L’officier de police démissionnaire, Assami Ouedraogo est actuellement libre de ses mouvements. Il avait annoncé, au cours d’une conférence de presse, sa démission pour dénoncer la dégradation de la situation sécuritaire au Burkina Faso. Après cette conférence, et un passage sur un plateau de télévision de la place pour se prononcer sur la situation nationale, il a été pris en filature, puis arrêté et incarcéré parce qu’accuser de fomenter un coup d’Etat, en complicité avec des militaires, contre le pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré. Dans cet entretien accordé à www.minute.bf, l’officier de police démissionnaire revient sur les circonstances de son arrestation et se prononce sur la situation nationale marquée par l’arrivée au pouvoir, depuis le 24 janvier dernier, du Mouvement patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR), dirigé par des militaires, avec à leur tête le lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba.
Minute.bf : Pouvez-vous revenir sur les conditions de votre arrestation ?
Assami Ouedraogo : Eu égard à la crise que connait notre pays, j’ai eu à déposer et rendre publique ma décision au cours d’une conférence de presse animée avec le camarade Dr Aristide Ouédraogo. A l’issue de cette conférence, certaines activités étaient programmées pour accompagner les autres camarades en lutte pour lancer un mot d’ordre afin de demander la démission du président du Faso. Nous avons soutenu cette lutte et nous nous sommes engagés à accompagner ce combat. À la suite de ces événements, j’ai été invité sur un plateau de télévision, avec Me Benewendé Sankara comme membre du récent gouvernement sortant. Durant l’émission qui était prévue pour 18-19h, elle a été retardée pour des raisons inconnues par ma personne. Il s’est trouvé qu’au moment où se tenait l’émission, il y avait des éléments qui m’attendaient à la sortie. Il y avait une équipe mobile et des éléments de filature. Dès que je suis sorti, j’ai pris certaines mesures pour rejoindre mon domicile, notamment celui de ma mère. Sentant la filature, j’ai donné des instructions fermes à mon conducteur de rouler avec des feux de détresse et de ne pas marquer un arrêt tant qu’on n’arrive pas à destination.
Je suis arrivé dans le quartier de ma mère. Une fois là-bas, les jeunes du quartier étaient là, notamment mes amis. Je leur ai expliqué la situation et leur ai dit de rester à l’écoute, en vue de sonner une éventuelle mobilisation pour me soutenir. Je me suis levé pour aller dans un autre Quartier général (QG) pour le même message. En cours de route, j’ai aperçu deux éléments. Puisque j’ai été commissaire de l’aéroport de Bobo Dioulasso durant 3 ans, je connais la plupart des éléments de sécurité de nos autorités, certains éléments qui mènent des activités à l’Agence nationale du Renseignement (ANR) par exemple. Facilement, ces éléments, je les identifie. J’ai eu à recevoir le chef de l’État durant ma fonction à l’aéroport de Bobo, plus de 5 ou 6 fois ; automatiquement je connais la plupart des éléments qui sont proches de ce système. J’ai reconnu notamment un d’entre eux, un albinos alors qu’il était positionné avec un autre, chacun sur sa moto. A l’approche de mon véhicule, ils faisaient semblant de communiquer. J’ai demandé à mon conducteur de regarder dans les rétroviseurs s’ils vont me prendre en filature. Dès qu’on est arrivé à un lieu de rassemblement de jeunes, je me suis arrêté et je leur ai décrit la situation. J’ai demandé à ce qu’un d’entre eux retourne signaler aux camarades qu’il est temps qu’ils viennent me soutenir par ce que j’ai été pris en filature depuis l’émission par je ne sais qui et les seules personnes que j’ai identifiées sont les éléments de la sécurité présidentielle et des éléments de l’ANR. Ayant fait les renseignements, c’était facile pour moi d’identifier les policiers de la sûreté de l’État.

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J’avais aussi eu des informations selon lesquelles les responsables de la police judiciaire (le Service régional de la Police judiciaire) avaient été sommés de tout mettre en œuvre pour m’arrêter. Les éléments de mon quartier se sont mobilisés et j’ai appelé le journaliste qui a guidé l’émission. On a fait appel à plusieurs journalistes mais personne n’est venu. Les éléments de sécurité notamment ceux qui étaient en tenue M.O pour la répression, premièrement, les jeunes du quartier sont arrivés à les repousser. En ce moment j’ai fait appel à quelques éléments qui étaient en tenue civile et je leur ai demandé quel était le motif de ma filature. Ils hésitaient. Je leur ai posé la question à savoir s’ils avaient un mandat et quel service demandait à me voir. Et j’ai précisé également que si j’ai le courage de quitter Bobo le jour de mon mariage pour venir à une émission, je ne vais pas refuser une invitation des autorités notamment judiciaires. J’ai insisté pour connaître le service. C’est en ce moment qu’un d’entre eux m’a dit de venir on va se mettre à l’écart parce que je suis un chef et qu’eux ne voudraient pas bousculer leur chef. Je lui ai fait savoir que pour dire le service qui me demande on n’a pas besoin de se mettre à l’écart. Il suffit de dire juste c’est telle gendarmerie ou tel service de police. Ils m’ont, en ce moment, dit que c’est la Direction générale de la police nationale (DGPN). Et je leur ai dit, quelle que soit la situation, j’ai été un policier, je suis un élément de ces chefs, s’ils m’appellent et me disent de venir répondre, je vais y répondre. C’était un dimanche et je leur ai fait savoir que ma démission n’était pas désastreuse à tel point que le directeur général de la police nationale ou les autres responsables cherchent à me recevoir un dimanche.
J’ai par la suite appelé le camarade avec lequel j’ai animé la conférence de presse, notamment Dr Aristide Ouédraogo, à qui j’ai notifié cela. Il m’a suggéré de me rendre mais de tout faire pour ne pas qu’il y ait de la résistance et qu’une fois à la DGPN, le lendemain matin, le lundi, il allait venir se constituer prisonnier pour accompagner son camarade avec qui il a animé cette conférence de presse. Les éléments du quartier m’ont approché pour me dire de faire beaucoup attention parce qu’il y’avait d’autre groupes, notamment les militants du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) qui étaient parmi nous. Ils ont aussi repéré la présence du maire de l’arrondissement, un certain Zicko que personnellement je ne connais pas. Ce dernier avait mobilisé des jeunes pour venir faire des infiltrations et me mettre la pression pour qu’on parte chez le Mogho-Naaba la même nuit. Sentant ma vie menacée, j’ai fait appel à mes frères qui ne sont pas loin de ce quartier.
Les jeunes de Bilbalogho se sont mis ensemble, environ 10 à 20 personnes pour venir. Je leur ai demandé de constituer un cordon de sécurité parce que je ne souhaiterai pas qu’il y ait des infiltrés.
Durant l’émission déjà, on a voulu me prêter certaines intentions, dont un projet de putsch. Me Bénéwendé Sankara a même précisé de ne pas être surpris qu’on m’interpelle à la fin de l’émission, parce qu’il y a une plainte du gouvernement en cours contre ma personne. Comme je suis un homme de droit, j’ai suivi les principes et je sais que la démission est un droit acquis. J’étais à 11 mois de disponibilité. En voyant la situation sécuritaire qui se dégrade de jour en jour, voyant mes frères d’armes, les populations dans une situation désastreuse, on ne peut être un patriote ou une personne engagée et continuer à se taire. Compte tenu de la déontologie policière, je ne peux prendre une position contre un pouvoir politique en étant toujours dans les effectifs de la Police.
Quand la situation est arrivée, de concert avec le camarade Aristide Ouédraogo, je suis allé dans un domicile. De là, on a fait appel aux éléments en tenue civile que j’ai suivis.
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Minute.bf : Quelle a été la suite ?
Assami Ouedraogo : A ma grande surprise, je n’ai pas été conduit dans un service de Police ou de gendarmerie. Une fois sur place, ils m’ont dit de ne pas m’en faire. Il y avait des civils. Il y a un que j’ai reconnu. On l’appelait adjudant Ouédraogo. Il m’appelait tout le temps mon parent. Il m’a rassuré de ne pas m’en faire. Ils avaient des informations selon lesquelles les corps habillés préparaient un coup d’Etat et que je venais en tant qu’élément précurseur, pour attirer l’attention des autorités sur ma personne en vue de permettre aux autres de réussir leur coup. Les gens ont toujours chanté que nous on préparait un coup en complicité avec des militaires. Ils estimaient qu’avec mes accointances avec des militaires, (parce qu’ayant accompagné l’armée dans une situation de crise, notamment après les évènements du Coup d’Etat manqué de 2015), j’ai gardé des liens avec certains militaires qui m’ont permis de monter un coup avec eux, où je devais créer diversion afin que les autres réussissent. Je leur ai demandé s’ils avaient déjà vu quelqu’un qui participe à un coup d’Etat s’identifier de façon officielle pour dire qu’il s’oppose à un régime avant l’exécution du coup ?
Moi, j’ai démissionné par patriotisme. Les raisons sont bien citées dans ma lettre de démission. J’ai aussi expliqué durant la conférence où j’ai rendu public ma démission. Je ne vois donc pas pourquoi l’on cherche à me prêter des intentions qui ne sont pas miennes.
Ils avaient dit qu’ils allaient me détenir, m’observer, voir le dénouement de la manifestation (du 27 novembre 2021, ndlr) et on en reparlera. Mais figurez-vous que c’est après la manifestation, peu après 18 heures 20 minutes que j’ai été relaxé vers Saaba, à Nioko 2. J’ai contacté ma famille et un ami est venu me chercher. J’ai ensuite contacté mon chauffeur qui est venu me conduire à Bobo-Dioulasso. Je suis resté dans ma maison pendant un temps avant de me présenter. J’ai contacté ceux avec qui je travaille pour les rassurer que je suis en liberté, même si je limitais mes déplacements parce qu’au vu de ce qui s’est passé, je savais que je courrais des risques d’être encore malmené ou même qu’on intente à ma vie.

Quelques jours après, ma ferme a été le premier endroit où je me suis rendu. Après cela, j’ai attendu quelques jours avant de faire presque tous les services de sécurité pour rassurer les anciens collègues qui m’ont apporté leur soutien. C’était en guise d’un devoir de redevabilité pour moi que de les rassurer que tout va bien. Après cela, j’ai fait plusieurs va-et-vient entre Bobo-Dioulasso et Ouagadougou, sans jamais être inquiété jusqu’à ce que la situation soit ce qu’elle est actuellement.
Minute.bf : Depuis le 24 janvier 2022, le pouvoir du MPP a été renversé par les militaires, quelle est actuellement votre position ?
Assami Ouédraogo : Nous qui avons été au four et au moulin contre ce régime MPP, adhérons entièrement à ce qui sortira de ce nouveau système. Le peuple burkinabè avait soif d’un changement, un changement générationnel. Au regard de la situation sécuritaire qui était dégradante, au regard de l’incapacité du régime passé à apporter une ère nouvelle, un espoir au peuple burkinabè, il était temps que des individus plus engagés, plus patriotes prennent leur responsabilité afin de délivrer notre pays. Cela a d’ailleurs été le sens de notre combat. Vous remarquerez que ceux qui sont au premier plan du mouvement sont tous des jeunes officiers qui connaissent l’ampleur de la situation sécuritaire. Cela se justifie par le fait que le défi majeur actuel, c’est la question sécuritaire.
Pour revenir un peu à la situation de l’attaque d’Inata, cette situation a suscité une colère collective de toutes les couches de la société. Il est inadmissible même en temps de paix que des éléments manquent du minimum pour survivre à plus forte raison en temps de guerre. Il y a eu tant d’autres situations qui ont suscité la colère du peuple et tout a toujours été amorti. On s’est battu pour un renouveau au Burkina Faso. Il faut qu’il y ait plus de cohésion et de solidarité entre nos forces de défense et de sécurité, plus de solidarité entre les Burkinabè. Le régime déchu a passé son temps à diviser davantage les Burkinabè. Au regard de tous ces événements, au regard de la répression de tous ceux qui manifestaient contre ce régime, nous avons eu des héros, des jeunes officiers de surcroît qui ont pris leurs responsabilités. Personne n’a gagné, personne n’a perdu. Si ce nouveau système gagne, c’est tout le peuple burkinabè qui aurait gagné ; si ce système perd, c’est tout le peuple qui aurait perdu. Donc je profite aussi lancer un appel solennel : que tous les Burkinabè de l’intérieur comme de l’extérieur puissent se donner la main, taire nos querelles et accompagner ce qui sortira de cette nouvelle ère pour notre très chère patrie.

Le Burkina ne doit pas sombrer. Présentement nous avons perdu plus de deux tiers de notre territoire, nous avons perdu énormément de forces de défense et de sécurité, des Volontaire pour la défense de la Patrie (VDP) et des populations civiles. On enregistre plus d’un million cinq cent mille déplacés (1 500 000). Notre défi majeur actuellement c’est de pouvoir ramener chacun dans sa zone, pouvoir reconquérir notre territoire, de pouvoir rassembler les Burkinabè et cela ne peut pas être fait par un homme politique. Nous avons des jeunes engagés qui sont là, à nous de les accompagner même s’il faut sonner le rassemblement porte par porte pour que tous les Burkinabè puissent suivre dans un élan de solidarité, dans un élan de patriotisme pour accompagner sereinement les nouvelles autorités.
Ils ont eu à dire dans leur déclaration que «c’est une situation qui s’est produite» et dans la même déclaration ils ont assuré que des concertations seront menées en vue d’asseoir quelque chose qui sera accepté de tous. C’est déjà une très bonne démarche. J’ai toujours dit que la lutte ne profite pas toujours à ceux qui luttent. Pour moi déjà, c’est une satisfaction morale que le peuple soit libéré.
Minuite.bf : Êtes-vous prêt à accompagner le MPSR ?
Assami Ouédraogo : On n’est pas obligé de faire partie d’un système pour l’accompagner et si toute fois il estime que je peux apporter une pierre, moi personnellement je suis disposé et disponible à les soutenir. D’ailleurs c’est ce qui se fait déjà. Nous engageons des actions pour les accompagner à réussir. Comme je le disais tantôt, leur réussite c’est la réussite de toute la jeunesse burkinabè. Nous avons l’obligation de réussir pour ne pas donner raison à ceux qui n’ont pas au départ compris les raisons de notre lutte.
Propos recueillis par Franck Kola et A. Kinda
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