Auteurs
KONATÉ Blahima – Centre national de la recherche scientifique et technologique/Institut de recherche en science de la santé (CNRST/IRSS).
BERTHE Abdramane – Université de Dédougou, Centre Muraz, Burkina Faso.
TOU Fatoumata – Centre Muraz, Burkina Faso.
FRANSSEN Abraham – Université Saint-Louis Bruxelles, Belgique.
Auteur correspondant : Konaté Blahima, koblahima70@gmail.com
Introduction
Dans la ville de Bobo-Dioulasso, la santé des populations repose sur la coexistence de trois systèmes de soins le système biomédical, la médecine traditionnelle savante et la médecine domestique. Bien que souvent considérée comme marginale, la médecine domestique constitue en réalité le premier recours thérapeutique en cas de maladie (Monteillet, 1999). Principalement portée par les personnes âgées, elle intègre de manière syncrétique des savoirs empiriques et des pratiques issus à la fois de la biomédecine et de la médecine traditionnelle(Schmitz, 2006 ; Massé, 2008). Cependant, les transformations sociales et l’expansion de la biomédecine ont progressivement remis en cause la place centrale des aînés dans ce domaine. Cet article de vulgarisation, tiré de l’article scientifique « CAHIERS DU CERLESHS », Tome XXXII, n° 73, janvier 2023, pages 199 à 224, analyse la place actuelle des personnes âgées dans la transmission intergénérationnelle des savoirs et pratiques de la médecine domestique, ainsi que les transformations qui affectent leur légitimité dans un contexte urbain en mutation rapide.
Matériel et méthode
L’étude a été menée à Bobo-Dioulasso, deuxième ville du Burkina Faso, où la diversité ethnique et linguistique favorise une pluralité de pratiques thérapeutiques. La recherche repose sur une approche qualitative, fondée sur des entretiens semi-directifs réalisés auprès de 25 personnes âgées, 13 femmes et 12 hommes, et 26 descendants, 14 femmes et 12 hommes, vivant dans différents secteurs de la ville. Les entretiens ont été enregistrés, intégralement transcrits et soumis à une analyse de contenu thématique. Le consentement éclairé a été obtenu auprès de tous les participants. Cette méthodologie a permis de saisir les logiques internes de transmission, les formes de savoirs médicinaux mobilisés et les représentations sociales associées à la maladie et à la guérison.
Résultats
L’analyse des données révèle que la médecine domestique demeure un espace central de soins et de transmission des savoirs, tout en s’adaptant aux évolutions sociales et sanitaires. Plusieurs dimensions majeures ressortent.
La médecine domestique se caractérise par un syncrétisme des pratiques. Les recettes domestiques combinent des plantes médicinales locales, comme les feuilles de Nimier ou de goyavier utilisées contre le paludisme, ou les écorces de caïlcédrat et le karité pour les maux de ventre des enfants, avec des médicaments modernes tels que le paracétamol, l’ibuprofène ou l’amoxicilline. Ces combinaisons traduisent une appropriation locale du discours biomédical, sans rupture avec les traditions thérapeutiques. Les médicaments modernes sont souvent désignés par des noms évoquant leurs effets ou les parties du corps soignées, comme kundimi fila pour les maux de tête ou tchokoroba ka bére bila pour les amphétamines.
Les représentations sociales de la maladie présentent un caractère hybride. Les maladies sont désignées par des terminologies locales spécifiques, telles que soumaya pour le paludisme, kôtiguè pour les fissures anales, n’guna pour la fontanelle et kooko pour les hémorroïdes. Ces représentations articulent des logiques symboliques, alimentaires et biomédicales. Par exemple, le paludisme est attribué à la fois à la consommation d’aliments sucrés ou gras et aux moustiques, selon les générations. De même, les fissures anales sont associées à des causes comme le contact avec le sol ou le port prolongé de couches en caoutchouc.
Le rôle des personnes âgées dans ce système de soins domestique apparaît ambivalent. Les aînés, en particulier les femmes, conservent une position privilégiée dans la transmission de pratiques comme les massages, les décoctions ou les soins du nourrisson. Cependant, leur autorité est contestée dans certains domaines, notamment par les jeunes mères influencées par les discours biomédicaux. Des pratiques autrefois centrales, comme le lavement rectal, le gavage ou l’administration d’eau aux nouveau-nés, sont remises en cause car jugées nocives par les professionnels de santé. Cela génère des tensions intergénérationnelles, certaines belles-filles refusant ces pratiques au risque de créer des conflits familiaux.
Enfin, l’étude montre que la reconfiguration du champ thérapeutique s’inscrit dans une dynamique de repositionnement des capitaux, selon le modèle de Pierre Bourdieu (1980). Les femmes âgées disposant de savoirs encore valorisés conservent leur influence, tandis que celles dont les pratiques sont disqualifiées voient leur statut décliner. La place des personnes âgées dans les décisions thérapeutiques dépend également de leur statut socioéconomique, notamment pour le recours aux formations sanitaires qui implique des dépenses importantes.
Conclusion
Cette étude met en évidence la place stratégique, mais vacillante, des personnes âgées dans la médecine domestique à Bobo-Dioulasso. Elles demeurent les gardiennes d’un patrimoine thérapeutique hybride où se mêlent savoirs traditionnels et biomédicaux. Toutefois, les politiques de santé publique et la médicalisation des pratiques domestiques redéfinissent les rapports d’autorité au sein de la famille et du champ thérapeutique. Comprendre ces transformations permet d’envisager une meilleure intégration de la médecine domestique dans les stratégies de soins de santé primaires et d’impliquer les aînés comme acteurs légitimes de la promotion de la santé communautaire.
Références bibliographiques
BOURDIEU, Pierre, 1980, « Quelques propriétés des champs, questions de sociologie », Paris, Éditions de minuit.
KONATE Blahima, BERTHE Abdramane, TOU Fatoumata, FRANSSEN Abraham, 2023, « Rôles des personnes âgées dans la pratique de la transmission de la médecine domestique dans de la ville de Bobo-Dioulasso, Burkina Faso », CAHIERS DUCERLESHS, 32, 73, p. 200-224
MONTEILLET Nicolas, 1999, « Aperçu sur un système de soins – Le
cas de Mbandjock », Bulletin de l’APAD, 17, p. 1-6.
SCHMITZ Olivier, 2006. Se soigner par l’invisible. Enquête sur les guérisseurs aujourd’hui, Paris, Imago.
