment en tant que chef de l’Etat, comment avez-vous apprécié cette facon de faire les choses, quand on sait que certains parlent d’une violation de la Constitution ?
Aziz Dabo : Je voudrais avant tout propos vous remercier pour l’honneur de cet entretien. Pour en venir à votre question, je voudrais relever qu’il aurait été judicieux que la question soit adressée aux spécialistes du Droit et qu’ils se penchent plus sur la question autant sur la forme que le fond pour éclairer l’opinion publique. Je le dis parce que le sujet n’est pas nouveau. Et c’est une question qui revient sans que les véritables voix les mieux indiquées ne se soient suffisamment prononcées pour mieux orienter le peuple. Bien que n’étant pas homme de Droit, je puis constater comme tout citoyen non juriste que la prestation de serment est inscrite dans la charte de la transition. Celle-ci ayant été adoptée par les forces vives de la Nation, je suppose que la démarche devant le conseil constitutionnel devenait ipso facto obligatoire. Et c’est de cela que l’actuelle transition s’acquitte comme la précédente l’avait fait.
Minute.bf: Sitôt investi, l’homme qui veut aller vite a vite fait de nommer son Premier ministre. Comment avez-vous apprécié cette dynamique ?
Cela faisait plus de 3 semaines que nous n’avions plus d’équipe gouvernementale et le pays, on peut le dire, était quelque peu sous cale, disons au ralenti. La nomination rapide du Premier Ministre était, dès lors, pour moi, la bienvenue à l’effet de mettre rapidement le pied sur l’étrier de la reprise de la marche de notre cher pays. La machine doit repartir très vite surtout que, comme le dit le Président : « Tout est Urgent ». Et surtout dans un contexte où les secrétaires généraux chargés de l’expédition des affaires courantes ont leurs limites.
Minute.bf: Le gouvernement est connu depuis un certain temps, une équipe de 23 membres dont 5 de l’ex-gouvernement. Quelle appréciation faites-vous de sa composition?
Aziz Dabo : Les deux ministères d’Etat répondant directement du chef de l’Etat sont ceux de la Défense et des Anciens combattants et celui de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale. Cette nouveauté montre clairement que ce sont les deux axes prioritaires du chef de l’Etat. Des sécurocrates sont en charge des ministères-clés de la Défense et de la Sécurité, avec un ministre délégué à la Sécurité. Cela dénote de la confiance placée aux hommes de tenue pour gérer les questions sécuritaires. La nomination au ministère de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité du colonel-major Boukaré Zoungrana, commandant de la Brigade de veille et de défense patriotique (BVDP) avec une volonté de recrutement massif de populations civiles, montre très clairement la ferme volonté de faire participer les populations civiles en appui aux Forces de défense et de sécurité (FDS) à l’administration et à la sécurisation du territoire pour vaincre l’insécurité grandissante et le terrorisme.
Minute.bf: Quelle lecture faites-vous de la la reconduction des ex-ministres ?
Aziz Dabo : Si des anciens Ministres ont été reconduits, cela suppose que les nouvelles autorités sont satisfaites de leurs compétences et ont décidé de poursuivre le chemin avec ces anciens-nouveaux Ministres.
La reconduction de la ministre en charge de la diplomatie de notre pays laisse entendre que les nouvelles autorités sont satisfaites des compétences et de la dynamique internationale engagée et souhaiteraient donc procéder au renforcement des différentes actions entreprises auprès des amis du Burkina et des partenaires qu’il faut rassurer après les derniers événements. Le ministre Bassolma Bazié monte en grade et devient ministre d’Etat chargé de la Fonction publique. Cela implique que le chef de l’Etat a fait de la réforme de la Fonction publique un axe majeur de ses chantiers et souhaiterait conforter le ministre dans ses réformes déjà entreprises. Connaissant les dossiers depuis quelques mois, la reconduction de ces ministres pourrait éventuellement faciliter certaines choses du moment où tout doit aller vite. Il faut donc souhaiter courage et plein succès au nouveau gouvernement, car les premières décisions seront cruciales et les attentes des populations sont grandes.
Minute.bf: Selon vous, quelles devraient être les qualités du gouvernement de Apollinaire Joachim Kyélem de Tambela ?
Aziz Dabo : Le pragmatisme et le réalisme, sans omettre la capacité de cultiver rapidement une relation de confiance avec les populations afin qu’il y ait une adhésion massive aux différents projets à mettre en place. Pour cela, il est indispensable d’être très bien entouré et accompagné par les personnes idoines. Cela dit, la complexité de la situation nécessite de la tolérance, une bonne capacité d’écoute et de compréhension à travers le dialogue social et politique pour réussir la mission. C’est dire que le défi sécuritaire qui est prééminent ne doit pas nous faire rejeter aux calendes grecques l’impérieuse nécessité de la cohésion, de la concorde nationale. Car ne l’oublions pas, c’est tous au chevet de la mère-patrie agressée, qu’on fera reculer les forces du mal qui terrorisent notre peuple et compromettent sa vision de paix et de développement. L’autre chantier pour moi, sera de rassurer les amis, les partenaires techniques et financiers ainsi que les investisseurs sur la volonté du Burkina Faso de respecter ses engagements et d’œuvrer pour une stabilité interne et sous-régionale comme nous le fûmes dans un passé récent.
Minute.bf: Un président jeune, « imposé » si on peut le dire par des jeunes qui veulent s’affranchir de certaines pratiques. Peut-on dire que cette Transition est une belle occasion pour responsabiliser davantage les jeunes ?
Aziz Dabo : « Aux âmes bien nées la valeur n’attend point le nombre d’années ». Absolument! C’est le moment. Je devrais dire le bon moment. Un penseur disait que : « nous sommes le changement que nous voulons. » Le Président Traoré a 34 ans, c’est une opportunité pour la jeunesse qui représente soixante dix pour cent (70%) de la population, d’occuper des postes décisionnels de premier plan. Dans des cercles, on entendait dire que tel ou tel acteur politique est trop jeune. Mais le leadership même quand il est inné, il est appelé à s’affirmer et s’affiner. Quand tu es sur le banc de touche, quand vas-tu t’affirmer ? Est-ce normal d’exclure cette majorité de la population et espérer impacter positivement le Burkina Faso ? Le président Traoré a déjà osé. Je voudrais l’encourager à garder le cap de la confiance à investir dans notre jeunesse. Et ainsi réinventer l’avenir avec une jeunesse de qualité qui sera évidemment accompagnée d’aînés expérimentés pour un futur radieux du Burkina Faso.
Minute.bf: Une transition dans la transition, dans un contexte où les attaques n’ont pas cessé, à votre avis, quelles doivent être les priorités du Président Traoré ?
Aziz Dabo : C’est évident que certaines choses seraient à reprendre à l’aune de la situation sécuritaire qui reste une préoccupation pour tous. Deux coups de force en l’espace d’un an, cela inquiète les partenaires et amis du Burkina Faso. Et nous mêmes engagés sur le front de la gouvernance démocratique.
Ainsi, les priorités du Président Traoré devraient être de renforcer tout d’abord l’union et la cohésion au sein des forces armées nationales secouées par des querelles de clans et de promotions. Il s’agira là de remotiver les troupes sur le terrain, les remettre ensemble en ordre de bataille contre l’ennemi commun : le terrorisme, et les emmener à être davantage déterminées pour gagner cette guerre. Aucune main sincère saisie ne serait de trop.
Il est nécessaire que la relation de confiance gouvernants-gouvernés soit renforcée afin que les populations s’impliquent et se retrouvent dans la mise en œuvre des chantiers de la Transition.
Le capitaine Traoré bénéficie d’ores et déjà d’un soutien populaire. Mais il lui revient de le solidifier, le consolider même si les premières actions et décisions seront cruciales pour la suite de la transition. La cherté de la vie avec le coût des denrées de première nécessité qui ont pris l’ascenseur, constitue aujourd’hui une des priorités des populations qui souffrent considérablement. Il faudra traiter cette question qui vide le portefeuille de la population et le panier de nos braves ménagères. Il faudrait œuvrer à les soulager afin de leur redonner espoir.
Minute.bf: Parmi les nombreux défis que le Capitaine Traoré doit gérer, il y a ceux des partenariats… Comment doit-il gérer cette question, selon vous ?
Aziz Dabo : Le Burkina Faso est une terre d’hospitalité, ouverte sur l’extérieur et il faudrait tout d’abord saluer et remercier tous les partenaires du Burkina Faso au-delà de la passion, de l’émotion sur les réseaux sociaux, alimentée et entretenue par des conférences de presse et autres actions de propagande. En toute lucidité, le capitaine Traoré, Chef suprême des armées, a aujourdui accès aux informations militaires secrètes et avec les conseils avisés de ses aînés de la hiérarchie militaire, il va opérer clairement des choix idoines.
Le Premier Ministre lors de sa première interview, a fait comprendre qu’il ne s’agit pas de quitter Pierre pour Paul, mais plutôt nouer des partenariats qui soient profitables au Burkina Faso. Peu importe avec qui nous collaborons, la priorité c’est l’intérêt du Burkina Faso.
La coopération vient toujours en soutien à l’existant. Je préconiserais alors de renforcer les coopérations en place et mieux les adapter à la réalité de la menace actuelle. Toute nouvelle initiative pourrait être étudiée si elle est crédible, bénéfique, productive pour notre pays.
Minute.bf: Il y a aussi la pression de la rue qui semble vouloir dicter des choses au Capitaine, avec des menaces à peine voilées contre ceux qui critiquent les nouvelles autorités. A votre avis, faut-il avoir peur pour l’avenir ?
Aziz Dabo : Il faut effectivement avoir peur car certains individus, ces derniers jours, ont fait l’apologie de la violence et de la haine sur la place publique sans être inquiétés. Rien de durable ne peut se construire dans l’anarchie et le désordre. Pour peu d’une rumeur ou d’une désinformation, tout pourrait voler en éclat et cela n’est guère rassurant. D’ailleurs l’ambassade de France, le consulat et les instituts français de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso en ont malheureusement fait les frais. Des officiers supérieurs de l’armée et des autorités coutumières du pays ont été vilipendés, livrés à la vindicte sur les réseaux sociaux. Tout cela doit s’arrêter.
Minute.bf: Justement, comment le Président de la Transition doit gérer cette pression ?
Aziz Dabo : Il est important de rétablir l’autorité de l’Etat, et travailler à ce que tous les citoyens soient protégés par les institutions, tout en gardant à l’esprit que force doit revenir à la loi. S’il n’y pas de loi, il n’y a pas d’Etat. Et l’Etat, c’est tous les citoyens sans exclusion. C’est le seul moyen de construire une nation forte basée sur des fondamentaux universels.
Minute.bf: Pour revenir un peu en arrière, dites-nous, le renversement du président Damiba a-t-il été pour vous une surprise ou simplement la conséquence de sa gestion ?
Aziz Dabo : Il faut dire que l’avènement des militaires au pouvoir le 24 janvier a été salué par une certaine opinion du fait de la situation sécuritaire difficile. En huit (08) mois, les populations commençaient à être désillusionnées car on notait la recrudescence des attaques terroristes dans le pays comme un cancer qui se métastase dans un organisme. Je l’avait déjà dit lors d’une interview le 22 février dans un quotidien de la place que le président Damiba n’aurait pas l’état de grâce dont le président Roch Kaboré a pu bénéficier .
Gaskindé a probablement anéanti les espoirs de tout un peuple avec l’exacerbation des tensions au sein de l’armée, chose qui aurait probablement conduit au nouveau coup de force.
Minute.bf: Le MPSR qui succède au MPSR, y a-t-il de l’espoir à votre avis?
Aziz Dabo : Nous devons espérer, car nous sommes condamnés à réussir ensemble ou à périr ensemble. C’est notre Nation, le lendemain enchanté et non déchanté de notre pays qui se joue, qui est en jeu. Le nouveau Président bénéficie d’un soutien populaire parfois désintéressé et ce soutien pourrait faciliter une adhésion massive à ses projets et programmes si ceux-ci sont éclairés dès les premiers moments. Mais il faudra surtout faire attention aux manipulations et aux manœuvres souterraines de récupération à des fins de règlements de compte ou de repositionnement politiques. Ce danger là, il faudra l’écarter, s’en éloigner inexorablement. Le président et son équipe sont déjà à la manœuvre. Je préfère être optimiste pour l’avenir mais prenons garde car, il faut retenir que très rapidement si des évolutions majeures sur la situation sécuritaire ne sont pas enregistrées, j’ai bien peur que le nouvel espoir fonde comme du beurre au soleil et que les populations battent le pavé pour dénoncer les dérives .
Minute.bf: Avez-vous un message particulier à l’endroit des nouvelles autorités et des populations ?
Aziz Dabo : Aux nouvelles autorités, place au travail.
Aux populations, travaillons à la culture de la tolérance, de la résilience, et au soutien indéfectible aux forces de défenses et de sécurité et aux Volontaires pour la Défense de la Patrie. Je voudrais en appeler à la conscience collective nationale afin que chaque Burkinabè de l’intérieur et de la diaspora contribue positivement à l’édification d’un Burkina Faso meilleur.
Il y va de l’intérêt de tous car nous n’avons qu’un seul pays.
Dieu bénisse le Burkina Faso.
Propos recueillis par Franck Michaël KOLA
Minute.bf