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mardi 21 mai 2024

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Burkina : Viol conjugal, un tabou dont souffrent beaucoup de femmes en silence

Le viol conjugal répond à tout acte de pénétration vaginale, orale ou anale par le moyen d’organe sexuel ou tout autre membre du corps ou encore par un objet sans le consentement de sa ou son conjoint (e). Au Burkina et sur le continent, le viol conjugal est vu comme un phénomène surréaliste. Victimes de ce phénomène, beaucoup de femmes se murent dans un silence total. Reportage de www.minute.bf .

Dans un univers où le sexe demeure un sujet tabou, le viol conjugal est perçu comme étant un « concept de blancs » pour les uns, et un « phénomène irréel » pour les autres. Certains vont jusqu’à voir le viol conjugal comme une « pratique normale » en Afrique. Issa Ouédraogo, jeune marié rencontré dans un  »grin de thé » (Ndlr; regroupement de jeunes buvant du thé tout en menant des débats d’ordre politique, social, etc.) estime que « dans certaines cultures, la femme a été formatée de telle sorte que si elle est mariée à un homme, même si c’est un mariage arrangé, il y a des choses qu’elle ne peut pas refuser. Dans certaines cultures, le mari n’a même pas besoin de demander. Quand il descend, donne-lui à se doucher d’abord, il mange et c’est ça qui reste. C’est normal, c’est le rôle de la femme, donc cette affaire de viol conjugal est irréelle ».

Un acte puni par la loi

Pourtant, ce n’est pas ce que pense le législateur qui a pris conscience du phénomène dans le code pénal révisé de 2018. L’article 14 de la loi N° 061-2015/CNT portant prévention, répression et réparation des violences à l’égard des femmes et des filles punit le viol commis de manière répétitive sur une partenaire intime et habituelle avec qui l’auteur entretient des relations sexuelles stables et continues. Ainsi tout viol commis entre conjoints, concubins ou même simples partenaires intimes stables et habituels est puni par la loi burkinabè. Mais la difficulté pour l’appréhender reste entière : il faut d’abord la dénoncer ensuite la prouver, ce qui suppose en faire la publicité. Et c’est là que réside toute la difficulté pour les victimes.

Selon Julie Rose Ouédraogo, membre de l’Association des Femmes Juristes du Burkina Faso, « le viol conjugal est une infraction qu’on doit prouver comme toute autre infraction. Pourtant, le viol de façon générale est difficile à prouver en dehors des cas où il y a eu violence ayant laissé des traces sur le corps en plus de la présence de spermes dans le vagin ou lorsqu’il y a eu des temoins. On voit donc que le viol conjugal que l’on tend à assimiler au devoir conjugal sera difficile à prouver. Ce qui pousse beaucoup de femmes à garder le silence ».

« En isolant le viol conjugal pour en prévoir une répression distincte et légère (peine d’amende) par rapport à celle prévue pour le viol en général (peine de prison ), on a sans doute voulu plutôt tenir compte de l’intérêt de sauvegarder les liens conjugaux tout en dissuadant contre de telles pratiques dans l’avenir », explique la juriste.
Allant dans le même sens, Olivier Caboré, juriste de formation et communicateur au sein de « Juristes sans frontières » précise que la loi punit le viol commis de manière répétitive sur une partenaire intime et habituelle avec qui l’auteur entretient des relations sexuelles stables et continues et que cela peut être considéré comme viol conjugal. Il estime que le législateur a osé, mais il n’est pas allé au bout : « le législateur exige que l’acte soit répétitif sans donner de précision. Est-ce à dire que les va- et-vient sont considérés comme répétitif ou est-ce le faire aujourd’hui et le répéter demain par exemple pour parler de viol conjugal ? ». Dans cette démarche juridique, le terme « répétitif » n’a pas été précisé.

Olivier Caboré, juriste de formation et communicateur au sein de « Juristes sans frontières »

Suite à un post Facebook de l’association « juristes sans frontières » sur l’existence du viol conjugal en 2017, deux femmes ont eu le courage d’en parler. L’une, veuve explique qu’elle était violée par son défunt mari et l’autre, mariée toujours dans son foyer s’est également confiée à l’association. Toutes les deux ont souhaité garder l’anonymat.

Considéré comme « tabou », le viol conjugal est un sujet qui ne se discute pas sur la place publique mais plutôt dans les coins à femmes c’est-à-dire dans les salons de coiffure, les boutiques de vente des secrets de femme.
Après quelques temps passés dans ces milieux, il en ressort que beaucoup de femmes en sont victimes mais préfèrent se taire à jamais. Martine (nom d’emprunt), rencontré dans un salon de coiffure à Ouagadougou lors d’une discussion lance le débat en dévoilant que sa cousine Assita (nom d’emprunt) en est victime: « Ma cousine Assita m’a dit que son mari la force à coucher avec lui malgré elle. Il ne sait pas qu’il y a des jours où elle n’en veut pas et qu’elle est fatiguée. Pour lui, c’est normal vu qu’ils sont mariés ». À entendre les réactions ce jour, l’on se rend compte que même au sein des femmes, certaines pensent que le mari est dans son droit car « une femme ne doit pas refuser son homme surtout si ils sont mariés ».

Pour d’autres, la cousine de Martine est dans son plein droit de refuser si elle donne des raisons valables de maladies ou de fatigue. « Tout est question de dialogue dans le couple », confesse Mélinda, une cliente du salon.

Par ailleurs, le viol conjugal est sanctionné par la loi, même s’il n’y a pas de peine d’emprisonnement. Ainsi, quiconque reconnu coupable d’infraction de viol conjugal est puni d’une peine d’amende de cent mille (100.000) à cinq cent mille (500.000) francs CFA.

Des témoignages de victimes

Pendant que certaines victimes préfèrent se murer dans le silence face à cette situation, d’autres, sous couvert d’anonymat ont décidé de se confier sur leur sort.

Anne Marie (Nom d’emprunt), femme mariée et mère de deux enfants victime répétitive de viol conjugal et impuissante se remet à la prière: « Mon mari ne sait pas que je suis malade, il n’arrive pas à admettre que je n’ai souvent pas envie. Pour lui je dois toujours dire oui et quand je refuse, il me bat et me force à coucher avec lui. Je vis ce calvaire depuis un moment et je ne peux en parler. Parler c’est le faire traiter de tous les noms par notre société. Les seuls moments où j’arrive à me décharger de ce fardeau c’est quand je vais me confesser à l’église. Actuellement je ne peux pas non plus le quitter à cause des enfants, je me contente de juste prier et de demeurer dans le silence ».

Elle aussi victime de viol de son conjoint, Anifa (Nom d’emprunt) femme mariée en souffre. Elle porte un lourd fardeau. « Si la vie de couple est ainsi, j’aurai préféré ne pas être mariée. Mon mari a besoin d’intervention divine. Il m’oblige à coucher avec lui même quand je n’ai pas envie et même quand je suis en période. Je n’en peux plus. Il passe son temps à me dire qu’une femme ne doit pas refuser son homme que c’est ce que la société recommande. Est-ce parce que la société le recommande que je dois mettre ma santé en danger? Franchement je ne sais plus quoi faire », tel est le lourd secret porté par Anifa.

Les religieux condamnent

Si le viol conjugal est condamné par la loi, il l’est également par les différentes religions pratiquées au Burkina Faso
La religion musulmane condamne le viol conjugal. Selon les explications de Lassané Sakandé, imam au Cercle de réflexion et de formation islamique (CERFI), le coran parle des liens de cohabitation entre l’homme et la femme d’une façon générale et pour ce qui est de l’aspect couple, « Dieu nous dit dans le coran au niveau de la sourate 35 que parmi ses signes, parmi les preuves de son existence il y a le fait qu’il a créé de vous pour vous des épouses pour que vous viviez en tranquillité et en harmonie avec elles. Il dit à la fin du verset et il a placé en vous de l’affection et de la bonté. Dieu dit que l’épouse est issue de l’époux, comme on le dit, la femme est issue d’une des côtes de son mari donc elle est une partie de toi. Tel est l’objectif du couple en l’islam », dit-il.

Lassané Sakandé, imam au Cercle de réflexion et de formation islamique (CERFI)


Selon lui, l’Islam dit que « les femmes sont un champ de labour pour les hommes mais pour cela, il faut préparer le terrain en faisant des avances, la préparer à accepter c’est-à-dire avoir son consentement »
En Islam, on ne peut pas parler de viol et le viol qu’il soit conjugal ou extra conjugal est condamné.

Tout comme la communauté musulmane, celle évangélique condamne également le viol conjugal. La vie conjugale étant réglementée, elle ne permet pas de parler de viol conjugal au sein de la communauté évangélique. Le pasteur Simon Ramdé, rencontré au sein de la fédération des églises évangéliques burkinabè nous en parle : « En réalité, si les principes divins sont suivis, il ne devrait pas avoir de viol conjugal. Quand on se marie, c’est comme si on avait le permis d’usage de l’autre ce qui veut dire qu’en principe, il ne devrait pas avoir des frontières. Mais étant humain, on ne peut être 24h sur 24 sur ça, même si on a le permis, il faut bien le règlementer ». Pour le pasteur, la bible parle du principe que le corps de la femme appartient à son mari et vice versa. A l’entendre, même quand la bible dit cela, c’est avec consentement mais pas de façon brutale et violente, mais la bible continue à nous enseigner en disant  »ne vous abstenez pas l’un de l’autre si ce n’est par consentement pour consacrer un moment à la prière, après retournez-y ».

« Cela pour dire que la bible reconnait que l’absence peut entrainer des tentations. On ne devrait pas parler de viol conjugal parmi les Chrétiens, mais malheureusement cela peut arriver du fait d’une mauvaise interprétation des écritures saintes. Mais si ces personnes retournent rapidement à la prière et à la parole de Dieu, elles pourront surmonter cette épreuve. La bible a établi des règles qui régissent donc la vie conjugale et sexuelle qui font que normalement, si elles sont bien suivies, on ne parlera pas de viol conjugal », déclare le Pasteur.

Le viol est un mal et un péché de façon générale. Par ailleurs, celui conjugal l’est également. Et selon Abbé Kisito Konaté, chargé de l’écoute et de l’accompagnement au sein de la paroisse de Nouna, l’église catholique ne tolère pas le viol conjugal. « Dans le mariage sacramental, il est question de consentement. Les époux s’acceptent et l’acte sexuel est un don plutôt qu’un devoir. On parle de devoir conjugal mais en réalité, c’est plutôt un don. On se donne par amour pour l’autre pour son épanouissement ». Au cours des échanges, il nous fait savoir qu’il est souvent confronté à des cas de viols conjugaux de façon voilée en général mais ; un cas à particulièrement retenu son attention. Il s’agit là d’un cas qui est actuellement en procédure de nullité de mariage au sein du tribunal ecclésiastique.

Abbé Kisito Konaté, chargé de l’écoute et de l’accompagnement au sein de la paroisse de Nouna

A l’entendre, « la fille a été promise mais elle n’a jamais aimé ce mariage quand bien même le mariage fut célébré à l’église. Elle n’a jamais été consentante. Après les enquêtes menées par le tribunal ; le monsieur a reconnu que le premier rapport sexuel a été un combat, une vraie lutte. Il y a eu une grossesse et ils se sont séparés, il y a plus de 20ans. C’est dire que ça n’a pas été un consentement et je pense qu’il y a eu un cas de viol conjugal et pour l’église le consentement donné à l’église était vicié vu qu’elle était sous une pression familiale et la relation sexuelle a été forcée et reconnue par les deux ».

La tradition de son côté porte un autre regard sur le phénomène du viol conjugal et estime que la notion de ce viol est apparu avec les brassages culturels.

« Dans la conception traditionnelle, il peut arriver que l’on promette l’enfant à la naissance mais ça, c’était à l’époque de nos grands-parents de par le type d’éducation ou de la soumission de la jeune fille ou de la femme au groupe social. Et le mariage sur la base de promesse et par engagement pouvait se faire sans grands problèmes. Mais à partir du moment où culturellement, il y a eu des brassages, la notion du mariage forcé a commencé à apparaitre« , explique le Yirim Naaba, chef traditionnel dans la province du Yatenga.

Pour ce chef traditionnel « par le biais de la culture et l’éducation, ce genre de mariage était bien encadré et bien suivi donc on ne pouvait pas parler de viol conjugal. Ce n’est pas une union qui est partie de sentiment de l’épouse envers l’époux ».

Privilégier le dialogue entre conjoints

Alors que les communautés religieuses s’opposent au viol conjugal, Suzanne Ilboudo, présidente de l’association des femmes divorcées et des enfants en difficulté estime que les femmes doivent parler à leur partenaires. « Je crois que les femmes doivent négocier avec leurs partenaires. Ce qui est beaucoup plus intelligent. Sinon si nous devons dire qu’il y a viol conjugal ce n’est pas toujours évident dans nos contrées. Nos hommes bien qu’ils soient intellectuels, leur dictature et suprématie demeurent. Si nous ne savons pas négocier, ça va être compliqué ».
La complicité doit être au cœur du couple, foi de Suzanne Ilboudo qui explique: « On ne dit pas de programmer, mais l’un tout comme l’autre doit comprendre qu’il y a des jours ou l’envie n’est pas au rendez-vous. Les femmes doivent pouvoir faire comprendre à leurs époux que pour des raisons de fatigue ou de menstruation, elles ne sont pas aptes à le faire. Sinon je peux dire que toutes les femmes en sont victimes car il y a des moments où elles le font malgré elles ».

Sujanne Ilboudo présidente de l’Association des femmes divorcées et enfants en difficultés


Suzanne Ilboudo pense qu’en voulant trop revendiquer les droits des femmes par rapport à ce sujet, on risque de casser beaucoup de couples. « Si on doit mettre l’accent sur cela, il y aura beaucoup de divorces. Mais je pense que si tu raisonnes bien le mari, ça passe. Une femme m’a dit que le jour où monsieur rentre avec un sachet noir elle sait qu’il a envie d’elle et de son côté elle est également aux petits soins ce qui prouve qu’il y a une complicité et une communication dans le couple. Je préfère qu’en matière de viol conjugal, on parle de négociation, communication et si on peut sensibiliser les gens sur ça, je suis d’avis mais parler de sanctions, c’est casser les couples », explique la présidente de l’association des femmes divorcées et des enfants en difficultés.

Par Mireille Sandrine Bado

Pour www.minute.bf

Cet article a été réalisé en collaboration avec la cellule Norbert Zongo pour l’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO)

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