jeudi 12 décembre 2024
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Lutte contre le mariage d’enfants au Burkina : Des journalistes et communicateurs font le constat sur le terrain

Une dizaine de journalistes et communicateurs, accompagnés de l’ONG Voix de femmes, a effectué une sortie dans plusieurs provinces du Burkina Faso pour s’imprégner des réalités sur le terrain, quant à la lutte contre le mariage d’enfants. Du 11 au 17 octobre 2022, ces caravaniers composés de membres du réseau des Journalistes et Communicateurs pour l’abandon des Mariages d’enfants au Burkina Faso (RJCME) et Voix de Femmes, ont sillonné les provinces du Ganzourgou, du Zoundweogo, du Kouritenga et du Boulgou. 

Le mariage d’enfants est une pratique qui perdure dans plusieurs pays du monde. Au Burkina Faso, il est pratiqué dans plusieurs régions du pays, brisant le plus souvent le rêve des jeunes filles et les exposant à plusieurs maladies pouvant conduire à la mort. Plusieurs initiatives sont donc développées pour mettre fin au mariage précoce au Pays des Hommes intègres. Dans cette dynamique, l’ONG Voix de Femmes qui travaille pour qu’il y ait « un monde où les droits de femmes sont connus et entièrement respectés par tous », a entrepris avec l’appui technique et financier du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), d’apporter sa part contributive dans la lutte pour l’élimination de ce phénomène. C’est dans ce cadre qu’une caravane a été initiée, avec des d’hommes et femmes de médias, du 11 au 17 octobre 2022, dans les provinces du Ganzourgou, du Kouritenga, du Boulgou et du Zoundweogo dans le but de s’imprégner de l’évolution de la lutte pour l’élimination du mariage d’enfants au Burkina Faso, et permettre aux journalistes de faire des productions allant dans le sens de la promotion de l’élimination de cette pratique.

Sa Majesté Naaba Djiguempolé

L’UNICEF désigne le mariage d’enfants comme tout mariage officiel ou toute union non officialisée entre un enfant de moins de 18 ans et un adulte ou un autre enfant. 21% des jeunes femmes dans le monde ont été mariées avant leur 18e anniversaire. Comme conséquence soulignée par l’UNUCEF, les filles qui se marient avant l’âge de 18 ans sont plus exposées à la violence domestique et sont moins susceptibles de poursuivre leur scolarité. Leur situation économique et sanitaire, décrit l’UNICEF, est plus grave que celle de leurs pairs célibataires, ce qui se répercute sur leurs propres enfants et met à rude épreuve la capacité d’un pays à fournir des services de santé et éducatifs de qualité. « Souvent, les filles mariées tombent enceintes à l’adolescence, ce qui augmente le risque de complications pendant la grossesse et l’accouchement, pour elles-mêmes et leurs bébés (…). Le mariage d’enfants a des répercussions sur la santé, l’avenir et la famille des filles », relève l’UNICEF.

Si la prévalence du mariage d’enfants dans le mode est en baisse, la pratique reste répandue : une fille sur quatre était mariée avant d’avoir atteint l’âge adulte il y a dix ans contre environ une sur cinq aujourd’hui. Avant la pandémie de Covid-19, 100 millions de filles étaient déjà exposées au risque d’être mariées pendant leur enfance. Aujourd’hui, selon l’organisation qui milite pour le droit des enfants dans le monde, 10 millions de filles supplémentaires risquent d’être mariées à cause de la pandémie. Des initiatives sont donc développées pour mettre fin à cette pratique qui reste « tendue » dans le monde. C’est dans ce cadre que des journalistes et des communicateurs ont sillonné plusieurs régions du Burkina Faso pour toucher du doigt les réalités de cette pratique sur le terrain. Une dizaine de journalistes et des membres de l’ONG « Voix de Femmes » ont rencontré au cours de cette sortie de presse, des leaders religieux et coutumiers mais aussi des victimes de cette pratique. 

Naba Yemdé, premier vice-président de la délégation spéciale de la commune de Zorgho

Une pratique en baisse dans la région du Plateau central

Les avancées dans la lutte contre le mariage précoce sont notables, mais le phénomène perdure au Burkina Faso. A Zorgho, dans le Ganzourgou, les journalistes ont rencontré des coutumiers et religieux ainsi que des membres d’associations militant pour l’élimination des mariages d’enfants. 

Naba Yemdé, premier vice-président de la délégation spéciale de la commune de Zorgho, autorité coutumière et administrative a rassuré les caravaniers que dans la commune de Zorgho, « il n’y a pas de mariage d’enfants », parce qu’avant d’engager chaque mariage, les acteurs s’assurent que la jeune fille est bien majeure. « C’est une veille pratique », a-t-il d’ailleurs dit. Mais les rapts, de son explication, existent. « Pour ceux qui font les rapts, ça dépendra maintenant de l’avis de la jeune fille car les parents ne sont pas tellement impliqués dans ces genres de mariage ». 

Dans la même commune, les journalistes ont pu également rencontrer Bangba Sedego, secrétaire général de l’association Beog-neeré. Dans la région du plateau-central, son association apporte sa contribution dans la lutte contre le mariage d’enfants à travers des sensibilisations. « Nous sensibilisons les populations pour leur faire comprendre les méfaits du mariage forcé et du mariage d’enfants. Ces sensibilisations sont faites par théâtre-forum pour inviter les populations à éviter le mariage précoce », a-t-il confié. A travers les différentes sensibilisations, il a confié que la pratique a connu une baisse à Zorgho. « Il y a eu un impact positif », s’est-il réjoui.

A Tenkodogo, les caravaniers ont rencontré des fidèles musulmans pour recueillir leurs avis sur la question

Ousmane Kaboré est le coordonnateur provincial de l’Association des parents d’élèves (APE) du post-primaire et du secondaire du Ganzourgou. Il confie que les activités de sensibilisation de la section provinciale des APE sont dirigées vers les enfants des deux sexes. « Nous œuvrons pour le maintien des jeunes filles à l’école. Nous passons le plus souvent par des sensibilisations. On réunit les parents d’élèves et on fait les sensibilisations pour que les jeunes filles restent à l’école », a-t-il expliqué. Ces sensibilisations et interpellations, de ses dires, ont touché bon nombre de parents qui ont compris aujourd’hui les méfaits du mariage d’enfants.

Harouna Ouédraogo, maître coranique dans le Ganzourgou, précise que dans la religion musulmane, le mariage forcé n’est pas autorisé. « A la mosquée, on demande au garçon s’il est consentant au mariage. La même question est adressée à la fille. On n’autorise pas le mariage forcé à la mosquée », a-t-il assuré. Il ajoute, en ce qui concerne le mariage précoce, qu’il n’a jamais vu de mariage d’enfants dans les mosquées. 

Une pratique en baisse également au Centre-est

A Koupéla, les caravaniers ont pu rencontrer des leaders coutumiers et religieux, ainsi que des membres d’associations qui œuvrent pour l’élimination du mariage précoce. Ils assurent tous que cette pratique est beaucoup en baisse ou quasiment inexistante à cause des nombreux efforts de sensibilisation et d’interpellation des différents acteurs sur le terrain.

A Tenkodogo, les caravaniers ont rencontré Sa Majesté Naaba Djiguempolé, des leaders religieux et des responsables d’association. Tous reconnaissent que le mariage d’enfants connait une baisse considérable dans leur région, même si, dans certaines localités reculées, la pratique a la peau dure.

Josephine (nom d’emprunt) a été victime du mariage précoce et a pu s’échapper pour se réfugier chez des religieuses

Dans cette grande ville située dans la région du centre-est, Joséphine (nom d’emprunt) est accueillie chez des religieuses après avoir échappé au mariage précoce. « Mes parents m’ont donnée en mariage à un homme quand j’avais 17 ans. Il était déjà marié et avait la quarantaine révolue. La nuit je me suis échappée pour venir me réfugier chez les religieuses ici », raconte cette victime, qui confie avoir eu des camarades qui ont été précocement données en mariage et qui se retrouvent aujourd’hui face à plusieurs difficultés de la vie. Elle a invité les parents à soutenir leurs filles et à surtout éviter de leur donner en mariage avant l’âge autorisé.

Salimata (nom d’emprunt) a aussi été victime du mariage d’enfant dans la province du Zounweogo. Elle avait été donnée en mariage à l’âge de 12 ans alors qu’elle était en classe de CM2. Selon ses explications, elle doit son salut à l’association Zak la Yilguimdé qui l’a sauvée in extrémis.

Voir plus de détails dans cette vidéo⤵️

En effet, dans la région du centre-sud, précisément à Manga, les caravaniers ont pu rencontrer les responsables de l’association Zak La Yilguimdé. Pingwendé Emile Ouédraogo est chargé de projet de cette association qui intervient dans les 6 communes de la province à travers des activités diverses, dont le renforcement de compétences pour les enfants afin qu’ils puissent être des acteurs de changement. Sur le plan de l’éducation, l’association accompagne les enseignants à travers plusieurs actions de sensibilisation. Des sensibilisations sont aussi faites à l’endroit du public. Les leaders coutumiers et religieux, à l’en croire, occupent une grande place dans les actions de l’association, ce qui permet de réduire considérablement cette pratique dans le Zoundweogo. Même s’il faut reconnaitre que cette pratique, de façon générale, est en baisse au regard des actions de sensibilisation sur la question, dans certaines zones, la pratique se poursuit de façon clandestine. 

En 2021, « environ 6 cas » de mariage d’enfants ont été déclarés à l’association Zak La Yilguimdé, a confié M. Ouédraogo, rappelant que cela ne reflète pas la réalité du terrain, parce que, explique-t-il, « le mariage d’enfants, de façon générale, est une pratique cachée et les chiffres qui sont souvent avancés ne reflètent pas le terrain ». A l’en croire, « tous les cas ne sont pas déclarés ». Il confie cependant que grâce aux sensibilisations, les populations ont commencé à comprendre les dangers de cette pratique et les filles victimes viennent de plus en plus se déclarer à l’association pour « sauver leur situation. »

Pingwendé Emile Ouédraogo est chargé de projet à l’association Zak La Yilguimdé

« Les gens ne sont pas prompts à dénoncer »

Le substitut du procureur et coordonnatrice du réseau de protection de l’enfant (RPE), Laure Souga/Ouédraogo, a rappelé que le mariage d’enfant désigne tout mariage officiel ou non officialisé entre un individu de moins de 18 ans et un adulte, ou avec un autre enfant. « En ce qui concerne notre code pénal, le mariage d’enfants n’a pas de connotation pénale en tant que tel. Quand on fouille dans le code pénal ou le code de procédure pénale, on ne verra pas une infraction intitulée mariage d’enfants », précise-t-elle, avant d’indiquer que ces faits peuvent être requalifiés et être punis par la loi. De son explication, les infractions comme le viol, les détournements de mineurs, les enlèvements d’enfants, le mariage forcé, etc. sont punis par la loi. Il y a aussi les rapts qui sont le fait pour une personne d’enlever de force une femme (jeune fille, mineure ou majeure). « Si on lui impose un mariage sans son consentement, ça constitue un rapt. Cette infraction est punie d’une peine d’emprisonnement de 6 mois à 5 ans et d’une amande de 500 000 FCFA à 1 millions de FCFA. Lorsque l’auteur du rapt s’est livré à des sévices sexuels ou un viol sur la victime, la peine est plus aggravée », a-t-elle indiqué. 

Laure Souga/Ouédraogo, substitut du procureur et coordonnatrice du réseau de protection de l’enfant (RPE)

A l’en croire, des cas de mariage d’enfants sont déjà rencontrés à Manga. Elle déplore le fait que « les gens ne sont pas prompts à dénoncer » ces cas aux services compétents pour suite à donner.

La caravane qui s’est déroulé du 11 au 17 octobre 2022, s’est achevé sur une note de satisfaction des différents caravaniers qui ont pu s’imprégner des réalités de la lutte contre le mariage d’enfants dans les différentes régions visitées.

A. Kinda 

Minute.bf

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