Le dernier bilan de l’attaque Grand-Bassam fait état de 18 morts, dont quatre Français. Des assaillants lourdement armés ont attaqué, dimanche 13 mars 2016 à la mi-journée, un hôtel de la station balnéaire ivoirienne de Grand-Bassam. Le groupe Al-Mourabitoune (Aqmi) revendique l’attentat. Le Dimanche 24 octobre 2021, une équipe de www.minute.bf a effectué une mission de reportage à Grand-Bassam. Une opportunité d’avoir l’interview exclusive de Dam Gueye, un guide touristique sénégalais, accusé d’avoir eu « un rapport » avec les terroristes. Sans langue de bois, il revient sur les circonstances de son arrestation et le traitement dont il a été victime durant son incarcération.
Minute.bf : Depuis combien de temps êtes-vous en Côte d’Ivoire ?
Dam Gueye : Je suis arrivé ici à Grand-Bassam depuis 1988. Ma première activité était la restauration, appelé le Balafon. J’étais le premier à initier le maquis le balafon ici. Le restaurant marchait bien et accueillait les Blancs, les Noirs, tout le monde. D’autres ambitions m’ont poussé à vendre mes actions pour me rendre au Cameroun. Du Cameroun j’ai fait un retour au bercail. Là-bas j’ai embrassé la carrière de Guide vu que je suis polyglotte car maitrisant l’anglais, l’allemand, le français et l’Italien. Ce métier m’a ouvert les portes de la sous-région.
Les collectivités locales et territoriales doivent s’investir dans la formation des guides en créant des écoles et en les outillant conséquemment afin qu’ils puissent mieux tirer profit. Les guides bien formés peuvent servir de renseignement à la police. Le métier est risqué et j’ai été victime de ses dangers au point de perdre les pédales (dépression mentale, ndlr) souvent. Et ce, après trois ans de prison.
Minute.bf : Pouvez-vous revenir sur les circonstances malheureuses des attaques terroristes de Grand-Bassam ?
Dam Gueye : Les terroristes sont arrivés pour la première fois ici à l’Etoile Hôtel, le jour de la saint valentin, le 14 février. Ils étaient trois le jour où ils se sont adressés au barman de l’hôtel. Je n’étais pas présent. Mon passage au bar a coïncidé avec leur présence. Le barman, Nakéré Eugène Coulibaly me dit : ces messieurs parlent une langue que je ne comprends pas. Les terroristes s’exprimaient en langue peulh (fulfuldé) du Mali, et curieusement ils prétendaient être des Mauritaniens. Je leur ai donc dit que je comprenais également cette langue. Mais les terroristes ont préféré continuer en Kôrôbôrô qui est une langue du Mali, Tombouctou. Pourtant le présumé cerveau Kounta Dallah, lui comprenait le français. Par la suite, ils ont payé à boire et m’ont offert un coca avant que je ne retourne à mes activités.
Un mois après, le 13 mars, ils sont revenus faire une réservation. J’étais au bar, aux environs de 08 heures, pour prendre mon café quand le barman m’évoquait le retour de ses clients. J’ai lancé une commande de cigarette que le barman n’en avait pas. Je me suis approché du Mauritanien vu qu’il tenait une cigarette. Il m’en donne trois, mais ces deux compagnons d’avant ce sont faits remplacer par deux nouveaux. Le terroriste me rassure que ces deux compagnons étaient ses frères. Le 14 octobre, un autre Mauritanien s’est joint au groupe, c’était un ancien qui était là le 14 février. Ils avaient une glacière et affirmaient qu’ils feront la fête. Pour l’occasion ils m’ont donné sept bouteilles de lait et du jus. Au tour de 09 heures, le barman et moi constations que les deux nouveaux faisaient des ablutions. J’ai trouvé cela très étrange mais le barman m’a dit que ce n’est pas notre problème. C’est ainsi que j’ai rejoint mes activités dans mon stand dehors. Il faut rappeler que l’ambassadeur des Etats-Unis devrait venir visiter les stands.
Vers 11-12 heures on entendait des tirs en bordures de la plage. Un jeune a couru vers moi et comptait rentrer dans l’hôtel. C’est lui qui m’a dit que ce sont des terroristes quand ils tirent ils disent Allah Akbar. J’ai interpelé le chargé de communication et celui de la culture de l’ambassadeur américain pour lui demander de faire rentrer les Américains au sous-sol. J’ai donc appelé une amie pour savoir l’Etat des lieux de son restaurant. Elle m’a dit que chez elle à Assouindé, c’est plutôt calme. Il y avait des journalistes de France 24 à son restaurant qui ont souhaité que je sois en direct et ça été chose faite à 12 heures 30 pour le journal d’Afrique. Le barman avait quitté l’hôtel ; il ne restait que la femme de cuisine. Elle a révélé plus tard que les deux terroristes avaient pointé une arme sur la tête de son frère. Tout porte à croire qu’ils cherchaient à m’abattre. Mais Dieu en a décidé autrement. »
Minute.bf : Quelle a été votre réaction après les tueries ?
Dam Gueye : Cette journée du 13, toute la zone était quadrillée par les forces de l’ordre de la Côte d’Ivoire. C’est ainsi que je me suis refugié a Assouindé chez ma camarade pour plus de tranquillité. Le lendemain lundi à 14 heures, le directeur de la PJ (police judiciaire, ndlr) m’a appelé en se faisant passer pour un client, pensant que j’étais toujours au quartier France. Il a voulu que je vienne à Bassam, je lui ai dit que Bassam est gâté (ce n’est pas sécurisée, ndlr) et que je ne peux y retourner de sitôt. Je lui ai donné ma position d’Assouindé. Il n’a pas pu me persuader sur la manière de l’obtention de mon numéro donc j’ai souhaité qu’on mette fin aux échanges.
Le lendemain à 14 heures, il est passé par le barman pour qu’il lui fasse une réservation de séjour à Assouindé. L’indication étant plus claire, ils ont encerclé la cours et m’ont dit de sortir. Ils me disent que c’est la PJ. Ne me reprochant rien, j’ai banalisé leurs propos tout en allumant ma cigarette et je me retournais. Ils m’ont présenté leur mandat d’arrêt mais pas celui de la perquisition de la maison. Pour la perquisition je me suis opposé. Quelques minutes plus tard c’est le directeur de la police qui descend avec le barman. J’ai juste dit au barman qu’il n’avait pas à jouer à ce jeu. Je me serais rendu à Bassam si je savais que la police me cherchait. A la vérité, les enquêteurs m’ont fait savoir que le barman a été corrompu. Ils ont dit qu’ils m’ont enfermé pour assurer ma propre sécurité. J’ai passé 03 ans sans visite et mal nourrit. Logé dans une pièce, nu, avec 11 autres personnes. Il ne se passait pas un seul jour sans que je ne sois malade.
Propos recueillis par Abdou Racisse Regtoumda (Correspondant)
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