mercredi 23 juillet 2025
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ÉDITO | Retraite : Le poids d’un nouveau combat

Ils ont servi l’État, les écoles, les hôpitaux, la sécurité, la défense… Pourtant, aujourd’hui à la retraite, ces hommes et femmes ne connaissent ni repos ni reconnaissance. Au Burkina Faso, le départ à la retraite, censé couronner des décennies de loyaux services, se transforme trop souvent en un piège déguisé. Au lieu d’être un moment de délivrance, cette étape marque le début d’un combat silencieux, douloureux et parfois humiliant. Loin du repos mérité, la retraite est vécue comme une véritable traversée du désert, où les retraités doivent faire face à des pensions modestes, irrégulières, souvent dérisoires au regard des charges lourdes qui pèsent sur eux. Entre le poids des charges familiales, les factures à payer, et l’oubli institutionnel, ces anciens travailleurs restent en première ligne. Ils mènent un dernier combat : celui de la dignité.

« Retraité » ne rime pas avec « marginalisé »

Trop souvent, la retraite est assimilée à un retrait pur et simple, à une forme d’effacement social. Dans l’imaginaire collectif, elle marque la fin de l’activité d’un individu, comme si l’on cessait soudain d’exister ou d’être utile dès lors que l’on quitte son poste. Or, cette perception est non seulement réductrice, mais profondément injuste. Car les retraités n’ont pas cessé de contribuer à la société : ils ont simplement changé de cadence, pas de valeur.

En réalité, le quotidien des retraités burkinabè est tout sauf un long fleuve tranquille. Bien au contraire. Malgré la cessation d’activité professionnelle, ils continuent de porter le poids de familles entières. Ils soutiennent les enfants toujours en scolarité, s’acquittent des loyers, paient les factures d’eau et d’électricité, assurent les frais médicaux souvent lourds, et subviennent parfois aux besoins des petits-enfants. Dans de nombreuses concessions, le maigre revenu du retraité reste le seul filet de sécurité. Certains parviennent à faire des miracles avec presque rien, à l’image de Tanga, ancien haut cadre de l’État. Lui qui, jadis, trônait dans les grandes salles de réunion climatisées, signait des décrets avec assurance et faisait exécuter ses décisions d’un simple mot, jongle aujourd’hui avec les fins de mois au rythme des tickets de crédit. Son nouveau tableau de bord ? Ce n’est plus un écran de gestion budgétaire, mais le cahier des dettes du boutiquier du quartier, soigneusement rangé entre deux boîtes de sardines. Lui qui commandait, qui décidait du sort de la nation signe désormais des reconnaissances de dettes au kiosque du quartier. Le boutiquier du quartier, qui l’appelait autrefois respectueusement « Monsieur le Directeur », le salue désormais d’un « ça va venir, Papa Tanga » en lui tendant discrètement le cahier où s’empilent les ardoises de crédit. Le plus souvent, il compatit à sa douleur en l’encourageant d’un air moqueur ! « Courage, Papa Tanga, on est ensemble ». Une autre forme de service public, sans protocole ni climatisation.

À midi, lorsqu’il sert à ses petits-enfants du riz blanc sans sauce, il leur glisse avec un sourire fatigué : « Aujourd’hui, on mange léger pour que demain soit plus lourd ». En réalité, la pension est déjà partie dans les factures et les ordonnances impayées.

Et pourtant, ces femmes et ces hommes, qui ont soigné, enseigné, protégé, administré, vivent dans une forme d’invisibilité sociale. On parle peu d’eux. On oublie qu’ils ont, pendant des décennies, tenu le pays à bout de bras. Aujourd’hui, on les voit faire la queue pendant des heures pour percevoir une pension qui ne couvre même pas la moitié des charges du mois, ou quémander un rendez-vous médical dans un système qui ne les considère plus comme prioritaires.

Pensionné… mais toujours sur le front !

La retraite surprend aussi par son impréparation. Aucun accompagnement psychologique, aucune formation à la gestion de cette nouvelle étape de vie, aucune revalorisation systématique des pensions. Résultat : ceux qui ont donné leur jeunesse, leur énergie et leur savoir-faire au service de la nation, se retrouvent à dépendre de la solidarité familiale ; elle-même souvent fragilisée.

Et pourtant, ils tiennent bon. Dans l’ombre, avec dignité. Ils se battent sans bruit, puisant dans leur force intérieure ce qu’il faut pour continuer. Leur combat est quotidien : c’est celui de la survie, mais aussi du devoir, de l’amour familial, de la mémoire collective.

Il est plus que temps, dans les débats sur la refondation du contrat social, d’inclure pleinement cette frange de la population trop souvent oubliée. Car la retraite ne devrait pas être un nouveau combat, mais bien un temps de repos, de reconnaissance et de respect de la dignité humaine. Les retraités ne sont pas des « charges ». Ils sont des forces vives. Grands-parents dévoués, bénévoles discrets, gardiens de la mémoire collective, ils tissent chaque jour le lien social dans les quartiers, les villages, les associations. Leur expérience est une richesse. Leur recul est une ressource. Leur disponibilité est une chance.

Retraités ? Oui. Mais debout. Et plus que jamais indispensables.

Dans un monde pressé, où triomphent la performance, le court terme et l’obsession de la jeunesse, les retraités incarnent la durée, la patience, la transmission. Ils rappellent à tous que la vie ne se mesure pas uniquement en productivité, mais aussi en valeurs partagées, en liens humains, en traces laissées dans la mémoire collective.

Il est donc urgent de changer de regard sur la retraite. Non pas par compassion ou politesse, mais par conviction. Les retraités ont encore tant à dire, à faire, à vivre. Et surtout, tant à nous apprendre.

Dr Dramane Patindé KABORE, Enseignant-chercheur au CU-Dori et Journaliste-communicant 

Minute.bf

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