Tous les jours ouvrables à 7h30 minutes, les travailleurs du public envahissent leur lieu de travail. Comme eux, les marchands ambulants prennent parallèlement d’assaut tous les édifices publics pour, eux aussi, prendre service ou plus exactement faire leurs affaires. A Ouagadougou, une équipe de Minute.bf, pendant plusieurs semaines, a fait le constat dans plusieurs ministères et institutions publiques où pullulent des kiosques, mais surtout, des marchands ambulants. Reportage !
Il est 8h00 ce jeudi 11 mars 2021 à l’immeuble abritant le ministère de l’Energie et celui du commerce au centre-ville. Les fonctionnaires sont déjà dans leur bureau devant des montagnes de dossiers à traiter. Les marchands ambulants, eux, également, s’engouffrent dans les différents coins et recoins du bâtiment ministériel. L’heure de faire des affaires a sonné. Les fonctionnaires montent au boulot. Les marchands ambulants aussi. Chacun a pris service ce jeudi.
L’aiguille de notre montre marque 9h55 minutes. Peu après, c’est l’arrivée de la vendeuse de friandises (gâteau, arachides, cacahouète, jus de souchet…). Maïmouna (nom d’emprunt) ne passe pas par le poste de contrôle. Elle se dirige directement dans le couloir du ministère de l’énergie, emprunte les escaliers et se retrouve au premier niveau du bâtiment. A ce niveau, elle rencontre deux agents du département qui, eux, étaient en train de descendre. « C’est combien- combien ? », interroge un des agents, pour connaitre le prix des friandises. « C’est 100 francs », répond la commerçante, avant de demander où laisser la commande. « Dans son bureau », rétorque l’autre agent qui accompagnait celui qui venait de passer sa commande. « Qui est là-bas », relance Maïmouna, vraisemblablement une habituée des lieux. « Madame Ouédraogo », répond l’agent. Une réponse qui nous conforte dans notre position selon laquelle, Maïmouna a l’habitude de venir livrer ses produits dans ce département ministériel.
Après cet épisode, la vendeuse poursuit son chemin. Elle gravit les marches pour atteindre le deuxième niveau du bâtiment. Il était 9h58 minutes. Elle visite les occupants des portes 240, 248 et 250, puis, avance au troisième étage pour son commerce.

Quelques temps après, une autre dame, Joséphine (nom d’emprunt), vient avec les mains chargées de gros sachets contenant des sacs en laine, et des marchandises diverses. Elle parque sa moto dans l’enceinte du ministère au lieu de la laisser au parking à l’extérieur de l’édifice comme tout visiteur.
Elle aussi ne passe pas au contrôle des vigiles. Elle s’engouffre illico presto dans le bâtiment mais nous n’arrivons pas à la suivre. Nous repartons à l’entrée du bâtiment. Ainsi, après avoir fini leur vente dans le département de l’énergie, Maïmouna et Joséphine se sont dirigées au ministère du commerce, toujours dans le même but : se décharger de leurs articles par la vente avec les agents publics.
Dehors, nous passons du temps auprès de Jean, un jeune cireur de chaussures. Il venait de finir le cirage d’une paire de soulier d’un agent du ministère en charge du commerce. Il disparait, lui aussi, dans ce département ministériel, sans accorder une seule seconde aux vigiles qui étaient présents ce jour. Il les contourne et emprunte le couloir droit pour rejoindre son client.
MENAPLN, un autre centre commercial
Ce même jour, l’équipe de Minute.bf s’est aussi rendu au bâtiment abritant le ministère en charge de l’éducation nationale et celui de l’enseignement supérieur, situé à un jet de pierre du ministère du commerce. Il était 10h20 minutes quand nous arrivons sur les lieux. Les vigiles réclament nos documents d’identité pour nous enregistrer comme visiteur. Ensuite, ils nous laissent accéder à l’immeuble. Nous nous exécutons. Quelques minutes plus tard, soit à 10h30, une jeune fille monte les marches, avec en main un sachet contenant du sandwich et des sachets d’eau. L’agent qui échangeait avec un collègue dans le couloir récupère sa commande. La fille en ressortant passe un instant dans un bureau, première porte après celui du SG/MESRSI.
A 10h35 minutes, marcheurs ambulants d’un jour, nos chemins se croisent et s’entrecroisent avec ceux de la marchande ambulante Maïmouna qui, après avoir fait le tour du bâtiment abritant les ministères de l’Energie et du Commerce, nous rejoint à l’édifice du MENAPLN pour la suite de son commerce. Elle passe tour à tour aux portes 22, 23, 24 et 25 ainsi de suite ; elle sillonne le reste de l’immeuble et vient terminer sa randonnée au rez-de-chaussée de l’immeuble, aux environs de 11h.
A 11h02, une vendeuse de salade de fruits fait son entrée à cet immeuble abritant le MENAPLN et le MESRSI. Elle accède au bâtiment par un couloir au lieu de passer par l’entrée principale où les vigiles font les contrôles. Elle emprunte le couloir du MESRSI, au rez-de-chaussée, fait du porte-à- porte pour proposer sa salade aux agents du ministère. Après avoir fini la prospection au rez-de-chaussée, elle monte aux étages suivants.

A 11h04 minutes, une autre dame, Téné (nom d’emprunt) arrive avec de la nourriture composée de mets locaux, à savoir le poids de terre, le « Zamné » et de « Gaonré ». Elle se fait aider par une vigile pour transporter son repas qu’elle dépose sur une table à l’intérieur de l’édifice. Nous prenons un plat avec elle, idée d’ouvrir une conversation. « Faites-vous du service traiteur ? », avons-nous demandé à Téné. « Pas en tant que tel », répond-elle avant de nous confier qu’elle venait de commencer son commerce dans ces départements ministériels. « C’est ici seulement que je viens livrer mes plats », ajoute-t-elle. Nous lui remettons un billet de 1000 F CFA pour un plat de « Gaonré » qui coûte 500 et elle court dans les bureaux pour chercher la monnaie.
A son retour, nous reprenons le dialogue et elle s’ouvre à nous sur le marché : « ça dépend des périodes. Quand les gens sont en mission ou en congé, ça ne va pas trop mais il y a des périodes aussi où on rend grâce à Dieu ». Après, elle sort un calepin et griffonne quelques notes. Elle venait de noter les commandes de ses clients du jour et passe ainsi à la livraison, dans l’immeuble. Elle emprunte l’ascenseur, les mains chargées de kits contenant les différents mets, pour visiter ses clients.
A midi, tout se déchaine. La fille qui avait livré le sandwich et d’autres de ses collègues envahissent tout le bâtiment, livrent des plats un peu partout et ramassent les assiettes de ceux qui ont déjà fini de manger. Dans les mouvements, nous avons mal à suivre les trois filles du kiosque des départements ministériels mais nous arrivons à noter des livraisons à la porte 21 (SCP) et à la deuxième porte après le SG MENAPLN. Autour de 13h et après ce constat, nous quittons le bâtiment pour d’autres lieux.
Des institutions publiques aussi envahies par les marchands ambulants
Nous sommes cette fois-ci au 16 mars 2021. Ce jour-là, nous nous sommes rendus à la Direction régionale des Impôts du Centre pour voir comment les choses s’y passent. Il était 10h45, après un contrôle à l’entrée où notre carte d’identité est récupérée, nous avançons dans la cours de la direction. A priori, rien de spécial, quelques usagers dans les bureaux pour différentes prestations. Mais nous constatons que le service a un kiosque qui permet aux agents de mettre quelque chose sous la dent, quelle que soit l’heure. Nous nous dirigeons vers ce kiosque. Nous y passons quelques temps.

A 11h40, un cadre de la direction sort du bâtiment et lance aux gérantes du kiosque : « je peux avoir de l’eau ? ». « Je vais envoyer », répond une fille du kiosque et à ce dernier de préciser qu’il est dans la grande salle. L’une des deux filles du kiosque s’exécute. Elle revient les mains chargées d’une tasse vide de thé et d’une assiette. Une commande avait été faite bien avant par les agents. Quelques six minutes après, un autre agent sort demander aux filles : « il y a quoi au menu aujourd’hui ? ». Le menu du jour lui est détaillé et monsieur l’agent commande du riz sauce puis repart à son bureau. Le kiosque reçoit d’autres clients hors du service des impôts. Ils passent leur commande et entament des causeries qui laissent croire qu’ils sont des habitués du lieu.
A 11h57 déjà, c’était la pause pour certains agents même si selon les textes, cette pause se situe entre 12h30 et 13h00 du lundi au jeudi et 12h30 à 13h30 le vendredi. Ils nous rejoignent au kiosque et se font servir à 12h04. Simultanément, une des filles procède aux livraisons dans les différents bureaux.
A 12h43, un cireur s’en va remettre des chaussures à un agent et sort du bâtiment avec beaucoup d’autres chaussures à cirer. A 13h30, nous empruntons les couloirs C et D d’un des bâtiments de l’institution et remarquons des plats entreposés un peu partout devant les portes 1 et 3 du bâtiment C par exemple.
En somme, dans les différentes institutions étatiques, se développent plusieurs formes de commerces. Il y a les kiosques qui se trouvent pour la plupart dans les différents services. Nous avons également constaté l’incursion des marchands ambulants dans les services et souvent dans les bureaux des travailleurs du public aux heures de service. Il nous a été également donné de voir des prestataires de services y faire aussi leurs affaires. D’autres clients, étrangers aux services y passent quelques temps, surtout dans les kiosques. Des pratiques qui reposent nécessairement la question de la sécurité dans nos institutions publiques au point où l’on est tenté de s’interroger sur leur réglementation.
Interdiction formelle de faire du commerce dans des institutions publiques

Dans une circulaire adressée aux présidents d’institutions et ministres le 19 février 2019, le ministre de la Fonction publique, Pr. Séni Ouédraogo rappelait par la même occasion à l’ensemble des agents publics qu’« il est formellement interdit de faire du commerce aussi bien dans les enceintes qu’aux alentours des bâtiments de l’administration publique. »
Une décision qui part du constat que « des personnes étrangères accèdent aux administrations publiques souvent à des endroits sensibles et sans aucun contrôle ni respect de la règlementation pour vendre des articles de commerce. » Pour le ministre Séni Ouédraogo, avec le contexte sécuritaire actuel, « où tous les stratagèmes peuvent être utilisés par des groupes terroristes pour envoyer leurs éléments en mission de repérage et d’attentats sous divers déguisements (vendeurs ambulants et autres) », il est important que les chefs d’institutions et les ministres prennent « toutes les dispositions idoines » pour interdire le commerce dans et les alentours de leurs locaux. Aussi, le ministre les invite-il au contrôle de l’accès à ces lieux aux personnes étrangères au service.
Vidéo Reaction des agents
En outre, le ministre de la fonction publique a souligné que cette mesure concerne également les fonctionnaires du public qui, « en violation des dispositions de l’article 40 de la loi n °081-2015/AN du 24 novembre 2015 », s’adonnent à « l’exercice illégal d’activités commerciales dans les services publics. »
De toute évidence, les résultats de notre constat attestent de ce que cette circulaire disponible depuis 2019 n’a pas d’effet sur ce commerce développé dans les administrations publiques et leurs environs. L’absence de sanctions en cas de violation de cette règlementation dans la circulaire pourrait constituer le goulot d’étranglement à son efficacité.
Franck Michael Kola
Minute.bf
Bonjour. Il faudra vraiment revoir cette question dans les ministères. Nous sommes en temps d’insécurité et si ça doit continuer comme cela, c’est pas bon pour tout le monde.