Le « prêtre » des humouristes burkinabè, Innocent Ouédraogo connu sous le pseudonyme « Choco B » était dans les locaux de www.minute.bf le 15 juin 2021. Comédien « en herbe » dans son quartier, Innocent Ouédraogo fait ses premiers pas dans l’humour dans son lycée à travers des compétitions inter-établissements. Mais ne dit-on pas que l’appétit vient en mangeant ? Celui-là qui rêvait de devenir prêtre va finir par répondre à l’appel de l’humour, faisant de sa passion un métier tout en poursuivant ses études en linguistique à l’Université Joseph Ki-Zerbo. Dans cet entretien, le jeune humouriste s’ouvre à www.minute.bf et ses lecteurs et affiche ses ambitions pour porter haut le drapeau national.
Comment Choco B est arrivé dans l’univers de l’humour ?
Il faut dire que j’ai commencé avec le théâtre dès le lycée. J’ai fait mon parcours au Lycée Moderne Arsène Assouan Usher de Grand Lahou en Côte d’Ivoire. On faisait des compétitions inter-établissements sous le nom de « English day ». A la première édition les organisateurs voulaient des acteurs et moi aussi j’étais un comédien dans le département. Chaque année au village, pendant les congés de Noël, on amusait les gens après la messe.
A la première édition de la compétition « English day », quand je suis arrivé, il y a un élève qui ne maitrisait pas son rôle. Un promotionnaire a alors proposé au professeur qui coordonnait de me prendre. Ce professeur, que je salue au passage, m’a dit de passer jouer. Quand j’ai essayé, il m’a dit : « c’est bon ! Tu joues le rôle ». La même année, on a remporté le premier prix.
Aussi, chaque année avec les tournois de maracana et autres, à chaque fois, je notais des petites choses et à la mi-temps, j’égayais le public. Je me rappelle que les gens disaient que Choco B n’a pas honte du public, il danse, il fait des trucs devant les gens.
Au fur et à mesure, on a commencé à organiser des évènements. A un moment donné au village, quand il n’y avait rien, on me disait : « Choco B, tu ne vas pas organiser quelque chose les filles vont sortir, on va les draguer ? (Rire) ».
Mais avec le temps, c’est devenu une passion et maintenant un emploi. En 2014, nous sommes arrivés au Burkina Faso. J’ai fait ma première scène à la Maison de la Femme la même année. Après cela, c’était à l’Université Joseph Ki-Zerbo avec le club d’Anglais qui organisait ses activités. J’ai demandé la scène, ils me l’ont accordée, j’ai joué et ils ont aimé.
A l’occasion, il y avait le technicien qui était un ami du club de l’UNESCO. Il m’a dit : « tu joues bien, tu es performant, on va te brancher au club ». C’est à partir de là que j’ai pris connaissance avec Son Excellence Gérard. Ensuite, je me suis formé et aujourd’hui, grâce à cette formation, on fait ce que vous savez. Sinon, j’ai commencé à attraper le micro depuis 2006.
Vous êtes un étudiant mais vous avez fait le choix de l’humour. Comment cela a été accueilli par votre famille, votre entourage ?
« Choco B, le prêtre des humouristes » a un sens. Je voulais à tout prix être un prêtre. A cause de cela, j’ai changé de série quand j’étais au lycée pour faire la littérature parce qu’on disait qu’au séminaire on faisait beaucoup la philosophie. C’est à ce niveau que mes parents se sont opposés puisque je suis l’ainé de la famille.
Mais en ce qui concerne l’humour, il n’y a pas eu de problèmes. On ne m’a jamais dit qu’on est contre ce que je fais ou pas. Je n’ai pas eu de problème avec la famille, je n’ai pas eu de problème avec quelqu’un.
Il faut dire aussi que mon talent ne m’a pas empêché de bosser. Pour moi, dire que mon talent m’empêche de bosser, c’est un faux truc. A l’école, j’étais bien, dans mon travail aussi. Je travaille avec une équipe de l’Université Norbert Zongo de Koudougou et de l’Université Joseph Ki-Zerbo ; on se connait bien, et on prend le travail au sérieux.
En milieu artistique, j’ai également des grands-frères qui me soutiennent. Je veux saluer au passage, le grand-frère Ahmed Nadiouba, Moussa Petit Sergent… qui m’ont accepté au Burkina, qui m’ont hébergé et qui m’ont encouragé dans le milieu humoristique. C’était les premières personnes à m’encourager.
Au début, ce n’était pas facile. Certains vont venir te décourager. Il y a d’autres par contre qui vont te dire : « mon petit, tiens bon ». Aujourd’hui, il y a des gens qui nous envient mais ils ne connaissent pas nos débuts.
Pourquoi le choix du personnage de l’abbé quand on sait combien la religion est un sujet sensible chez nous ?
C’est vrai que le sujet de la religion est sensible mais je porte ce personnage pour sensibiliser, pour dire des choses que les gens font à l’église, des choses que le prêtre ne peut pas dire comme cela sans choquer les gens. Mais avec un ton humoristique, on essaie d’embellir les choses, de les camoufler pour interpeller les gens sur leurs comportements sans les vexer.
Depuis le lycée vous avez été piqués par le virus de l’humour, est-ce que vous êtes passés par une école professionnelle pour vous perfectionner ?
Il est vrai que je faisais l’humour sans le savoir. Pour moi, c’était juste pour amuser les gens. Mais quand j’ai décidé de m’investir dans le domaine, je suis passé par la case école. J’ai été formé à l’école de son Excellence Gérard. Avec lui, on a eu des formations délivrées par des grands noms de la scène comme le professeur Prosper Compaoré. A Bobo-Dioulasso j’ai suivi des formations avec l’écrivain, dramaturge, metteur en scène et comédien Ildevert Méda, et c’est d’ailleurs à partir de là qu’est sorti mon personnage de prêtre. C’était une étape de renforcement de capacités et tous les autres participants et moi, à l’issue de cette formation, avons défini nos personnages pour ne plus travailler au hasard.
Il y a aussi les ainés comme Génération 2000, Gombo.com, qui nous ont encouragés et guidés et bien d’autres promoteurs et promotrices qui ont également eu confiance en nous. Je salue au passage M. 100%. Il y a également toutes ces personnes qui nous encouragent d’une manière ou d’une autre qu’on ne peut pas citer.
Je profite de l’occasion pour dire à tous ceux qui veulent faire l’humour, de se faire former, faites-vous encadrer. Moi par exemple, quand j’ai un spectacle, j’appelle mes collègues pour qu’ils viennent voir mon texte, on travaille ensemble avant que je parte jouer. Quand c’est comme ça, les gens apprécient mais quand tu veux travailler seul, ça ne marche pas. Il y a des gens qui suivent mes répétitions. Quand il y a un événement majeur, je me tourne vers les ainés, à qui je demande des conseils pour savoir ce qu’il faut faire. Je suis toujours à la quête du savoir. Tout ça, c’est pour dire qu’il ne faut pas négliger la formation.
Que retenez-vous de cette formation ? Est-ce qu’il le fallait vraiment ?
Il le fallait ! Tu peux avoir ton histoire drôle, tu te lèves, tu racontes ça n’importe comment avec tes amis, ils rient, tu te dis que tu es un humouriste. Ce n’est pas évident.
Si tu veux faire quelque chose de sérieux, va à la recherche du savoir, va te faire former pour ne pas faire du n’importe quoi. Il y a des gens qui montent sur scène et qui finissent par se faire lapider. Il faut te faire former, il ne faut surtout pas te précipiter non plus. On a été formé mais on est toujours à la quête du savoir. La formation est vraiment importante et nécessaire. On ne finit jamais d’apprendre.
Le public Burkinabè est réputé être difficile et n’encourage pas suffisamment les artistes sur scènes, selon certains témoignages. Comment appréhendez-vous cela ?
C’est une réalité. Mais, il faut aussi éduquer le public. Aujourd’hui, si on dit qu’il y a un spectacle d’humour et qu’on veut remplir le stade, il faut éduquer le public.
Au-delà de cela, il faut aussi et surtout, travailler à donner de bons spectacles. Quand tu fais quelque chose qui est bon, c’est de bouche à oreille les gens vont s’informer et se mobiliser si tu as un spectacle.
C’est aussi un travail de longue haleine. Nos ainés qui ont travaillé depuis 30 ans, ce n’était pas aussi aisé comme aujourd’hui. Ils se sont battus et aujourd’hui, c’est nous qui profitons de leur combat. Maintenant, c’est à notre tour de continuer ce combat pour davantage éduquer la population.
Il faut aussi que la population nous comprenne. On ne peut pas vivre sans la culture. Il y en a qui pensent qu’un artiste, c’est quelqu’un qui ne veut rien faire dans la vie. Quand tu te présentes comme un artiste, on te voit comme un raté de la société. Pourtant ça n’a rien à voir. Même si on ne gagne pas des milliards, nous vivons dignement de notre art. Juste pour dire qu’il faut prendre au sérieux tout ce que l’on fait.

Parlant du public, il y a des jeunes artistes comme Amzy et Kayawoto qui ont su susciter de l’engouement en remplissant notamment le Palais des Sports de Ouaga 2000. Il y a aussi votre collègue humouriste Soum le Sapeur qui a fait le plein du CENASA dans le même temps et avant lui, il y a eu Moussa Petit Sergent aussi, est-ce que vous pensez que c’est une révolution en marche ?
Comme je le disais, pour éduquer les populations, il faut travailler à donner de vrais spectacles. Quand vous prenez les artistes que vous avez cités, ils ont travaillé. Ce qu’ils ont proposé était de qualité. Quand quelque chose est de qualité, tu fais moins d’effort pour attirer les clients. Quand les gens estiment que c’est bon, ce n’est pas toi-même qui va faire ta publicité ; ça va tout seul. C’est un produit qui est mûr, qui est bien arrivé.
On peut parler de révolution culturelle mais pour moi, c’est la solidarité de la jeune génération qui fait ça. Quand j’ai un problème, l’autre se sent impliquer. Et quand lui il s’y met, son ami va s’impliquer, son frère, ainsi de suite et à la fin, cela réunit tout le monde. Quand on travaille et qu’on est solidaire entre-nous, on ne peut que faire des exploits. Une révolution culturelle, c’est un travail qui est bien fait avec une bonne dose de solidarité des différents acteurs.
L’univers de l’humour au Burkina est en ébullition avec de jeunes talents comme vous, est-ce qu’on peut dire que le métier nourrit son homme ?
Quand vous me regardez, je brille (rires) ! C’est pour vous dire que le métier nourrit son homme. On a des humouristes qui sont véhiculés, motorisés, des humouristes qui ont leur propre villa, d’autres sont des pères de famille et prennent tout en charge, que ce soit la scolarité, la santé… grâce à leur métier. Alors, oui, l’humour nourrit son homme.
J’ai une licence en linguistique, je pouvais aller faire la vacation comme certains camarades. Mais j’ai choisi l’humour et c’est de mon art que je vis, je m’habille. On ne dira jamais Choco B, tu es sale, tu raquettes, tu demandes de l’argent pour du carburant… Quel qu’en soit ce que tu fais, prends ça au sérieux et mets Dieu aux devants, tu verras que tout ira bien.
Choco B a-t-il un spectacle en vue et à quand votre premier grand One Man Show ?
Le 26 juin prochain, je serai du côté du Collectif des Architectes du Rire (CAR) ; le 1er juillet, je serai à l’Université Joseph Ki-Zerbo pour un spectacle pour l’Unité de Formation et de Recherche/ Lettres, arts et culture en faveur des enseignants retraités.
Pour mon premier grand One Man Show, on est en train de le penser. On est en train de réfléchir sur comment l’organiser et ça viendra.
Propos recueillis par Franck Michaël KOLA
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