Ceci est un article scientifique de Alimata Sawadogo (alimatasawadogo88@gmail.com) Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique/Institut des Sciences des Sociétés (CNRST/INSS) traitant de l’implication parentale dans la scolarité des frères et sœurs d’enfants autistes. Minute.bf vous propose l’intégralité de sa réflexion !
Résumé
Ce document de vulgarisation traite de l’implication parentale dans la scolarité des frères et sœurs d’enfants autistes. En effet, l’arrivée d’un enfant autiste dans une famille bouleverse la structure familiale et plonge tous les membres dans un grand désarroi. Ses demandes excessives limitent la disponibilité des parents à s’occuper convenablement des autres membres de la fratrie. Cette étude vise donc à comprendre comment les parents d’enfants autistes s’impliquent dans la scolarité de leurs enfants dits normaux.
Mots-clés : implication parentale, enfants autistes, germains d’enfants autistes
Introduction
La question de l’implication parentale dans la scolarité des enfants, qu’ils soient autistes ou non est un sujet qui a occupéune place importante au Burkina Faso et dans de nombreux autres pays (R. Deslandes, 2013). Elle a fait l’objet de nombreuses études sur le plan scientifique, politique et social.On constate de nos jours que la question ne suscite plus autant de débats, car les acteurs du système éducatif, y compris les parents, ont compris qu’il faut une collaboration étroite entre ces deux milieux pour atteindre les objectifs éducatifs. Cependant, cette question reste toujours d’actualité pour les parents d’enfants handicapés en général, et plus spécifiquement pour les parents d’enfants autistes.
En effet, la naissance d’un enfant autiste dans la famille bouleverse profondément la vie des parents. Elle plonge la famille dans un état de désarroi, où stress, angoisse et craintes se côtoient, bouleversant la dynamique familiale (M. Merucci, 2006 ; A. M. Sorrentino & M. Delage, 2010). Ce chamboulement, d’une durée plus ou moins variable, désorganise l’équilibre familial et trouble la compréhension mutuelle et la communication existant entre les membres de la famille. Tous les membres de la famille, doivent apprendre donc à s’adapter à un enfant perçu comme « différent ». Cette situation suscite des préoccupations constantes concernant son développement, son bien-être et son avenir. Leur niveau de stress se révèle nettement supérieur à celui des parents d’enfants du même âge sans handicap.
La surcharge quotidienne de travail et de soins liés à un enfant autiste accroît la fatigue des parents et entraîne de ce fait l’irritabilité, voire de la dépression. Ce qui limite leur disponibilité pour s’occuper de leurs autres enfants et maintenir une harmonie dans leur couple (S. Fisman et M. Steele, 1996). De plus, la relation parents-enfant peut elle-même devenir source de stress (D. Pelchat, 1998) carl’interaction qui était habituellement spontanée et naturelle dans la famille devient de plus en plus structurée et systématique (P. McGill et al., 2006). Chaque moment de la vie quotidienne, qu’il s’agisse d’un bain ou de l’intégration sociale de l’enfant, se transforme en une activité nécessitant de la gestion et de la résolution de problèmes.
Vu les demandes excessives de l’enfant autiste vis à vis des parents, nous nous posons la question de savoir quel peut être leur implication dans la scolarité de leurs autres enfants dits « normaux » ? À travers cette étude, nous voulons comprendre comment les parents d’enfants autistes s’impliquent dans la scolarité de leurs enfants dits normaux.
1. Méthodologie
Cette étude a été réalisée dans la ville de Ouagadougou. Il s’est agi d’une étude de six cas de frères et sœurs d’enfants autistes. Le choix des cas ayant pris part à cette étude a été fait par le biais des centres spécialisés pour enfants autistes. L’échantillon retenu comprend six frères et sœurs d’enfants autistes issus de cinq familles dont quatre aînés et deux puînés (deux filles et quatre garçons), tous âgés entre 9 et 11 ans.
La sélection des parents et enseignants ayant pris part à l’enquête n’a pas suivi une méthode de choix spécifique : il s’agit des parents et enseignants des élèves retenus pour l’étude.
Au total, 16 personnes ont participé à l’enquête dont six frères et sœurs, cinq parents et cinq enseignants.
Pour la collecte des données, trois guides d’entretiens semi-dirigés ont été utilisés auprès des élèves, de leurs parents et deleurs enseignants. Les données recueillies ont été transcrites et analysées par thématique à travers une analyse de contenu.
2. Résultats
Rappelons que l’implication parentale couvre plusieurs aspects à savoir leur implication à l’école et celle à la maison.
Les parents qui ont participé à cette étude sont unanimes sur le fait de n’avoir pas été de bons parents. Cette perception est illustrée par des déclarations telles que : « J’ai été un mauvais père dans le passé… ». Mais par la suite, chacun à sa manière, s’est impliqué activement dans la scolarité de ses enfants.
La présentation des résultats sera structurée sur la base des aspects de l’implication avec un contenu structuré en deux temps : dans le passé où on note une non implication et dans le présent où on note une bonne implication.
2.1. L’implication parentale à l’école
L’implication parentale à l’école englobe plusieurs aspects tels que la communication parents-enseignants au sujet de l’école, la participation aux réunions scolaires, la contribution à la vie de l’école et leur engagement dans les instances officielles.
Il faut noter que dans le passé, au moment de l’annonce du handicap, l’implication des parents à l’école était très faible. La majorité des parents reconnaissent que leurs autres enfants ont été négligés au profit de l’enfant autiste. Par exemple, une mère avoue avoir failli dans ce domaine, expliquant qu’Anna, une de ces enfants “dit normale” était par moment abandonné au profit de sa sœur autiste.
Ils justifient tous cette situation par le fait qu’ils étaient préoccupés par la situation de l’enfant autiste. Ils étaientmentalement déstabilisés et accaparés par les consultations médicales et la dépendance totale de cet enfant que cela ne leur permettait plus d’avoir du temps et d’énergie pour suivre la scolarité des autres enfants. Pour L. Ouédraogo (20212), le bien être psychologique et la disponibilité des parents vont de pair avec la manière dont ceux-ci vont jouer leur rôle. Autrement dit, les parents pourront bien suivre la scolarité de leurs enfants et leur témoigner une relation chaleureuse s’ils sont disponibles et mentalement posés.
En ce qui est du bien être psychologique des parents d’enfantshandicapés, il faut noter que de nombreuses études (C. Gardou, 2012 ; R. Scelles, 2004 ; E. Bouteyre, 2010 ; A. Pierard, 2014 ; S. Korff-Sausse, 2007) s’accordent pour montrer que toute la famille de l’enfant handicapé vit dans lasouffrance, dans un désarroi total depuis l’annonce du handicap jusqu’à la prise en charge. Les parents particulièrement doivent mobiliser leur énergie pour faire face au regard de l’entourage, au handicap de leur enfant, aux énormes dépenses et contraintes qu’il implique. Tout cecin’est pas sans influence sur leur bien être psychologique et leur disponibilité. Ces études montrent donc que les parents sont stressés et trop pris pour le bien-être de l’enfant malade. Ce qui les rend indisponibles pour l’accompagnement des autres membres de la fratrie.
Cette indisponibilité des parents associée à une grande tristesse occasionne une insuffisance du contrôle parental au niveau des autres enfants de la fratrie. Certes, ces études n’ont pas évoqué l’indisponibilité des parents à soutenir leurs enfants sur le plan scolaire mais l’étude de L. Ouédraogo (2012) montre que cette indisponibilité de leur part s’observesur le plan scolaire. Les données de son étude soulignent que les mères sont indisponibles à 71%. « Cette insuffisance dans l’exercice de l’autorité parentale et la nature conflictuelle de la relation parents-enfants exposent donc les enfants à des comportements déviants : refus d’aller à l’école, absentéisme, etc. » (p.53)
Mais aujourd’hui, les parents témoignent d’une meilleure implication. Ils se déplacent dans les écoles pour échanger avec les encadreurs, passent des appels téléphoniques pour s’informer des éventuelles difficultés de leurs enfants et prennent en charge l’achat des fournitures scolaires. Comme en témoigne un enseignant enquêté : « sa mère se bat pour elle. Elle ne manque pas l’occasion de s’informer sur ce qui passe à l’école. Elle se déplace ou m’appelle pour avoir les informations. C’est un parent à féliciter. Ils sont rares ces genres de parents qui collaborent avec l’école de leurs enfants. ».
Pour ce qui est de leur participation aux activités et réunions scolaires, il faut noter qu’ils ne participaient pas aux activités de l’école ni aux réunions scolaires. La raison avancée est en lien avec la présence de l’enfant autiste et de leurs charges quotidiennes dues aux sollicitations de celui-ci. Une mère explique : « comment je peux aller m’asseoir à l’école avec lui. Il est hyperactif et les gens vont nous regarder là-bas. »Toutefois, de nos jours, les parents sont de plus en plus actifs lors des activités et réunions scolaires, malgré les contraintes liées à leur situation.
2.2. L’implication parentale à domicile
L’implication parentale à domicile englobe l’aide et l’encadrement du travail scolaire à domicile, à la communication parents-enfants à propos de l’école et aux aspirations et attentes des parents.
Dans cette implication à domicile, il est ressorti de l’étude que tous les parents ne se sont pas toujours impliqués dans les activités scolaires de leurs enfants. Ils évoquent un certain nombre de difficultés qui les ont empêcher d’être aux côtés de leurs enfants dit normaux. Au nombre de ces difficultés figurent les demandes excessives de l’enfant autiste et les nombreuses consultations en lien avec sa santé. Un parenttémoigne : « … je ne m’impliquais pas beaucoup parce que l’enfant était trop maladif et on faisait des va et vient entre l’hôpital et la maison ». Un autre de renchérir qu’à cause de son enfant autiste, il n’arrive pas à suivre convenablement ses enfants dit normaux parce que l’enfant autiste pleure beaucoup et déchire les cahiers de ses frères.
L’important est qu’actuellement, les parents de façon unanime affirment suivre les activités de leurs enfants après les classes. C’est le cas d’un d’entre eux qui échange avec son enfant à son retour de l’école pour savoir ce qu’il a fait au cours de la journée, un échange qui lui permet de savoir si l’enfant à un message de l’école à son égard.
Dans cette implication de plus en plus évolutive, les parents nourrissent de grandes ambitions scolaires pour les frères et sœurs d’enfants autistes. Les projets éducatifs sont plus marqués vers la prise en charge future de l’enfant autiste. Ils comptent beaucoup sur eux (les frères et sœurs) pour qu’ils les remplacent dans la gestion de leur germain lorsqu’eux parents ne seront plus là. Ils attendent d’eux qu’ils puissent être financièrement table afin de prendre adéquatement en charge leur germain autiste. « Mon espoir même c’est sur eux.Puisque lui là il est malade et je sais que l’autisme ne se guérit pas. Donc c’est sur eux que je compte pour qu’ils s’occupent de leur petit frère après. S’ils réussissent à l’école et gagnent un bon boulot, ils vont pouvoir financer les prises en charge de leur frère. » confie un parent. Certains parents vont même jusqu’à espérer que leurs enfants s’orientent vers des études de médecine pour pouvoir aider leur germain autiste plus tard : « Si Dieu me donne longue vie, je remuerai ciel et terre pour qu’il devienne psychologue ou orthophoniste pour aider plus tard son frère. ».
Conclusion
Cette étude avait pour objectif d’analyser l’implication des parents dans la scolarité des germains d’enfants autistes. En s’appuyant sur des études de cas, elle a permis de comprendre que la présence d’un enfant dans une famille transforme profondément la manière dont les parents vont s’impliquer dans la scolarité de leurs autres enfants. Confrontés aux nombreuses sollicitations de l’enfant autiste, qui occupent une grande partie de leur temps et les épuisent conséquemment, leur engagement éducatif prend généralement un coup. Ces obstacles s’observent généralement au moment de l’annonce de la maladie. Toutefois, avec le temps, ils se sont tous habitués à la situation, ils arrivent à s’organiser avec la présence de l’enfant autiste ce qui leur permet de s’impliquer dans la scolarité des germains de l’enfant autiste. Aussi ont-ilsde projets scolaires pour leurs autres enfants. Ils ont une vision stratégique à long terme qui prend en compte l’ensemble de la famille, en particulier l’enfant autiste. Leur implication s’inscrit ainsi dans une dynamique plus large de responsabilisation et de transmission.
Cette redéfinition de l’engagement parental met en lumière la nécessité d’un meilleur accompagnement des familles concernées afin de leur permettre de concilier la gestion d’un enfant autiste et l’accompagnement scolaire de ses autres frères et sœurs.
Bibliographie
Bouteyre Évelyne (2010), « La résilience face aux tracas quotidiens vécus par les parents d’enfant malade ou handicapé. », Bulletin de psychologie, numéro 510 (6), 423-428.
Deslandes Rollande (2013), « La collaboration parent-enseignante au regard de l’état actuel des connaissances », Revue préscolaire, 51(4), 11-14.
Fisman Sandra and Steele Margaret (1996) « Use of Risperidone in pervasive developmental disorders: A case series », Journal of Child and Adolescent Psychopharmacology, 6, 177-190.
Gardou Charles (2012), Frères et soeurs de personnes handicapées : le handicap en visages, Éditions Érès.
Korff-Sausse Simone. (2007), « L’impact du handicap sur les processus de parentalité », Reliance, 26(4), 22-29.
McGill Peter, Papachristoforou Eleni et Cooper Vivien (2006), « Support for family carers of children and young people with developmental disabilities and challenging ».
Merucci Margherita (2006), « Être père d’enfant handicapé : une réflexion sur la fonction paternelle », Thérapie Familiale, 27(1), 61-73.
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Pelchat Diane (1998), Effets longitudinaux d’un programme d’intervention infirmière familiale systémique sur l’adaptation des familles suite à la naissance d’un enfant avec une déficience, Rapport de recherche, Université de Montréal,Faculté des sciences infirmières.
Pierard Alice (2014), « L’annonce du handicap », Analyse UFAPEC, 14(5).
Sawadogo Alimata (2023). « Implication parentale dans la scolarité des germains d’enfants autistes ». Les cahiers de l’ACAREF Vol. 5 No 12. Pp. 156 – 168
Scelles Régine (2004), « La fratrie autour de l’enfant handicapé : frères et soeurs, ces miroirs », Autour De la personne handicapée, Informations médicales et psychologiques Note aux sections Unafam – 4.
Sorrentino Anna Maria et Delage Michel (2010), « Promouvoir la résilience dans les familles d’enfants déficients » in Famille et résilience, Paris, Odile Jacob.