Terrorisme espace G5 Sahel : « C’est la résultante d’un processus enclenché il y a environ 15 à 20 ans » (Fawzi Banao)

Les pays du G5 Sahel sont frappés par une crise sécuritaire sans précédent. Quelles sont les origines de cette crise ? Comment les pays du G5 Sahel pourront-ils sortir de cette crise ? Pour comprendre la complexité de cette crise et les meilleures stratégies à adopter par les pays du G5 Sahel pour sortir de cet imbroglio sécuritaire, www.minute.bf a eu un entretien téléphonique avec un spécialiste. Fawzi Banao, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est chercheur en économie de la Défense/conflit, plus précisément sur la mobilisation de ressources et gouvernance des pays du G5 Sahel. Il a rédigé plusieurs articles sur les questions sécuritaires et la mobilisation de ressources. Fawzi Banao est rattaché à deux centres de recherche notamment le centre d’étude et de recherche sur le développement international, université de Clermont-Ferrand et aussi le centre Emile Bernheim de l’Université Libre de Bruxelles.

www.minute.bf : Les pays du G5 Sahel traversent une crise sécuritaire sans précédent, quelles sont selon vous les origines de cette crise ?

Fawzi Banao : Tout d’abord, il faut que l’on comprenne bien que la crise sécuritaire actuelle dans l’espace G5 Sahel est la résultante d’un processus enclenché, il y a environ 15 à 20 ans. Pour appuyer mes propos, nous pouvons noter l’installation de Moctar Ben Moctar (l’un des premiers chefs du groupe Salafiste) au Mali au début des années 2002. Ainsi, depuis lors, plusieurs groupes radicaux ont été implantés dans les zones frontalières maliennes, burkinabè et nigériennes.

Pour revenir à votre question, nous pouvons distinguer trois grandes causes majeures du conflit et de sa propension actuelle notamment la cause économique, géographique religieuse et enfin religieuse.

De prime abord, pour la cause économique du conflit, nous n’ignorons pas que la zone sahélienne est une zone qui est riche en ressources naturelles notamment en or. Ainsi, l’exploitation des ressources minières représente la première source de revenu des groupes armés. Cette exploitation permet justement d’alimenter des activités de « guérilla (ou petite guerre, NDLR) ». Pour appuyer mes propos, une étude de l’Organisation de Coopération et de Développement (OCDE) datant de 2018 a estimé à 20 tonnes de contrebande d’or de transit du Burkina vers le Togo chaque année. Ainsi, la deuxième grande source de revenus des groupes terroristes est le trafic de contrebande et de contrefaçons. Il est important de noter que le sahel est une zone de transit. Naturellement, la localisation de nos pays permet de réduire les coûts de transport entre l’Europe, l’Amérique du Nord et les pays asiatiques. Nous avons pour souvenir le Boeing 727 retrouvé calciné à Gao en 2008, qui était chargé de cocaïnes, qui prouve qu’il y a un vrai trafic qui se faisait depuis longtemps. Ce commerce illicite est un grand pourvoyeur de capitaux pour le financement des activités terroristes. Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), la valeur marchande de la cocaïne qui transite chaque année par l’Afrique de l’Ouest était estimée à 1,25 milliard de dollars en 2013. La cause économique du conflit souligne aussi l’existence d’une trappe à pauvreté qui facilite grandement le recrutement des populations vulnérables.

Ensuite, concernant la cause géographique du conflit, elle met en exergue le facteur contagieux du conflit. L’un des principaux axes que les groupes terroristes exploitent pour s’externaliser est l’espace géographique du Sahel. En effet, la cause de la contagion géographique du conflit met en lumière l’inégalité de la densité sur l’occupation spatiale du territoire par les populations. Les zones du Nord, assujetties aux attaques, sont minoritaires en termes de population comparativement à celles du Sud, de ce constat celles du Nord sont inoccupées dans l’espace territorial. La conséquence directe de laisser des espaces vides est de faciliter la mise en place de groupes rebelles. À ce fait, s’ajoute la grande superficie des pays. Je pourrais rappeler que le Niger fait environ 1,27 million de km2. Ainsi, le vide territorial conjugué à la grande superficie des territoires sahéliens débouche sur la problématique de maillage du territoire par les forces de défense et de sécurité au front. Ainsi, il est nécessaire d’insérer la cause géographique du conflit dans la lutte antiterroriste.

Pour finir, l’aspect religieux est un aspect qui a été très peu pris en compte depuis le début de la crise, mais qui reste un enjeu majeur parce que c’est la cause politique de la guerre. Une omission du facteur religieux dans la lutte antiterroriste ne pourrait garantir une paix durable.

Il est nécessaire de noter que les groupes terroristes ont conjugué les trois grands facteurs : économie-religion-géographie. En effet, ils ont allié économie (financement par le narcoterrorisme ; la contrebande d’or, etc.), ils recrutent leurs hommes via l’aspect religieux et enfin ils utilisent parfaitement le territoire sur le plan militaire via l’aspect géographique.

Par conséquent, il faut qu’on allie également les trois facteurs à savoir économique, géographique et religieux pour être efficace dans le cadre de la lutte antiterroriste.

Plus de détails sur la question dans cet appel téléphonique entre www.minute.bf et le chercheur Banao

Quelles solutions pour les pays du G5 Sahel qui s’enlisent de plus en plus dans cette crise sécuritaire ?

Nous devons mener des actions aussi bien à l’interne au niveau de chaque pays et à l’externe sous forme de coopération sous-régionale.

À l’interne, il faut qu’on réalise qu’il s’agit d’une guerre d’usure. Comme je l’ai noté lors de la question 1, il s’agit d’un conflit dont les germes ont été plantés, il y a plus de 10 ans. Donc il faut que dans nos politiques, aussi bien militaires, économiques que sociétales, on puisse mettre en place des stratégies de long terme de lutte antiterrorisme. Par exemple, nos politiques fiscales doivent être adaptées par une mobilisation de ressources accélérée, efficiente et soutenable afin de garantir l’effort de guerre sur le long terme et surtout de garantir un financement des politiques de développement. Ensuite, la maîtrise de nos frontières représente un enjeu majeur dans la résolution du conflit. Ainsi, il est plus qu’urgent d’améliorer nos performances douanières. Cela peut se faire par la mise en place de stratégies de détection des fraudes aux postes frontaliers. Cette stratégie aura pour but principal de réduire le passage de contrebandes entre les pays du Sahel, donc une baisse du trafic de carburant et des stupéfiants. 

Ce qu’il faut retenir pour l’instant, c’est que la crise qui frappe les pays du G5 sahel, n’est pas que militaire. Actuellement, d’ailleurs, on se rend compte que l’armée a des limites ; il faut donc qu’on fasse un alliage économique, militaire et politique pour la lutte antiterrorisme dans l’espace G5 Sahel.

À l’externe des pays, une coopération inter-État est plus que nécessaire. Par ce fait, l’institution G5 Sahel doit être renforcée plus que jamais et surtout être financée pour optimiser les résultats sur le terrain. À ce jour, on ne devrait plus parler du G5 Sahel, mais d’une force sous régionale (Mali, Burkina Faso, Niger, Guinée, Sénégal, Togo, Bénin, Mauritanie, Algérie). Dans ce sens l’année dernière, j’avais même rédigé un article sur le site de l’Initiative pour la Paix et la sécurité en Afrique (IPSA) qui mettait en lumière l’effet de contagion du conflit sahélien. Ainsi, l’existence de l’effet de contagion nous oblige aujourd’hui à élargir les membres du G5 Sahel.

Venons-en aux conséquences de la crise sécuritaire dans l’espace G5 Sahel en particulier au Burkina Faso. Est-ce qu’avec l’abandon de la pratique de l’agriculture par les paysans fuyant les exactions terroristes, cela ne va pas entrainer une famine sans précédent au Burkina Faso comme cela a été le cas en 1969 et en 1974 ?

Malheureusement il y a un très grand risque de famine au Burkina Faso. Cela s’explique par deux grandes raisons. La crise sécuritaire engendre une baisse de la main-d’œuvre pour la production agricole, ainsi on aura naturellement une baisse de l’offre en termes de biens agricoles et cela risque de créer des difficultés dans les chaines d’approvisionnement agricole à l’interne.
Deuxièmement, l’avènement de la crise ukrainienne va créer un choc de prix, une récession, donc naturellement une inflation qui va engendrer dans nos pays une hausse des matières premières et une baisse de pouvoir d’achat. L’Ukraine et la Russie sont à eux deux, les cinquièmes producteurs de blé et exportateurs de blé au monde. L’Ukraine, a lui seul, est le premier producteur, exportateur d’huile de tournesol, il est le troisième producteur de maïs. Aussi, il est important de préciser que la Russie assure l’exportation mondiale de 13% d’engrais agricoles. De ce fait, nous pouvons anticiper de grandes difficultés pour le monde paysan d’assurer une bonne saison agricole. De ce constat, les premières conséquences sectorielles néfastes porteront sur le secteur agricole.
De façon globale on aura une paupérisation de la population. Cela va plus impacter les populations qui sont en première ligne dans les zones de conflits, qui n’ont déjà pas assez de biens consommables, mais aussi qui vont se retrouver avec une baisse de leur capacité à financer leur dépense. Il faut que dès à présent l’État mette en place des politiques de soutien aussi bien aux ménages qu’aux entreprises.

On assiste à une recrudescence des coups d’État dans l’espace G5 Sahel avec la prise du pouvoir par les militaires notamment au Burkina, au Mali et en Guinée. Cette situation est-elle de nature à aggraver ou à résoudre le conflit qui sévit dans les pays du G5 Sahel ?

Il est vrai qu’au Burkina et au Mali, on a assisté à des coups d’État, mais à la base, on pourrait dire que les coups d’État n’ont pas les mêmes causes de déclenchement. Aussi, il faut comprendre que si les coups d’État ont un effet sur le conflit, ça serait nécessairement sur la politique de lutte antiterroriste de nos pays, car les coups d’État peuvent modifier la politique sécuritaire générale de nos pays. Aussi, peut-on assister à un impact sur la coordination des actions inter-pays. En d’autres termes, sur la coordination des actions menées par les armées burkinabè et maliennes ou nigériennes. Cependant pour le moment certaines actions se poursuivent sur le terrain. En ce qui concerne spécifiquement la gouvernance militaire au Burkina, ou le Mali, il est encore tôt pour tirer des conclusions, car il faut avoir une analyse de long terme au vu de la guerre d’usure qui nous est en vigueur.

Au-delà de ces coups d’État, il y a également le sentiment anti politique française qui monte de plus en plus. Est-ce que ce sentiment qui va grandissant ne va pas déstabiliser l’institution G5 Sahel, quand on sait que c’est la France qui en est, entre autre, l’instigatrice ?

Concernant le sentiment anti-politique française, j’estime que nous devons nous focaliser sur nos pays. En d’autres termes, nous devons nous interroger sur les moyens d’amélioration des capacités de nos armées. Actuellement, nous constatons qu’avec la crise ukrainienne les pays occidentaux sont tournés vers d’autres priorités. Donc il faudrait qu’on puisse se baser sur nos propres aptitudes à faire face à un conflit et surtout à construire nos propres stratégies de lutte contre le terrorisme de manière endogène.

Pouvez-vous revenir sur la quintessence du panel sur la sécurité que vous avez animé en début mars 2022. Et quelles ont été les conclusions ?

Le 05 mars le CREED (Cadre de Réflexion et d’action pour le Développement Durable) qui est un groupe de réflexion au Burkina Faso, a organisé un panel dans lequel j’ai pris part en tant qu’expert dans le domaine de l’économie de la défense/conflit. Il s’est agi d’un excellent cadre de partage d’idées, parce qu’il a été question de regrouper plusieurs spécialistes dont des philosophes, des sociologues, des spécialistes en droit et aussi en économie afin de réfléchir sur les différentes causes du conflit. Outre les causes, nous avons réfléchi sur des solutions multidimensionnelles du conflit. C’est dans ce cadre que j’ai émis des propositions adaptées qui furent fort appréciables afin de lutter contre le conflit.

Voulez-vous, pour finir, revenir sur un aspect qu’on n’a peut-être pas pu aborder dans nos interrogations et qui vous tient à cœur ?

En dernier mot j’aimerais insister sur la nécessité d’allier l’aspect économique, l’aspect militaire et l’aspect religieux, afin de mettre en place une politique de lutte antiterroriste plus efficiente.

Propos recueillis par Hamadou Ouédraogo

Minute.bf

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