Comme c’est la tradition, la grande messe des chefs d’Etat s’est tenue cette année, du 19 au 26 septembre 2023 à l’ONU où les présidents se sont succédé au pupitre pour donner leur lecture sur la marche du monde. Pour le cas spécifique du Burkina Faso, c’est à Bassolma Bazié, ministre de la Fonction publique, qu’il a été échu la charge de représenter le président Ibrahim Traoré.
Après le grand oral qui a défrayé la chronique sur les réseaux sociaux, il convient de relever qu’en termes d’analyse, le discours du Burkina a été essentiellement axé sur la dénonciation des politiques occidentales et des errements des organisations, le procès de la France et l’affirmation de la souveraineté du Burkina.
En ce qui concerne le premier point, c’est avec emphase et de façon non exhaustive que la dénonciation a été faite. Ainsi, la responsabilité de la communauté internationale à travers ses organisations (ONU, Union africaine) dans la chienlit créée en Lybie et le refus fait au Niger quant au droit d’accès au siège des Nations Unies sont fustigés sans ambages.
« Le Burkina Faso condamne fermement cette manœuvre sordide », clame Bassolma. Puis, c’est la politique de deux poids deux mesures des puissances occidentales qui est passée au crible à travers le qualificatif de « patriotes » conféré aux volontaires ukrainiens engagés dans la guerre russo-ukrainienne alors que ceux du Burkina sont traités de « milices » dans le cadre de la lutte antiterroriste. A cela s’ajoute la même politique de la CEDEAO plus prompte à mobiliser en 2 mois, « 2 milliards de F CFA » dans son projet d’attaquer le Niger pour réinstaller au pouvoir le président déchu Bazoum alors que dans le cadre du G5 Sahel, elle n’a pu mobiliser que « 25 millions de dollars » pendant des années.
La suite de la litanie des dénonciations est marquée par le blocage par les puissances occidentales des moyens de défense commandés par le Burkina pour sécuriser le territoire national. « Vous parlez de défense des droits humains, je vous invite donc à nous livrer incessamment nos armes pour la défense et la protection de nos populations meurtries », peste l’orateur.
S’agissant du 2e point, il est en lien direct avec le premier et constitue une suite logique de ce dernier à travers laquelle la puissance coloniale est publiquement déshabillée. Son rôle joué dans la crise libyenne, sa réticence à quitter le Sahel quand on lui demande « de déguerpir militairement », son rôle après le coup d’Etat de septembre 2022 pour imposer des larbins à la tête du Burkina, etc. sont passés au peigne fin. Véritable procès public où le président Macron a lui-même droit à la barre, à un cours d’histoire à travers la saignée humaine africaine qui a construit la gloire de la France. Sans oublier la découverte des « accords secrets avec la France » passés publiquement en revue au risque de hérisser le coq gaulois.
Ces deux points ont occupé environ 90% du discours prononcé et traduisent l’obsession née du contexte sous-régional avec laquelle le Burkina s’est rendu à la tribune de l’ONU. Et en matière de compréhension d’un discours, connaître le contexte dans lequel il a été écrit et prononcé est très capital. C’est pourquoi, au regard de la trajectoire politique empruntée par le Burkina depuis le putsch de Traoré et les rapports tendus entre le pays et certains de ses partenaires, il n’est pas étonnant que ce soit avec une telle posture de révolté, de nègre-marron obsédé par les défis du moment que le Burkina s’est rendu à l’ONU. Le nombre de fois illimité avec lequel le mot « France » et des chiffres relatifs à la dette de sang ont été employés dans le discours, est révélateur à lui seul du sentiment de dégoût que suscite l’Hexagone auprès des autorités burkinabè.
Cette posture qui confère au discours un caractère objectif et subjectif, n’est pas anodine. Bassolma Bazié et les siens savent bien que la jeunesse africaine et en particulier burkinabè est sensible à ce style à la Sankara auquel elle a été biberonnée et sur les traces duquel ils dirigent le Burkina. Et ce n’est pas le fait du hasard si Bassolma Bazié « lance un appel vibrant et solennel à tous les peuples d’Afrique à se mobiliser dans la fraternité et solidarité africaine ». Cette posture jointe à cet appel et le nombre de fois incalculable avec lequel les mots « peuple », « patrie », « patriote », « populations », etc. ont été employés, procèdent d’une volonté de s’attirer la sympathie de l’opinion à la fois nationale et internationale pour une bouffée d’oxygène au moment où des « tentatives de coups d’Etat sont en élaboration » contre la transition. Une obsession et posture tout à fait légitimes mais qui frisent la radicalité qui commande le Burkina à s’assumer.
Un discours dont la prédominance a été marquée par des accents diatribiques
Ainsi, le 3e point relatif à l’affirmation de la souveraineté du pays s’inscrit en droite ligne de la posture sus-citée.
Cette affirmation se dégage de l’expression du refus de la docilité chère à tout nègre-marron. « … nous indiquer des partenaires à fréquenter et des conduites à tenir. Nous disons non », « Le Burkina Faso liera de façon souveraine ses partenariats avec qui il veut », voilà les passages du discours qui attestent de la volonté du pays de s’affranchir du joug des puissances impérialistes. Participe aussi de cette affirmation, la dénonciation « des chaînes d’aliénation économique, sécuritaire et socioculturelles » dont les Burkinabè sont eux-mêmes coupables et à propos desquelles le discours ne dit pas suffisamment comment en sortir. Même si un clin d’œil fut furtivement fait à l’Alliance des Etats du Sahel, à l’Initiative d’Accra et au Plan d’action pour la stabilisation et le développement, on peut tout de même déplorer le fait que la part belle n’ait pas été suffisamment faite au chapitre relatif aux actions entreprises sur le plan national dans le sens de l’opérationnalisation de cette souveraineté. Quoi de plus normal dans un discours dont la prédominance a été marquée par des accents diatribiques à l’endroit des puissances occidentales. De ce constat, il se dégage un véritable déséquilibre dans le traitement des points cités.
Pour terminer, l’exercice du discours a été globalement maîtrisé avec une gestuelle qui sied au contexte, une tonalité ironique, pathétique et ascendante, un style décomplexé et iconoclaste au parfum du discours de Sankara de 1984 à la même tribune ; le tout dans un discours ampoulé à la fois direct et rapporté. « Ils ont négocié le maintien des relations afin que le capitaine Ibrahim Traoré mette en œuvre ce qu’ils décideront… L’ayant aussi refusé au nom de… ». Ce passage du discours au style rapporté procède d’une volonté de mettre en exergue de façon emphatique la bravoure du jeune capitaine à la tête de l’Etat. Enfin, comme tout discours, celui prononcé par Bassolma a sa part de subjectivité, d’objectivité et de subjectivité objectivante.
Cbs L’iconoclaste
Ecrivain chroniqueur
Minute.bf