Le statut particulier du personnel de l’éducation a été adopté et signé en conseil des ministres. Pourtant, depuis le début, le Syndicat national des Travailleurs de l’Education de Base (SYNTEF) avait rejeté les clauses de ce statut. Dans cette interview accordée à Minute.bf, le secrétaire général du SYNTEF rejette avec véhémence ce statut qu’il estime inique parce que « taillé sur mesure pour défavoriser le primaire et le pré-scolaire ». Il réagit également sur un sujet d’actualité, la réouverture des classes pour la continuité de l’éducation.
Minute.bf : Le Ministre en charge de l’Education nationale entreprend des actions pour la réouverture des classes qui étaient fermées depuis le 16 mars dernier pour cause de l’épidémie à Coronavirus. Il entend aussi lancer l’éducation à distance qui se fera par le biais des radios, télévisions, internet, etc. Quelle lecture faites-vous de toutes ces mesures ?
Bernard Sawadogo : A ce niveau, je pense qu’il y a de la précipitation parce que le Burkina Faso ne se résume pas aux grandes villes. Nous avons plus de la moitié des élèves qui sont dans les campagnes. Ces élèves n’ont pas forcément accès aux médias dont fait cas le ministre. Il y a des élèves qui peuvent faire deux semaines sans écouter la radio. Et comme ce n’est pas de leurs habitudes, quand on leur demandera d’écouter la radio pour comprendre les cours, il leur sera difficile de s’y adapter. Je pense qu’il fallait réellement murir la réflexion et ne pas aller dans la précipitation pour la réouverture des classes. Le dispositif que le ministre veut mettre en place n’apportera pas grand-chose. J’ai l’impression que tout se fait dans la précipitation, mais je ne sais pas dans quel intérêt il le fait.
Minute.bf : Pour ceux qui sont dans les zones très reculées, des dispositions ont été prises. Des annales aideront les enseignants et les élèves dans la continuité de l’éducation…
Bernard Sawadogo : Les annales n’enseignent pas les élèves. L’enfant a besoin de lire, de comprendre, de poser des questions là où il a des zones d’ombre pour mieux comprendre les choses. On a toujours dit que pour que l’enfant comprenne mieux, il faut qu’il observe. L’observation est la clef de succès de l’enfant, surtout des élèves de moins de 13 ans, c’est-à-dire les enfants du primaire. Mais si vous leur remettez des annales comme à des élèves de la terminale, même ceux qui sont à la terminale auront des difficultés n’en parlons pas des enfants du primaire. L’enfant n’étant pas habitué à ces genres de situations, subitement, on le met dans une situation dans laquelle il ne comprendra rien. Je pense que la solution ici n’était pas les annales, les médias, etc. Il fallait surtout patienter un peu pour suivre l’évolution du covid-19, voir dans quelle mesure il serait possible de procéder à la réouverture des classes.
Je proposerais que cette réouverture se fasse avec la réduction des effectifs dans les classes. Quand on prend par exemple une classe de 50 élèves, on pouvait alterner de sorte à faire le cours avec 15 élèves placés à des distances raisonnables. On ne pourra pas dispenser les cours comme on le faisait avant. On aura certes, un volume horaire faible, mais, néanmoins, on pourra évoluer. En ce moment, le peu que l’enfant aura vaudra mieux que l’annale qu’on lui remettra. A mon avis, les cours à distance viendront distraire encore plus l’enfant. Il faut que nous retenions qu’à cet âge, l’enfant a plus besoin de jeu que de concentration. Il faudra donc tenir compte de la psychologie de l’enfant quand on pose les actes.
Minute.bf : Vous rejetiez le statut particulier obtenu de longue lutte par la Coordination nationale des syndicats de l’éducation (CNSE). Le statut a finalement été adopté et signé. Il reste son application. Quelles seront donc vos futures actions ?
Bernard Sawadogo : Les actions ne manqueront pas. Au contraire, l’adoption de ce statut particulier nous donne beaucoup de militants parce que les gens voient clair maintenant. Mais les actions que nous allons mener ne pourront pas être dévoilées ici sans consulter la base. Nous allons nous réunir dans une rencontre du bureau pour dégager la lutte à mener. Avec la base nous verrons dans quelles conditions nous allons, après le covid-19, mener la lutte. Nous n’aurons plus besoin de beaucoup d’énergie pour mener cette lutte parce que déjà, beaucoup de personnes ont compris que le statut particulier a été taillé sur mesure. Cela va, en réalité, nous faciliter la tâche. Mais les luttes ne manqueront pas.
Minute.bf : Le salaire de plusieurs fonctionnaires avait été suspendu pour certaines raisons. 14 syndicats avaient adressé une lettre au président du Faso, implorant sa clémence. Le ministre de l’éducation a annoncé que, sur instruction du président du Faso qui a été sensible à cette démarche, les salaires seront restitués avec rappel. Quelle appréciation faites-vous de cela ?
Bernard Sawadogo : Chaque syndicat est libre de mener ses actions. Mais là, je pense que le gouvernement est en train de vouloir se cacher derrière ce syndicat pour résoudre les problèmes. La coalition dont est membre le SYNTEF compte plus de 50 syndicats. Nous avions ensemble mené la lutte contre l’extension de l’Impôt unique sur les traitements et salaires (IUTS) sur les primes et indemnité des travailleurs, jusqu’à la suspension des salaires. Depuis lors, nous n’avons pas été approchés pour un quelconque dialogue. Nous maintenons le cap. Nous avons cotisé plus de 60 millions pour venir en aide aux camarades dont le salaire a été suspendu. Nous restons dans la même logique. Ceux qui demandent la clémence du président, je pense que c’est leur point de vue. Mais, pour ce que nous concerne, nous allons mener notre lutte comme il se doit, quitte à devenir un rapport de force pour que chacun puisse se situer. Ce rapport de force va se situer au niveau de la mobilisation. Nous n’avons pas d’inquiétude. Qu’ils rétablissent le salaire ou pas, nous allons nous débrouiller jusqu’à ce que le Covid-19 passe, pour après encore relancer nos actions. Nous reviendront plus fort que cela. Alors, dire que des syndicats ont demandé leur clémence, s’ils veulent qu’ils acceptent cette demande ou pas, ce n’est pas notre problème. La coalition actuellement est en force et nous allons lutter pour le rétablissement de nos droits.
Des dédommagements en fonction de cette coupure doivent être opérés. Nous ne nous arrêterons pas à l’acte de coupure de salaire. Il faut voir les conséquences que ces coupures ont engendrées et les assumer. A ce niveau, je pense que chaque syndicat est libre de faire ce qu’il veut. C’est leur façon de voir les choses et nous respectons leur position. Nous n’avons pas demandé à quelqu’un d’aller demander la clémence de qui que ce soit pour que nos salaires soient rétablis. Les salaires seront obligatoirement rétablis.
Ce que les syndicats réclament, c’est leur droit. Nous ne sommes pas appelés à aller mendier nos droits chez un président. Sur quelle base est allé le gouvernement pour couper le salaire de plus de 700 travailleurs dont la plupart est de l’enseignement? Le gouvernement affirme que les salaires n’ont pas été coupés pour fait de grèves. Qu’il nous explique pourquoi les salaires ont donc été coupés ? Est-ce une défaillance technique qui s’applique plus aux enseignants? Ou bien c’est la clémence du président qui a fait que l’on ne sait plus pourquoi les salaires ont été coupés ? Le rétablissement seul des salaires ne résout pas le problème parce que des préjudices ont été causés à des familles entières. Il faut que ces familles soient dédommagées, donc la lutte doit se poursuivre.
Minute.bf : Avez-vous un point sur lequel vous aimerez intervenir ?
Bernard Sawadogo : Oui, je voudrais intervenir sur la question des passerelles. Quand on parle du statut on fait beaucoup allusion aux passerelles. On nous dit qu’on peut quitter un point A pour aller à un point B. Il faut que je vous dise que lorsque j’ai pris le volet primaire pour être instituteur, ce n’est pas parce que je n’avais pas le niveau de faire autre chose ; c’est un choix personnel. Les gens vous diront que pour quitter la catégorie A pour aller ailleurs, il faut passer par les passerelles.
On ne doit pas être obligé de quitter le volet primaire pour aller à la catégorie P. Cette catégorie doit plutôt exister pour tous les corps. Moi par exemple, si j’ai besoin d’aller en catégorie P, il va falloir que je quitte le volet primaire pour postuler ailleurs, alors que je n’avais pas fait mon concours pour aller ailleurs. Nous avons reconnu que les passerelles sont là mais elles nous obligent à quitter notre corps. Pourtant, nous ne voulons pas quitter notre corps. Il faudra donc créer la catégorie P pour notre corps, quitte à nous imposer d’autres conditions.
Propos recueillis par Armand Kinda
Minute.bf