Mamoudou Ouédraogo, coordonnateur national de l’Association pour l’Education et l’Environnement (A-2E), dans un entretien accordé à www.minute.bf, invite les populations à un comportement responsable vis-à-vis de l’environnement, dans l’optique de minimiser au mieux, l’impact du changement climatique au Burkina Faso. Il a expliqué le mécanisme de la REDD+, les acquis de ce projet et les actions menées par A-2E dans la lutte contre le changement climatique.
Minute.bf : Présentez-nous votre association et dites-nous quelles sont ses actions ?
Mamoudou Ouédraogo : L’Association pour l’Education et l’Environnement est une structure philanthropique créée en 2008, et regroupant aujourd’hui plus de 275 membres. Elle a pour vocation de mettre l’homme au centre du développement durable et cela passe nécessairement par l’éducation et des comportements éco-citoyens vis-à-vis de l’environnement. L’A-2E veut aussi contribuer pour le développement durable à travers la promotion de l’éducation ; des énergies renouvelables ; la protection de l’environnement, l’accès à l’eau potable, à l’assainissement, la promotion de la santé de la mère et de l’enfant ; le genre etc.
Dans le domaine de l’éducation, A-2E a mené des activités de sensibilisation pour favoriser la scolarisation des filles. Nous avons sensibilisé les parents à la nécessité d’inscrire toutes les filles à l’école au même titre que les garçons. Il faut aussi noter qu’au plan infrastructurel, à travers des plaidoyers, en synergie avec d’autres associations, nous avons eu des partenaires qui ont appuyé la construction d’écoles. Nous avons aussi appuyé, à travers des parrainages, la scolarisation de beaucoup d’élèves, surtout dans la province du Loroum. Nous avions mené des actions de reboisement dans les établissements scolaires pour que les élèves puissent étudier dans un cadre agréable.
Dans le domaine de l’environnement, nous avons beaucoup de réalisations, notamment la récupération des terres dégradées. Sur ce point, ce sont des centaines d’hectares que nous avons pu récupérer à travers des systèmes comme le Zaï, les diguettes, etc. Nous avons créé un bosquet d’environ cinq hectares dans la ville de Titao. Nous avons aussi, en partenariat avec des organismes comme la Food and agriculture organization (FAO), réalisé des activités de promotion de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Nous avons appuyé des groupements féminins dans leurs actions ; nous avons installé des brigades vertes à Ouindigui (15) et Titao (80). Nous avons formé une dizaine de femmes en techniques de recyclage du plastique. Aujourd’hui, ces femmes arrivent à fabriquer des pavés, des sacs d’écolier, des sacs d’ordinateurs, des tables bancs, des tabourets, etc. à base du plastique. Cela, dans l’optique de lutter contre le péril plastique qui détruit l’environnement et tous les espèces vivants sur terre. Parce qu’au-delà de la mort du cheptel dont près de 30% est attribuée au plastique, les animaux aquatiques souffrent aussi du péril plastique et que dire de l’homme qui consomme ces animaux ? Certaines de nos maladies comme celles cancérigènes seraient dues au péril plastique.
Nous menons, en plus des sensibilisations dans le domaine de l’environnement, des actions de renforcement des capacités des acteurs locaux, du monde paysan et de toutes les couches de la société civile. Récemment, en partenariat avec l’alliance panafricaine pour la justice climatique (PACJA), basée au Kenya, nous avons bénéficié d’un financement dans le cadre du Fonds de partenariat pour le carbone forestier (FCPF) de la Banque mondiale, pour la mise en œuvre du Projet de renforcement des capacités et des connaissances des acteurs de la société civile et des communautés locales sur le changement climatique et la Réduction des émissions dues à la déforestation et la dégradation des forêts (REDD+). Ce projet a été mis en œuvre dans les régions du nord et du centre-nord du pays. Nous sommes à la fin de ce projet et nous avons des motifs de satisfaction suite aux nombreux acquis.
Nous intervenons également dans le domaine du civisme et dans la gestion et la prévention des conflits. A ce propos, nous travaillons actuellement sur le terrain avec un partenaire américain pour contribuer à réduire considérablement l’extrémisme violent et prévenir les cas de conflits fonciers au Burkina Faso. Aussi, avec le National Démocratic Institut (NDI) nous sommes en train de mettre en œuvre un programme de promotion du civisme, de prévention et de gestion de conflits.
Donnez-nous quelques points de satisfaction dans la mise en œuvre de la REDD+ au Burkina Faso ?
A l’élaboration du projet REDD+, nous avions prévu un certain nombre d’activités qui devraient nous permettre de mobiliser au moins 720 femmes et 850 hommes. Aujourd’hui, nous avons pu réaliser toutes ces activités avec une mobilisation au-delà de nos attentes car nous avons atteint la barre de 1708 bénéficiaires dont 50% sont des femmes. Nous avons aussi pu réaliser une table ronde qui a réuni les acteurs étatiques et ceux non étatiques, pour qu’il y ait une synergie d’action. Le gouvernement a pris des engagements internationaux et lesdits engagements doivent être mis en œuvre par l’ensemble des Burkinabè, et la société civile doit jouer sa partition. Dans ce sens, si les acteurs étatiques et non étatiques ne s’assoient pas autour d’une même table, il serait difficile d’avoir une synergie d’action. C’est la raison pour laquelle nous avons d’abord créé ce cadre, qui a permis à l’ensemble des acteurs de se connaitre, mais aussi, de savoir ce que chacun fait dans son domaine et de voir quelle passerelle établir pour qu’il y ait une conjugaison des efforts. Nous avons également organisé un forum de la société civile qui a réuni des acteurs de la société civile de la région du Nord et du Centre-nord, surtout les acteurs qui interviennent dans le domaine du changement climatique et de la REDD+. Ce fut l’occasion pour A-2E de présenter à ces organisations, les stratégies qu’il faut adopter pour avoir des financements.
A l’issu de cela, nous avons aussi organisé des cadres de dialogue autour de la REDD+ et dans chaque région (Nord et centre-nord) nous avons réuni environ 150 personnes composées des échantillons de la communauté (acteurs étatiques déconcentrés, monde paysan, OSC, leaders coutumiers et religieux, etc.). Des présentations ont été faites sur la REDD+ et cela a permis à ces acteurs de s’engager pour la mise en œuvre du mécanisme REDD+ du Burkina Faso. Ensuite, nous avons organisé une session de renforcement des capacités de vingt de nos animateurs. A leur tour, ils sont allés dans tous les villages des deux régions pour sensibiliser le monde paysan sur les comportements à adopter face au changement climatique. Rappelons que ce monde paysan dépend beaucoup de la terre et des forêts. S’il y a une méconnaissance vis-à-vis de l’importance de l’environnement, de la forêt, ce sont des gens qui peuvent abusivement utiliser ces ressources, ce qui pourrait un jour être préjudiciable à la vie humaine sur terre. Je vous informe que chaque minute qui passe, le monde entier perd l’équivalent de la superficie d’un terrain de football. Plus le temps passe, plus la planète perd ses forêts, plus la terre se réchauffe et perd ses ressources.
Au cours de ce projet, une trentaine d’acteurs de la société civile ont été formés pour intervenir dans le domaine de la protection de l’environnement par le reboisement.
Lire aussi: Burkina : Des journalistes à l’école du changement climatique
Chaque année, le Burkina Faso perd plus de 107 000 hectares de ses forêts à cause du changement climatique. Vous qui êtes une association de lutte contre le changement climatique, que pensez-vous que le pays puisse faire pour minimiser l’impact de ce changement climatique sur son sol ?
Cette question est plus que jamais d’actualité. C’est la raison d’être même de la REDD+. Ce que peut faire le Burkina Faso, c’est d’appliquer la REDD+ qui veut dire, la Réduction des Emissions dues à la Déforestation et à la Dégradation des Forêts. Au plan politique, le Burkina doit adopter des stratégies qui conduiraient la population à changer de comportement vis-à-vis de l’environnement. Cela passe par l’éducation, par la formation, par l’information et la communication. Aujourd’hui, nous constatons que les gens ne sont pas trop imprégnés des questions de changement climatique. Il y en a qui ne savent pas, certains n’y comprennent pas et d’autres mêmes ne croient pas en cela. On remarque quelques changements, mais les gens ne comprennent pas ce qui se passe et si rien n’est fait, nous serons exposés. Donc, les politiques ont un très grand rôle à jouer mais la société civile, de façon générale, a également un rôle important à jouer.
Dans cette question de déforestation, de changement climatique, chacun y participe d’une manière ou d’une autre. On peut penser que c’est seulement ceux qui se donnent à la coupe abusive du bois ou ceux qui ont de grandes usines qui provoquent les changements climatiques mais de part et d’autre, chacun a un rôle à jouer. Quand l’on jette un mégot de cigarette au bord de la voie où quand l’on jette un sachet, après avoir consommé son eau, au bord de la voie ou dans tout autre endroit non-indiqué pour le faire, l’on participe au réchauffement climatique. Il y a des gestes simples que nous faisons mais qui entrainent le réchauffement climatique. Ainsi, les actions de reboisement constituent une solution pour la séquestration du gaz carbonique contenu dans l’atmosphère. A 85%, les gaz à effet de serre sont liés aux énergies fossiles. Les autres sources d’émission de gaz contribuent à hauteur des 15% restant.
C’est donc dire que nos motos, les véhicules que nous utilisons contribuent à la pollution. Nous devons changer de comportement et surtout, notre relation avec l’environnement. Nous devons réduire au maximum la coupe abusive du bois. Nous devons aussi passer aux énergies renouvelables, une solution à notre sens pour la réduction des effets néfastes du changement climatique.
Les politiques ont un rôle à jouer à ce niveau, parce que les énergies renouvelables ne sont pas accessibles à tous. De même, les ménages utilisent beaucoup plus le bois de chauffe au Burkina et ces bois émanent des forets. A ce niveau, nous disons que le gouvernement doit véritablement adopter des politiques et des stratégies de financement des énergies renouvelables afin de les rendre accessibles aux populations pour qu’elles puissent les utiliser en lieu et place du charbon de bois. Nous pensons aussi que dans les différentes pratiques comme l’agriculture qui occupe le premier rang en termes de déforestation, il y a des méthodes qui permettent ces pratiques tout en protégeant les espèces au niveau des champs. C’est le cas de l’agroforesterie.
Donc, nous devons non seulement planter beaucoup d’arbres, mais aussi réduire, voire arrêter la coupe abusive du bois. Cela nous permettra d’avoir une terre vivable pour nous-même et pour les générations futures. En la matière, les indicateurs ne sont pas bons car si l’on continue de vivre ainsi, la terre ne sera pas vivable plus tard. C’est-à-dire que tout ce que nous voyons comme êtres vivants va mourir, disparaitre, si rien n’est fait. Raison pour laquelle nous interpellons et appelons à un engagement citoyen pour travailler afin qu’il y ait un changement au niveau de l’environnement.
Des reboisements qui se font au Burkina Faso, quelques jours après, nous constatons que les plantes disparaissent, faute d’entretien et de protection. Quelles sont les actions que vous menez dans ce sens ?
Ce constat a effectivement été fait et cela décourage les acteurs. La survie d’un arbre dépend de beaucoup de facteurs, de la graine jusqu’à la plantation. Il faut que ce soit une bonne graine, il faut que la pépinière soit bien entretenue, que le transport soit bien sécurisé ; il faut également que la trouaison, la plantation et l’arrosage respectent les normes pour que la plante puisse survivre. Les gens oublient que la plante qu’on vient d’enfuir sous terre est comme un nouveau-né et si l’on le confond à d’autres plus âgés, ce sera une erreur. On pense souvent qu’il suffit de mettre la plante sous terre et c’est fini. Non, quand on met un bébé au monde il faut le protéger, bien s’occuper de lui. C’est souvent ce qui manque et les gens le font par méconnaissance sinon, normalement, quand on plante et que l’on suit le paquet technique, le taux de succès est encourageant. Nous avons fait l’expérience de planter sur des terres arides, devenues des bosquets aujourd’hui. Nous pensons que partout ailleurs on peut répliquer cette stratégie.
C’est pour dire que le pépiniériste a son rôle à jouer, mais la plupart du temps, le problème vient des conditions de transport, de la manière de planter. On préconise de planter utile car si vous n’avez pas les moyens de protéger 10 arbres alors plantez-en cinq si vous avez les moyens de les protéger. Si vous plantez cent arbres et à la saison prochaine vous venez constater qu’il n’y a que cinq, c’est comme si vous aviez planté cinq. Le seul moyen de réussir les reboisements, c’est de planter utile.
Quels sont les rapports que vous entretenez avec le ministère de l’environnement aujourd’hui ?
L’A-2E, depuis 2010, entretient de bons rapports avec le ministère en charge de l’environnement, depuis la base, au niveau des communes et des provinces en passant par la région jusqu’au niveau national. Nous essayons, autant que faire se peut, de contribuer à l’atteinte des objectifs auxquels ce département s’est assigné. Il y a beaucoup d’actions que nous avons menées en synergie, parmi lesquelles l’opération zéro sachet plastique où nous avons collecté près de 4 tonnes de déchets plastiques en 2014. Il y a bien d’autres actions telles que les reboisements, les sensibilisations que nous faisons ensemble. Pratiquement, tous nos projets se réalisent en synergie avec les acteurs techniques de ce département.
Récemment, nous avons mis en œuvre le projet REDD+ qui a été suivi pas à pas par le programme d’investissement forestier (PIF) REDD+ du Burkina qui a participé à toutes les activités. Nous voulons que ce département aussi soit témoins de ce que nous faisons sur le terrain. Comme la REDD+ est une action hautement technique, leur présence à nos côtés nous permet de faire face à certaines questions d’ordre technique que les participants ont souvent à nous poser. Nous entretenons de très bonnes relations et cela donne des résultats forts encourageants. Nous souhaitons que cette relation se poursuive. Il est sûr que nous aurons plus d’impact sur le terrain et cela sera pour le bonheur de l’ensemble de la population burkinabè.
Quels sont les projets en vue par votre association A-2E ?
Dans le cadre du changement climatique nous avons des actions dans le domaine de la protection et la préservation des ressources en eaux. Nous avons en vue des projets dans le domaine de lareforestation. La deuxième phase de la REDD+ concerne la réalisation concrète des actions de reboisement. A partir de 2020, nous allons intensifier nos actions de reboisement et nous allons créer beaucoup plus de bosquets.
Par la suite, nous comptons toujours promouvoir l’utilisation des énergies renouvelables pour substituer à l’utilisation des autres sources d’énergies qui détruisent l’environnement. Nous avons, depuis 2012-2013, engagé un processus de sensibilisation contre l’utilisation des sachets plastiques. Nous comptons poursuivre ce combat pour lutter contre l’utilisation et la vente de ces produits hautement périssables. Nous avons fait un constat amer en 2014 lorsque l’Assemblée nationale a voté une loi qui interdit l’importation, la vente et l’utilisation des sachets plastiques. Nos commerçants qui sont astucieux ont trouvé bon d’importer des sachets, des emballages plastiques estampillés Biodégradables.
Nous avons fait l’expérimentation et nous avons découvert qu’il ne s’agit pas d’emballages biodégradables mais plutôt d’emballages oxo-dégradables. La différence est que l’emballage oxo-dégradable s’effrite en présence de la chaleur. Contrairement à un emballage biodégradable qui se transforme en compost. Ces sachets peuvent être utilisés dans le compostage.
Les sachetsoxo-dégradables, pour nous, sont plus dangereux que les autres types de sachets. C’est pourquoi nous voulons que le gouvernement aille jusqu’au bout en interdisant l’utilisation de tous types de sachets qui ne soient pas réellement biodégradables. Cela aussi est une mesure à prendre pour, non seulement, nous sauver, mais aussi, sauver les animaux. 30% de la mort des cheptels est attribuée aux sachets plastiques. Nous avons des actions de sensibilisation que nous comptons pérenniser dans ce sens.
Il y a bien d’autres actions que nous envisageons. Nous savons qu’avec l’insécurité qui sévit au Burkina Faso, il y a beaucoup de populations déplacées, ce qui multiplie les besoins enressources en eaux, en source d’énergie, en infrastructures et du coup, c’est l’environnement qui va subir cette pression. Ce sont des actions à anticiper qui permettront d’offrir aux personnes déplacées des activités qui contribueraient à épargner l’environnement. La dernière action que nous comptons mener est d’aller dans les lycées et collèges ainsi que dans les universités pour mobiliser davantage les élèves et les étudiants à travailler dans le sens de la préservation de l’environnement. Construire une jeunesse éco-citoyenne est l’un de nos objectifs pour l’année 2019.
Nous sommes à la fin de notre entretien, est ce que avez-vous un dernier mot ?
Mes derniers mots, ce sont véritablement des mots de remerciement à l’endroit de minute.bf. Mes mots de remerciement à Alliance Panafricaine pour la justice climatique, à l’endroit du département du ministère en charge de l’environnement et à l’ensemble de nos partenaires techniques et financiers. A l’endroit de nos bénéficiaires, surtout ceux qui se trouvent dans les zones d’insécurité et qui étaient contraints de quitter leurs terres, c’est véritablement les encourager et souhaiter que la paix revienne au Burkina Faso pour que nous puissions continuer toujours le combat pour le développement humain durable et la protection de l’environnement. J’invite le Burkinabé à changer de comportement vis-à-vis de l’environnement. Cela y va des intérêts de notre génération ainsi que des générations futures. La terre ne nous appartient pas. Elle nous a été empruntée par les générations futures et nous devons en prendre soins et léguer à ces générations ce qui leur revient de droit.
Propos recueillis par Armand Kinda
Minute.bf