Le procès de l’ancien Directeur Général de la Banque agricole du Faso (BADF) et sept autres personnes s’est ouvert ce jeudi 19 janvier 2023, du côté du Tribunal de grande Instance Ouaga I. Ils sont poursuivis entre autres pour des faits d’exercice illégal d’activités d’intermédiaire en opérations de banque, de complicité d’exercice illégal d’activités d’intermédiaire en opérations de banque, d’usage abusif de biens publics, d’abus de confiance, d’enrichissement illicite et de faux en écriture privée. Les débats du jour ont tourné essentiellement autour des faits d’exercice et de complicité d’exercice illégal d’activités d’intermédiaire en opérations de banque.
Il est exactement 08h 28, ce jeudi, lorsque l’audience du jour s’ouvre au Tribunal de Grande instance Ouaga 1. A l’issue de l’appel, plusieurs dossiers sont retenus pour être jugés au cours de cette session. Parmi ces dossiers, celui de l’ex directeur général de la Banque agricole du Faso, Daouda Simboro. L’appel terminé, le juge autorise une suspension de 15 minutes. C’est finalement autour de 10h40 mn que l’audience reprendra avec comme premier dossier à juger, l’affaire DG de la BADF.
Le premier accusé à comparaître dans ce dossier, est Koumon Dramane Soma. Il lui est reproché les faits d’exercice illégal d’activité d’intermédiaire en opérations de banque et d’enrichissement illicite. Il aurait, selon les faits, agi en qualité d’intermédiaire en opérations de banque sans une autorisation préalable de l’autorité habilitée à le faire, sans une carte professionnelle et sans réelle qualification pour exercer ce métier. Faits punis par les articles 131-4 et 131-8 du Code pénale et que l’accusé nie avoir posé. Il plaide non coupable.
Dans sa ligne de défense, l’accusé Koumon Dramane Soma campe sur le fait qu’il ne maitrisait pas le « sens » et les contours de la fonction d’intermédiaire en opérations de banque au moment de faits. Il ne savait pas non plus que l’exercice de cette activité est régie par des lois. Lui, se considérait comme un « simple apporteur d’affaires », un titre qu’il définit comme celui chargé de la mise en relation des banques avec la clientèle. C’est donc dans cette conception des choses qu’il menait ses activités auprès de la BADF. Monsieur Koumon dit avoir même fait profiter à la banque, un bénéfice de plus de 06 milliards en 2020 grâce à ses activités.
De ses explications, « l’apporteur d’affaires » se charge d’apporter à la Banque, des informations économiques sur des entreprises ou sociétés, permettant d’orienter ladite banque vers ces institutions en vue d’engranger des domiciliations de revenus. Cela, bien sûr, en échange de commissions sur chaque marché conclu. Et entre autres sociétés qu’il dit avoir mis en relation avec la BADF, figurent la SONAPOST, la CNSS, l’Université Nazi Boni, la grande imprimerie et bien d’autres.
Il est soutenu dans son argumentaire par son conseil. Ce dernier a signifié que son client travaille avec la BADF en tant que prestataire de service. Et sa mission se résumait à la simple assistance de la banque à travers des conseils, mais aussi, par une orientation vers de potentielles sociétés avec lesquelles l’institution bancaire pourrait conclure des marchés.
Son instruction terminée, ce fut au tour du directeur général de la BADF, Daouda Simboro, principal accusé dans cette affaire, de comparaître. Il est accusé de complicité d’exercice illégal d’activité d’intermédiaire en opérations de banque et d’usage abusif de biens publics. Des accusations qu’il recuse. « Sur quelles bases avez-vous signé le contrat avec ces apporteurs de marché tout en sachant qu’ils ne sont pas des intermédiaires en opérations de banque ?», interroge le Juge.
Dans ses réponses, Daouda Simboro explique que le terme d’ « apporteur d’affaires » est juste un terme générique et que le contrat a été signé sur la base selon laquelle ces individus sont des prestataires de service. Il dit reconnaître qu’il y a des similitudes entre les deux termes mais afirme n’avoir pas lui aussi compris au moment des faits que cette mission relevait des prérogatives des intermédiaires en opérations de banque. « Au moment où je signais le contrat, j’ignorais les termes de la loi qui régit la fonction d’intermédiaire d’opération de banque », a-t-il avoué au juge. L’ancien DG de la BADF dit n’être pas allé directement à la signature des contrats avec ces « apporteurs d’affaires».
Selon ses explications, la banque traitait déjà avec des apporteurs d’affaires avant son arrivée à la tête de l’institution bancaire en 2020. Après renseignements à la BCEAO, dit-il, il lui aurait été confirmé qu’il était possible de recourir aux apporteurs d’affaires pour optimiser les revenus dans une banque. « On m’a dit qu’on peut avoir recours aux apporteurs d’affaires, mais qu’il faut prendre des précautions. Et moi j’ai jugé nécessaire de formaliser nos relations avec ces apporteurs d’affaires en leur faisant signer des contrats. C’est ce que nous avons fait », explique-t-il.
Une explication que le procureur bat totalement en brèche. Le hic, selon le parquet, est qu’après la signature de ces contrats, ces apporteurs d’affaires ont été rémunérés à hauteur de plus de 300 millions de francs en l’espace de deux années d’exercice du directeur. Aussi, la directrice des affaires juridiques de la BADF a déclaré dans le procès verbal, avoir interpellé à plusieurs reprises Monsieur Simboro sur le caractère douteux de cette affaire d’« apporteurs d’affaire » quand il a décidé de matérialiser le contrat. Dans le procès verbal, la directrice déclare avoir même conseillé le DG Simboro de recourir au ministère des finances avant opérationnalisation de ce contrat. Ce qui ne sera pas fait.
Autre chose selon le parquet, c’est qu’en réponse à une correspondance qui leur a été addressée, la BCEAO a nié avoir recommandé au directeur général de la BADF de recourir à des apporteurs d’affaires pour engranger des revenus.
Donnant des éléments de réponses à ces questions, l’ancien directeur général de la BADF a confié que le recours aux apporteurs de marchés s’est révélé très rentable à la BADF. En trois années, a-t-il affirmé, elle a permis à la banque, d’engranger plusieurs milliards de francs. « Nous avons même été félicités par le conseil d’administration pour cette rentabilisation », a confié le directeur qui déclare par ailleurs n’avoir jamais été interpellé par le Conseil d’administration pour quoi que ce soit relatif à ces prestations de services. Aussi, a-t-il tenu à préciser que les 300 millions de rémunération perçues par ces prestataires de services sont un cumul de trois années de rémunération pour 05 prestataires.
Dans les discussions, le juge a voulu comprendre les critères de choix des apporteurs d’affaires. Le prévenu de répondre qu’il n’y a pas de critères en tant que tel et que l’apporteur est retenu sur la base de ses performances à apporter des clients à la banque.
L’audience a été suspendue autour de 16h30 avec les instructions des « apporteurs d’affaires » poursuivis dans cette affaire pour des faits d’exercice illégal d’activité d’intermédiaire d’opérations de banque et d’enrichissement illicite. Elle se poursuivra le vendredi 20 janvier 2023.
Un intermédiaire en opérations de banque (IOB) est un professionnel bancaire qui met en rapport deux parties intéressées à la conclusion d’une opération de banque. Il s’agit d’une activité d’intermédiation, autorisée par Arrêté du Ministre des Finances, après avis de la Banque Centrale. L’IOB peut conclure de nouveaux mandats avec d’autres établissements de crédit, sans requérir une nouvelle autorisation, à charge d’en faire la déclaration au Ministre des Finances, avec copie à la BCEAO.
Oumarou KONATE
Minute.bf