Dr Tongnoma Zongo, Chercheur et Spécialiste des questions minières à l’Institut des Sciences des Sociétés (INSS) du CNRST a mené la réflexion autour du thème : « Faire l’orpaillage dans un contexte d’insécurité ». Lire son analyse ici⤵️
Thème : Faire l’orpaillage dans un contexte d’insécurité au Burkina Faso
Résumé
Ce document de vulgarisation est tiré de l’article intitulé « attaques des groupes armes, activites agricoles et exploitation artisanale de l’or dans la province du Sanmatenga au Burkina Faso » publié dans la revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, Num. spécial, Vol. 4, Actes du colloque d’hommage au Prof. TPZ, janv. 2023 analyse les facteurs qui entrainent des recompositions des interventions des acteurs de l’orpaillage.
La multiplicité des attaques des groupes armés sur l’ensemble du territoire burkinabè a créé un nouvel environnement dans l’intervention des acteurs du monde de l’exploitation artisanale de l’or. Vu le caractère important du secteur de la mine artisanale sur le plan économique national il y a lieu de regarder cette nouvelle réalité. Ce nouvel environnement a inévitablement une influence sur les mécanismes d’interventions habituelles des acteurs de la mine artisanale au Burkina Faso. Dans ces conditions, l’installation des groupes armés dans une bonne partie des sites miniers et la récurrence des attaques sur les axes routiers se présentent comme des facteurs qui entrainent des recompositions des interventions des acteurs du domaine, de définition des rapports et de modification des attitudes et comportements dans un secteur stratégique pour l’économie.
Introduction
Dans le contexte actuel d’attaque des groupes terroristes au Burkina Faso, les sites aurifères artisanaux peuvent constituer un nid de refuge pour les groupes armés qui sévissent au Burkina Faso d’une part, et d’autre part, ils représentent souvent des zones de fortes tensions avec la population environnante. Au vu de l’importance de l’orpaillage dans la vie socioéconomique des populations, la question qui se pose est la suivante : comment les orpailleurs cherchent ou arrivent-ils à faire face à ces défis sécuritaires colossaux qui menacent leur activité ? Comment les artisans miniers arrivent-ils à naviguer dans les zones dites dangereuses pour extraire la ressource or ? Au-delà des constats faits, il s’agit d’analyser les changements observables dans les comportements des acteurs du monde minier depuis l’installation de la crise sécuritaire au Burkina Faso
Méthodologie
Dans les sites d’orpaillage, mener des enquêtes de terrain de nos jours s’avère une entreprise périlleuse eu égard à la crise sécuritaire que traverse actuellement le Burkina Faso. C’est pourquoi nous avons développé une méthodologie adaptée au contexte sécuritaire fondée essentiellement sur une revue de littérature existante (sources documentaires dont des rapports, publications scientifiques, articles de presse, etc.). Dans cette approche, nous avons opté de nous entretenir avec quelques acteurs hors site et d’utiliser d’autres comme « enquêteurs-informateurs ». De cette manière, nous avons pu faire remonter des informations émanant des zones à fort défi sécuritaire. Nous avons donc engagé un dialogue auprès des acteurs du secteur minier avec la volonté de comprendre les mutations qui se construisent dans le secteur depuis l’avènement des attaques des groupes armés terroristes (GAT). Cela a nécessité une approche participative et inclusive qui a mobilisé certains acteurs clés (les collectivités locales des communes concernées par l’étude, les groupes d’exploitants aurifères, les collectivités territoriales, le ministère des mines) aussi dans la capitale Ouagadougou et dans les zones l’étude.
Présentation et discussion des résultats.
Comprendre les échecs des politiques de sécurité dans les sites d’orpaillage du Burkina Faso
L’organisation sociale (supposée « anarchique ») qui y prévaut (voir par exemple Werthmann 2009; Arnaldi Di Balme et Lanzano 2014) semble avoir un impact majeur sur la mise en œuvre d’éventuels mécanismes et politiques de sécurité. En effet, ces sites d’orpaillage sont souvent à la merci de groupes armés (OCDE 2018; Assanvo et al. 2019; ICG 2019). L’attaque de Solhan en juin 2021 est un exemple de cas qui illustre bien la manière dont la violence islamiste s’attaque de manière ciblée aux lieux peu sécurisés et entretenus par des groupes économiquement vulnérables (Munchi 2021). La menace sécuritaire dans les sites aurifères n’a fait qu’aggraver la dégradation des rapports entre les communautés riveraines des sites et les orpailleurs. À titre illustratif, le 31 janvier 2021, le site aurifère artisanal de Djikando dans la région du sud-ouest du Burkina Faso a été ciblé par une attaque à main armée perpétrée par un groupe non identifié. Un mineur ignorant l’enjeu de l’attaque voulut opposer une résistance en répliquant au coup de feu par un coup de lance-pierre et fut abattu. La cause du décès incompris des parents de l’enfant a entraîné une chasse à l’homme sur le site. Armés de fusils de chasse, machettes, gourdins, couteaux etc., les parents de la victime, ont attaqué les orpailleurs vivant sur le site. De cet incident, la zone a déploré des pertes en vie humaines et d’importants dégâts matériels. Comme mesure directe de résolution du conflit, le site fut momentanément fermé sur décision du gouverneur (Tarnaguida 2021a). Cette fermeture provoqua la mise au « chômage » temporaire de plus d’un millier de personnes exerçant sur ce site. En raison de sa fonction de lieu de travail et de protection sociale, le site fut rouvert un mois plus tard avec la participation de l’ANEEMAS (Tarnaguida 2021b). Cet incident montre d’une part que les riverains des zones d’extraction sont davantage exposés à la violence, mais d’autre part qu’ils dépendent. L’extraction minière dans un contexte souvent de l’exploitation minière à petite échelle en tant qu’économie locale importante. Un des défis majeurs dans la lutte contre l’insécurité, est le manque d’effectif des agents de sécurité pour assurer le contrôle permanent au niveau des sites artisanaux d’exploitation artisanale de l’or, selon le directeur général de l’ANEEMAS lors d’un entretien réalisé en 2021. Depuis la privatisation du secteur dans les années 90, diverses initiatives entreprises par les artisans miniers soit pour faire face, soit pour prévenir l’insécurité, se poursuivent. Avec la perte du monopole de l’État sur la sécurité dans plusieurs régions du pays, ces initiatives gagnent encore du terrain dans les sites d’orpaillage du Burkina Faso. Autrement dit, confrontés aux multiples insécurités, les acteurs du secteur développent des stratégies collectives ou individuelles de « sécurité par le bas » (Hagberg et al. 2017; Hagberg, Kibora, et Barry 2019) pour pouvoir mener à bien leurs activités. Quelques orpailleurs déclarent même avoir recours à l’acquisition illégale d’une arme pour faire face à l’insécurité. Cependant, la détention d’armes à feu par des civils est formellement interdite aux civils, sans autorisation (GdB 2009; Yameogo 2009).
Le mysticisme, une option de protection des orpailleurs pour mener à bien leur activité
D’autres artisans miniers dans leur quête de protection se rabattent vers le mysticisme. En témoigne les orpailleurs affublés d’amulettes censées les protéger des balles que certains portent autour du cou, ou d’autres objets ayant la réputation d’exercer un pouvoir mystique susceptible d’être utilisés à des fins défensives. Ainsi, d’autres chercheurs (voir Zongo, 2019) évoque le recours aux forces surnaturelles, aux prières, aux sacrifices, etc., qui constituent véritablement une assurance vie à laquelle les orpailleurs ont recours. Sur les sites d’orpaillage contrôlés par des groupes armés, si pour certains orpailleurs la solution est de fuir le site, pour d’autres la seule alternative est de rejoindre les groupes armés non-étatiques et de travailler sous leur contrôle. Pour eux, mieux vaut ne pas s’opposer aux hommes armés. À ce point il faut également souligner que ce ne sont pas toutes les pratiques des individus ou des groupes armés qui sont considérées par les orpailleurs comme oppressives. La protection des sites peut même être sollicitée par les orpailleurs, qui engagent ou payent des groupes armés pour continuer à mener leur travail.
Collaborer avec d’autres acteurs de protection pour continuer l’exploitation de l’or dans les sites d’orpaillage du Burkina Faso
Les responsables de certains sites s’appuient sur des groupes d’autodéfense, appelé Dozo ou Koglweogo pour la sécurisation de leurs sites d’orpaillage. D’autres, comme c’est le cas dans les provinces du Séno et du Soum, ont recours aux groupes djihadistes (Agence d’Information du Burkina 2016; Lanzano, Luning, et Ouédraogo 2021). Ce qui concorde avec les résultats de l’étude de l’International Crisis Group (2019, 8): « Une partie des orpailleurs compose avec les groupes djihadistes moins par conviction que par pragmatisme : ils se rangent du côté de ceux qui détiennent le pouvoir local et déterminent les conditions d’extraction de l’or ou s’allient aux groupes djihadistes pour reprendre le contrôle de sites miniers disputés. » Ce choix résulte aussi des relations dégradées des orpailleurs avec les autorités burkinabè qui considèrent souvent que l’État a fait d’eux ses ennemis au profit des entreprises minières industrielles
Conclusion
En Afrique, les sites d’orpaillage ont souvent été des lieux d’insécurité en temps ordinaire. Cet article sur comment faire l’orpaillage de nos jours dans un contexte d’insécurité est de nos jours plus problématique du fait de la présence des groupes armées terroristes. Les différentes mutations orchestrées par des attaques sur le secteur de l’extraction de l’or, ont des conséquences sur la sécurité humaine mais aussi sur l’économie nationale. C’est pourquoi, il est important que des actions vigoureuses soient entreprises pour un retour à la quiétude. L’or est une richesse qui peut aider à assurer la sécurité humaine. L’étude a montré les mécanismes d’adaptation développés sur les sites pour faire face à la situation sécuritaire. Des capacités d’adaptation à la nouvelle situation voient le jour dans plusieurs zones de production aurifère.
Bibliographie
Diana Ayeh , Zongo Tongnoma et Sow Jacqueline,2022. L’extraction minière dans un contexte d’(in)sécurité en Afrique de l’Ouest—boom ou bust? Uppsala Papers in Africa Studies 1. http://www.diva-portal.org/smash/get/diva2:1095872/FULLTEXT01.pdf.
Hagberg, Sten, Yaouaga Félix Koné, Bintou Koné, Aboubacar Diallo, et Issiaka Kansaye. 2017. « Vers une sécurité par le bas? Étude sur les perceptions et les expériences des défis de sécurité dans deux communes maliennes ». Uppsala Papers in Africa Studies 1. http://www.diva-portal.org/smash/get/diva2:1095872/FULLTEXT01.pdf.
Présidence du Faso. 2019. « Sécurisation des sites miniers : Le Président du Faso échange avec la Chambre des Mines du Burkina ». https://www.presidencedufaso .bf/securisation-des-sites-miniers-le-president-du-faso-echange-avec-la-chambre-des-mines-du-burkina/ (Consulté le 10 novembre 2019)
Sangaré, Oumar. 2016 « Rôle de l’orpaillage dans le système d’activités des ménages en milieu agricole : cas de la commune rurale de Gbomblora dans la région sud-ouest du Burkina Faso ». Mémoire Maîtrise sur mesure en développement rural intégré, Québec.
Werthmann, Katja, et Diana Ayeh. 2017. « Processes of Enclaving under the Global Condition: The Case of Burkina Faso ». Leipzig: Leipziger Universitätsverlag GmbH
(Working paper series of the SFB 1199 Universität Leipzig, 4). https://research.uni-leipzig.de/~sfb1199/app/uploads/2017/05/WP4_Werthmann-Ayeh_final.pdf.
Yameogo, Salamane. 2009. « Le contrôle des armes légères et de petit calibre en Afrique de l’Ouest ». Mémoire Master, Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement (IHEID). https://www.memoireonline.com/10/09/2857 /Le-controle-des-armes-legeres-et-de-petit-calibre-en-afrique-de-louest.html.
Zongo, Tongnoma. 2019. « Orpaillage et dynamiques territoriales dans la province du Sanmatenga ‘le pays de l’or’ au Burkina Faso ». Thèse de doctorat, Paris : Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Zongo Tongnoma .2023. Attaques des groupes armes, activites agricoles et exploitation artisanale de l’or dans la province du Sanmatenga au Burkina Faso » publié dans la revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, Num. spécial, Vol. 4, Actes du colloque d’hommage au Prof. TPZ, janv. 2023
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