Auteurs : Konaté Blahima 1, Somé Sien So Sabine Léa 2, Hien S. Wenceslas2
1 Centre national de la recherche scientifique et technologique/Institut de recherche en science de la santé (CNRST/IRSS),
2 Centre national de la recherche scientifique et technologique/Institut des Sciences des Sociétés (CNRST/INSS),
Auteur correspondant : Konaté Blahima, koblahima70@gmail.com
Introduction
Le Burkina Faso est un pays où cohabitent plusieurs communautés religieuses : les catholiques, les protestants, les fidèles des religions traditionnelles et les musulmans. Ces communautés ont vécu longtemps ensemble en harmonie à tel point qu’elles ont été citées en exemple comme une exception de pluralisme religieux et de tolérance au cœur d’une région de plus en plus troublées (International crisis group, 2016 ; Audet-Gosselin, 2016). Ce qui est attesté par plusieurs initiatives de Dialogue Interreligieux (DI) : des rencontres lors des cérémonies religieuses, la création de l’Union Fraternelle des Croyants, de l’Union des religieux et coutumiers du Burkina. Toutefois, de nos jours, ce dialogue interconfessionnel présente des limites : des conflits interreligieux font écho dans la presse locale (Langewiesche, 2011) ; une large partie des jeunes est ambivalente par rapport au DI (Audet-Gosselin, 2016). Aussi, depuis quelques années, le Burkina Faso, à l’instar des autres pays sahéliens est en proie à des attaques terroristes se revendiquant du Djihad armé (International Crisis Group, 2017). Bien que ces attaquestouchent les adeptes de toutes les confessions religieuses, cette situation menace la coexistence pacifique et harmonieuse entre elles d’où la nécessité de mettre en place des espaces de dialogue, de médiation ainsi que la sensibilisation pour prévenir et lutter contre l’intolérance religieuse (IR). Plusieurs acteurs interviennent dans la gestion et la prévention des conflits interreligieux. Il s’agit le plus souvent des autorités coutumières (chef de canton, de village, Naaba), religieuses (pasteurs, curés, imam), politiques(députés, maires) et administratives (Préfets, Hauts commissaires, Gouverneurs), les associations et organisations non gouvernementales (Union fraternel des croyants de Dori, Association IQRA, Centre Culturel Islamique, Union des coutumiers et religieux du Burkina pour la promotion de la santé et du développement, Association Zama Forum, Association pour la tolérance religieuse, le dialogue interreligieux etc.)
Plusieurs ministères interviennent dans ce domaine. Il s’agit du ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation, appuyé par le ministère de la réconciliation nationale et de la cohésion sociale. Il a été également créé l’Observatoire national des faits religieux (ONAFAR) en vue de promouvoir la coexistence pacifique entre les communautés religieuses, la dignité et la liberté de chaque citoyen dans le respect des différences de croyances, de culture et d’opinion.
Quant à la recherche surtout en sciences sociales, elle a investigué sur plusieurs aspects de l’intolérance religieuse et du dialogue interreligieux. Elles ont porté sur l’ampleur de l’IR ainsi que ses causes (Mayrargue, 2009 ; Basedau, 2017 ; Ouba, 2018) ; l’émergence de comportement d’IR et surtout de l’extrémisme violent, forme suprême de l’IR (International Crisis Group, 2015). En ce qui concerne le DI, la littérature scientifique s’est intéressée aux acteurs impliqués dans la promotion du DI (Dussert-Galinat, 2013) et des expériences en la matière (Nouhouayi, 2015 ; Kaboré, 2017).
Si ces études permettent de comprendre le phénomène de l’IR et du DI, elles n’interviennent pas directement dans la mise en place d’espaces de dialogue dans la gestion des conflits interreligieux. C’est ainsi que cette recherche, menée par une équipe de chercheurs en sciences sociales (sociologue, anthropologue, ethnologue, historiens) appuyée par des associations intervenant dans le dialogue interreligieux, s’appuyant sur le conflit entre protestants et coutumiers, se propose d’améliorer le dialogue entre ces deux protagonistes à l’aide de méthodes déjà éprouvées en sciences sociales. Les résultats font l’objet de cet article de vulgarisation tiré de l’article scientifique : « Rôle de la recherche en sciences sociales dans l’amélioration du dialogue interreligieux au Burkina Faso : le cas de la commune rurale de Léna, Hauts-Bassins » de la revue WIIRE, n°15, Juin 2024, p. 43-53
1. Le contexte de l’expérience
Le point de départ de cette expérience est le projet dialogue interreligieux qui a commencé en février 2020. Financé par le Fonds National de la Recherche et de l’Innovation pour le Développement (FONRID), il avait pour objectif général de contribuer à la réduction de l’intolérance religieuse par l’amélioration du dialogue interreligieux au Burkina Faso. Spécifiquement il s’agissait de : a) réaliser la cartographie des acteurs individuels, institutionnels, associatifs, coutumiers et religieux impliqués dans la promotion du dialogue interreligieux et la lutte contre l’intolérance religieuse dans les zones d’intervention ; b) diagnostiquer avec ces acteurs les causes de l’intolérance religieuse et proposer des solutions pérennes ; c) identifier, planifier, mettre en œuvre, suivre et évaluer ensemble les activités permettant de réduire l’intolérance religieuse et d’améliorer le dialogue interreligieux dans les zones d’intervention. Pour atteindre ces objectifs, un consortium de structures de recherche (Institut des Sciences des Sociétés) et d’associations (Association IQRA, Centre Culturel Islamique, Union des coutumiers et religieux du Burkina pour la promotion de la santé et du développement, Association Zama Forum, Association pour la tolérance religieuse, le dialogue interreligieux) intervenant dans le dialogue interreligieux a été impliqué dans la mise en œuvre de ce projet. Celui-ci se déroule dans la commune rurale de Léna, province du Houet et région des Hauts-Bassins. Cette commune compte 18 213 habitants répartis dans 14 villages administratifs. Elle partage une frontière avec les communes rurales de Koumbia et de Houndé à l’Est ; de Karangasso-Vigué au sud, de Satiri au Nord et la commune urbaine de Bobo-Dioulasso à l’Ouest.
A l’échelle de la commune, les principaux groupes ethniques sont les Bobo, les Mossis et les Peulhs. La religion traditionnelle, le Christianisme et l’Islam sont les principales religions. Depuis 2019, une violence s’est éclatée entre les coutumiers et les protestants entrainant la casse de plusieurs temples, des coups et blessures de part et d’autre.
2. Méthodes
Plusieurs méthodes en sciences sociales et humaines complémentaires ont été mises en œuvre pour améliorer le dialogue interreligieux dans la commune de Léna. Il s’agit d’abord des entretiens individuels exploratoires (EIE) et la méthode d’analyse en groupe (MAG). Les EIE ont été menés auprès des « experts locaux » (leaders coutumiers et religieux, associatifs, administratifs et collectivités territoriales). Au total 29 entretiens individuels exploratoires ont été menés avec des responsables musulmans, catholiques, protestants, coutumiers, les élus locaux et des Conseillers villageois de développement (CVD). Si l’entretien individuel exploratoire est l’outil par excellence permettant de construire un questionnaire (Blanchet et Gotman, 2015), il permet également d’identifier les participants idéals à la MAG. C’est ainsi qu’à partir des résultats de ces entretiens, nous avons mis en place les sessions d’analyse en groupe. La MAG, comme l’indique son nom est une méthode de recherche action participative en sciences politiques et sociales. Elle consiste à réunir une douzaine de participants concernés par une même problématique pour analyser les enjeux à partir de situation concrètes qu’ils ont eux-mêmes vécus et présentés sous forme de récits avec l’appui des chercheurs. A la différence des focus group et des entretiens individuels, les participants à la MAG ne sont pas interviewés par le chercheur à l’aide d’un guide d’entretien, mais ils analysent directement eux-mêmes des situations ou problèmes qui les concernent avec l’aide méthodologique des chercheurs. La MAG est pertinente pour analyser le travail en réseau, faciliter la collaboration, la communication ou le dialogue entre acteurs qui sont concernés par un même problème, mais qui ne se connaissent pas ou ne se communiquent pas pour diverses raisons. En pratique, elle se déroule en 4 phases et 15 étapes.
Dans le cadre de ce projet de recherche, deux sessions d’analyse en groupe ont été menées avec 22 participants composés de représentants des différentes confessions religieuses, des conseillers municipaux, des CVD.
Conformément aux étapes de la méthode, il a été demandé à chaque participant de proposer de manière brève un récit d’expérience vécue portant sur l’intolérance religieuse : 16récits ont été proposés. Parmi ceux-ci, 2 ont été choisis démocratiquement, puis analysés par les participants qui, à partir des « convergences et divergences », des nouvelles problématiques soulevées, ont formulé des recommandations ou perspectives pratiques.
A partir des résultats de ces analyses en groupe, des ateliers ont été réalisés et ont permis d’identifier et de planifier des activités permettant de réduire l’intolérance religieuse. Ces activités sont en train d’être mises en œuvre en collaboration avec nos associations partenaires.
3. Résultats
Les entretiens individuels exploratoires, ainsi que les sessions de MAG, la planification et la mise en œuvre des activités ont permis non seulement d’identifier les protagonistes/acteurs, les comportements/pratiques, mais aussi de créer un espace de dialogue entre les différentes confessions religieuses.
3.1. Comportements/pratiques d’intolérance religieuse vue par les acteurs et leurs conséquences
Dans la commune de Léna, nos informateurs considèrent plusieurs comportements/ pratiques comme des formes d’intolérance religieuse qui diffèrent selon les membres des différentes confessions religieuses. En effet, pour les pratiquants de la religion traditionnelle, l’initiation concernait tous les enfants d’une classe d’âge donnée du village sans exception. Elle fait partie intégrante de l’identité bobo sans laquelle, il est difficile de se réclamer de ce groupe ethnique. Par conséquent, tout refus de prendre part aux cérémonies d’initiation et surtout d’envoyer son enfant en âge d’y participer est considéré pour eux comme une intolérance religieuse.
En plus de l’initiation, il y a des sorties de masques, portés par les jeunes et les adultes, qui ont lieu pendant les saisons sèches, l’initiation ou lors des funérailles. Ces masques se promènent dans tout le village, s’en prennent aux jeunes récalcitrants qui refusent de les fuir. En tant que jeune/adulte de la commune, refuser de porter le masque, de le fuir, interdire son passage dans certains endroits du village (lieu de culte), l’insulter, le menacer ou encore le frapper constituentune offense aux coutumes ancestrales et un comportement d’intolérance religieuse.
Outre les sorties des masques, les funérailles constituent un événement important pour les Bobo de Léna. Ainsi, lors d’un décès, les coutumes exigent des descendants du défunt certains sacrifices pour le repos de l’âme du ou de la défunt (e) auprès des ancêtres. Le refus de participer à ces sacrifices est également considéré par certains informateurs coutumiers et sympathisants comme un comportement d’intolérance religieuse entrainant des tensions surtout entre frères et sœurs d’une même famille.
D’autres comportements d’intolérance religieuse ont été relevés çà et là. Il s’agit des femmes nouvellement converties au protestantisme (alors que leur époux est restés coutumiers) taxées de passer beaucoup de temps à l’église (de 19-22h selon certains) pour la prière, ou qui font attendre leur époux au lit sous le prétexte de prier d’abord, des enfants convertis qu’on dit ne pas respecter leur propre père, des bruits sonores de la musique des églises qui perturbent certaines cérémonies coutumières, des dénigrements de religions de part et d’autre.
Par contre pour les adeptes de la religion protestante, l’initiation des jeunes, le port de masques lors de certaines cérémonies (funérailles, l’initiation, la saison sèche), les sacrifices pour le repos de l’âme du ou de la défunt (e) auprès des ancêtres, les contributions financières diverses lors de certaines cérémonies coutumières, la consommation et la préparation du dolo ou bière locale sont des pratiques/comportements contraires à la foi chrétienne. Par conséquent, contraindre un jeune protestant à faire l’initiation, à porter le masque, ou encore une femme/épouse protestante à faire le dolo ou à le vendre, un protestant à participer aux multiples formes de funérailles traditionnelles ou encore à contribuer pour des sacrifices traditionnels sont considérés comme des pratiques d’intolérance religieuse.
Ces différentes formes d’IR ont entrainé des violences entre ces deux communautés (coups et blessures aux couteaux, aux fouets de part et d’autre, destruction d’édifices religieuses notamment des temples), des divorces/violences dans certains couples mixtes comme le relate le récit de ce coutumier lors de la session de MAG :
« Ma deuxième épouse était animiste lorsqu’on se mariait. Elle préparait et vendait le dolo. Quand venait les moments des sacrifices, elle me faisait mon dolo sans problème. Mais lorsque les protestants sont venus ici à Konkourouna (un village de la commune de Léna) et ils ont commencé à avoir plus de fidèles, le pasteur a demandé un terrain. Mais bien avant, ils priaient sous mon manguier avec ma permission. Il y a des jours, où ils priaient jusqu’à 2h du matin. Je ne pouvais pas dormir du fait de leur bruit. Je me couchais sous le manguier de mon voisin en attendant. Je n’en ai pas fait un problème. Jusque-là ma femme m’écoutait. On a même eu 5 enfants ensemble. Ils ont fait la demande de parcelle auprès de mon petit frère qui est chef de terre. Ils ont obtenu gain de cause contre le paiement d’une poule et du dolo pour les sacrifices. Ils n’ont pas refusé, ils ont donné ce qu’on leur demandait. Après les sacrifices, quelqu’un nous a dit de refuser qu’ils s’installent parce que leur pratique va impacter lourdement nos coutumes. Les sages m’ont fait appel avec mon petit frère Kalifa. Ils nous ont instruits de leur dire qu’ils ne pouvaient pas construire leur temple ici. Nous avons répondu aux sages qu’ils avaient déjà fait les sacrifices et qu’il fallait les laisser construire leur temple. Tout ce que vous pouvez leur dire, c’est de faire attention à nos coutumes. Nous avons rencontré les responsables protestants qui nous ont rassurés de leur volonté de maintenir une bonne cohabitation des deux pratiques religieuses. Ils disaient à son temps qu’ils se sentaient liés à la coutume par leur naissance et d’aucune façon ils ne pouvaient nier sa pratique. Alors nous leur avions donné la permission de construire. Mieux, nous les avons aidés à construire ce temple en mobilisant des vivres et les jeunes du village. Nous ne savions pas que ça allait chauffer après. Quand ils ont commencé leur prière, ma femme convertie au protestantisme me demandait de prier avant de faire l’amour avec elle. Bien sûr que ce n’était pas possible. Ensuite, elle a commencé à refuser de préparer mon dolo sacrificatoire. J’ai dit vous êtes deux femmes chez moi, si toi tu refuses de faire mon dolo, je ne peux plus obliger ta coépouse à le faire. Je lui ai dit que même si elle ne bois plus le dolo, de le préparer au moins pour moi. Elle ne voulait pas entendre ça. Les gens sont intervenus et elle s’est finalement exécutée. Mais à la prochaine fête de Janvier, je lui ai demandé de préparer mon dolo, elle a refusé. J’ai dit d’accord, si c’est comme ça, tu peux partir. Tu es venue trouver une femme qui faisait tout chez moi, elle va continuer. C’est ainsi donc qu’elle est partie. Tous nos enfants fréquentaient l’école. Le plus âgé était en classe de 3ème, les deux autres, des jumeaux en classe de 5ème. Elle les a tous amené avec elle. Je l’ai convoqué à l’action sociale. Les enfants sont venus et par la suite, ils sont repartis. Ces faits remontent à 2014. Finalement, je suis allé voir son pasteur parce que c’est lui leur responsable afin que ce dernier intervienne pour faire venir ma fille parce que la rentrée s’approchait. L’enfant était à Bobo sans que je ne sois même informé. J’ai donc donné un ultimatum de trois jours, à l’issu de ça je ne répondrai plus de mes actes. Je suis reparti voir le pasteur et par coïncidence elle (son épouse) était là. Pendant que je parlais au pasteur, elle riait et se moquait de moi. Je me suis saisi d’un bois et ils l’ont trimbalé dans la maison. Je suis sûr sans cela je serai en prison. J’ai dit que je ne voulais plus la revoir dans ce village. Nous voulons la paix dans ce village. Même les hommes qui se sont convertis ne s’entendent plus avec leurs femmes.
A la lumière de ce qui précède, on peut se demander comment instaurer un dialogue entre ces acteurs locaux aux perceptions différentes de l’intolérance religieuse.
3.2. Création d’espaces de dialogues
Pour construire un espace de dialogue entre les protagonistes de la commune de Léna, l’équipe de recherche a d’abord procédé à des entretiens individuels exploratoires avec les différents acteurs de la commune impliqués dans ce conflit. Ce qui leur a permis de donner leur version des faits, des protagonistes du conflit, des causes, des conséquences et des acteurs ayant intervenu dans la gestion du conflit. La restitution des résultats de ces entretiens individuels ayant regroupé les membres des différentes confessions religieuses, les autorités administratives et coutumières a été le point de départ de l’instauration du dialogue entre les acteurs locaux. Elle a permis donc à chaque participant de prendre connaissance de la version des uns et des autres. Bien que la parole ait été donnée aux participants, il faut reconnaitre que cette restitution n’a pas fait l’objet de débat contradictoire entre les protagonistes du conflit et le rapport a été validé à l’unanimité par l’ensemble des participants.
A la suite de cette restitution, deux groupes de participants des différentes confessions religieuses ont été constitués pour prendre part aux sessions d’analyse en groupe. La MAG, selon ses inventeurs est une méthode fondée sur la dialectique du conflit et de la coopération. Son but, n’est pas de mettre les participants d’accord sur leurs interprétations, mais de les mettre d’accord sur leurs désaccords. Ce qui permet de formuler de nouvelles problématiques et des perspectives pratiques ou recommandations (Van Campenhoudt et al, 2005 ; Van Campenhoudt, 2008).
Ceci étant, comme l’exige la méthode, chaque participant a été invité à raconter succinctement une expérience vécued’intolérance religieuse et deux d’entre eux ont été choisis démocratiquement pour être analysés en groupe. Comme les entretiens individuels exploratoires, les récits rapportés font état des reproches, incompréhensions et malentendus entre les acteurs aux croyances religieuses divergentes. En effet, les récits racontés par les participants d’obédiences protestantes se sont focalisés sur les abus des masques à leur endroit comme le relate ce récit :
« J’ai été pourchassé par plus de 40 masques. Je me suis caché en brousse. Ils nous ont interdit de prier. Un jour les masques m’ont chassé du temple au lycée. Fatigué de courir, je me suis arrêté et j’ai dit au masque si cette chasse continue, je vais te tuer parce que je connais les coutumes. Le masque s’est retourné. Un masque ne poursuit pas un adulte de telle sorte. Après cet incident, un masque est venu chez moi et s’en soit pris à ma femme. J’ai voulu me plaindre mais les coutumiers ne m’ont pas écouté. Ils disent que je ne respecte pas les coutumes du village. Et depuis ce jour, jusqu’à aujourd’hui, je n’ai plus eu la paix » (responsable protestants)
Quant aux coutumiers, les récits ont rapporté leurs regrets de constater le non-respect des coutumes, des anciens, des épouxpar leurs enfants, épouses nouvellement convertis au protestantisme.
« J’ai deux de mes neveux qui se sont convertis. Aujourd’hui, ils n’ont plus de respect pour nos ainés. Ils ne donnent plus de contribution pour les cérémonies dans le village. Ils prétendent que leurs papas consomment le dolo donc il n’y a plus de salutation entre eux. C’est quelle religion qui va jusqu’à renier tout ? » relate ce catéchiste
Comme les entretiens individuels exploratoires, les résultats des MAG ont été restitué
Ces sessions MAG ont été l’occasion pour les différents protagonistes d’échanger à travers les interprétations et analyses des deux récits et se mettre d’accord sur un certain nombre de perspectives pratiques ou de recommandations permettant de réduire les divergences entre les protagonistes. Celles-ci ont été spécifiquement adressées à tous les groupes. Par exemple à l’endroit des jeunes et des femmes nouvellement convertis, les participants ont insisté sur le respect des parents, des époux restés dans la religion traditionnelle. Quant aux jeunes coutumiers, il leur a été surtout suggéré le non usage des masques comme outil de vengeance.
Pour élargir ces échanges, un atelier d’identification et de planification des activités visant à améliorer le dialogue interreligieux dans la commune de Léna a été réalisé En plus des participants aux deux analyses en groupe, d’autres acteurs locaux ont pris part à cette rencontre (environ une trentaine de personnes). Comme les analyses en groupe, cet atelier a également fait l’objet de vifs débats entre protestants et coutumiers qui ont fini par se mettre d’accord sur un certain nombre d’activités jugées importantes à mettre en œuvre. Il s’agit d’abord de mettre en place un comité de médiation et de suivi des activités chargé d’assurer la médiation entre les protagonistes du conflit et le suivi des activités. Une fois ce comité aurait réussi à mettre d’accord les protagonistes, des journées de la fraternité et de la cohésion sociale seront organisées en collaboration avec l’équipe de recherche du projet et des associations impliquées. En plus de ces journées, des activités de sensibilisation seront menées surtout auprès des jeunes et des femmes. Conformément au chronogramme établi, le comité de médiation et de suivi des activités a été mis en place. Les membres ont été choisis démocratiquement. Le curé de la paroisse a été choisi président, un responsable coutumier, vice-président, un membre de la communauté catholique comme secrétaire général, deux de la communauté protestante comme des rapporteurs et trois membres (1 de la communauté musulmane, 1 coutumier et 1 protestant). Ce comité est placé sous la supervision du maire de la commune et du préfet du département. Depuis sa mise en place le 17 Juin 2021, il mène des rencontres de médiation avec les responsables des différentes confessions religieuses et de nos jours, un point d’accord a presque été trouvé et les autres activités programmées devront se déroulées ce mois de décembre 2021.
Conclusion : enseignements clés de cette expérience
Les entretiens individuels exploratoires, les sessions de MAG, les restitutions des résultats de ces études, l’identification, la planification et la mise en œuvre de quelques activités ont permis de construire plusieurs espaces de dialogue entre les protagonistes du conflit interreligieux dans la commune de Léna malgré leurs divergences. A travers donc ce processus participatif les acteurs locaux avec l’appui des chercheurs ont longuement échangé lors des restitutions des résultats d’enquête et des sessions MAG, des interprétations des récits d’expériences vécues, de l’atelier d’identification et de planification des activités. Ce qui les a permis de se mettre d’accord sur un certain nombre d’activités à mettre en œuvre, de faire confiance à un comité chargé de faire la médiation entre les protagonistes du conflit et de suivre les activités mises en œuvre. Par conséquent, le premier enseignement est que la mise en œuvre de méthodes de recherche en sciences sociales et humaines permet d’améliorer le dialogue interreligieux. Le deuxième enseignement réside dans le fait que les communautés villageoises, malgré leurs divergences sont capables de se mettre ensemble pour trouver des solutions à leur conflit avec l’appui des chercheurs en sciences sociales et humaines.
Références bibliographiques
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