KIENTÉGA Patoingnimba Sandrine (CNRST/INSS)
Ouagadougou, Burkina Faso
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Résumé : Le recueil de Théodore Lamoussa Kafando intitulé Dualité est une poésie didactique destinée aux enfants. Cet article est extrait de notre article intitulé, des instances de communication dans l’écriture poétique de Lamoussa Theodore Kafando : statuts et modalités, publié en Aout 2023 dans la REVUE DELLA/AFRIQUE VOL. 5 No 13. Le but de cette analyse est de révéler les agents communicateurs et les circuits de la communication car, ils révèlent un modèle ou circuit de communication socialement peu admis mais qui est pourtant sensé de nos jours et sur lequel la littérature de jeunesse se fonde pour mieux rendre à l’enfant toute sa dignité.
Mots clés : Instances de communication – Circuit de communication – Statuts – Société
Introduction
Dualité est un recueil de dix (10) poèmes illustrés de Théodore Lamoussa Kafando, parus dans Poésie pour enfants, qui est un recueil des œuvres lauréates du Grand Prix National des Arts et des Lettres en 1986. Dans ces poèmes, l’auteur évoque le vécu quotidien des Hommes, dans une perspective didactique, en mettant en communication plusieurs voix poématiques. Ces voix énonciatives constituent les instances Émettrices et Réceptrices, dans les poèmes : des instances émettrices ou énonciateurs qui produisent des discours empreints de didactisme à l’adresse d’instances Réceptrices ou énonciataires. Ainsi, qui sont ces agents de l’axe de la communication textuelle dans la poésie de L.T. Kafando et que nous apprend leur dispositif de communication ? Nous pensons qu’ils sont ordinaires mais révèlent un modèle de communication essentiel mais banalisé en société. C’est l’objet de cet article.
- Méthodologie
Tout texte littéraire est avant tout un discours qui s’appréhende selon trois niveaux et chacun se définit par une relation horizontale et orientée entre deux pôles « globalement et banalement désignés, Emetteur (E), et l’autre Récepteur (R) », pour reprendre les propos de Pascal Assoa N’GUESSAN[1]. L’objet du message est le contenu véhiculé qui matérialise la relation (ce qui est dit). Il est formalisable dans le schéma élémentaire par ceci : Odm. Selon une convention classique, le pôle Emetteur se place à gauche, et le pôle Récepteur, à droite. Ce schéma actantiel élémentaire se présente comme suit : Emetteur(E) → (Odm) →Récepteur(R). Le niveau textuel est celui qui nous intéresse et il est centré sur l’axe de la communication avec les pôles narrateur/narrataire et personnages. Tout en n’ignorant pas que le discours littéraire est son propre référent. En stylistique actantielle, Georges MOLINIE (1993) appelle actant, chacun des pôles émetteur et récepteur du schéma. L’actant, pour faire simple, est un poste fonctionnel. C’est dire qu’il que c’est un émetteur, un récepteur, … qui peut avoir un statut particulier, ou qui peut remplir des fonctions, … c’est grâce à ces considérations que nous pourrons identifier les agents qui interviennent dans cette communication au niveau textuel, afin de constater des modèles de communication utilisé par la littérature de jeunesse.
- Résultats
- De l’énonciateur implicite
L’énonciateur est cette voix qui prend en charge le discours dans les poèmes du corpus. C’est la voix poématique. Dans certains poèmes du corpus, la présence de l’énonciateur est implicite une présupposition dans la mesure où l’énonciataire est interpelé. C’est la présence du vocatif (renvoyant à l’énonciataire) qui permet par exemple de savoir, qu’il y a une instance émettrice qui s’exprime. En guise d’exemples, nous avons : « un avenir radieux vous attend » (V9) dans dualité ; « tu auras grand froid » (VS1V4) dans prends garde ; « debout, debout, pionniers burkinabè ! (S1V1 ; « Avec abnégation, forgez le destin » (S2V3) dans pionniers burkinabè. Qu’en est-il du statut de cet énonciateur qui se présente implicitement dans ces poèmes ?
Dans ces textes poétiques, le statut de l’énonciateur est assez déterminant. Au regard des propos, c’est sans aucun doute un adulte qui s’exprime. Dans Dualité par exemple, cet émetteur énonciateur enseigne la sagesse aux enfants ; dans Prends garde il les interpelle à la prudence et suscite dans Pionniers burkinabè au courage. En somme, l’énonciateur implicite se présente comme un adulte qui enseigne et conseille les enfants. L’énonciataire ou récepteur est connu donc explicitement. On retient le flux ou modèle suivant : adulte à l’enfant.
- De l’énonciateur explicite
L’énonciateur est explicite dans d’autres poèmes, avons-nous constaté. L’émettrice se manifeste aussi à travers les pronoms personnels et adjectifs possessifs. En voici quelques illustrations : « mes chers parents (S1V4) ; m’a transmise (S1V6) ; je travaille dur (S3V7) ; moi orphelin » (S3V6) dans Cri de l’orphelin ; « Papa, je t’aime d’un amour filial (V25) dans Papa, qu’as-tu fais? ; « Procure-moi une flute (V2); Pareille à celle de mon oncle (V3) ; Pour que je chantonne un air de réjouissance (V7)» dans ‘’une flûte en bois’’ ; « nous vos enfants (V57) ; nous, richesse future de la nation (V58) » dans En pédiatrie ; « Fétiche de mes aïeux (S1V1) ; Protège mon fils du mal aveugle (S1V4) » dans Fétiche. Ces indices font montre d’un discours expressif de la part des énonciateurs dans tous ces poèmes. Dans la plupart des poèmes su-cités, notamment, l’énonciateur explicite est doté d’un statut enfant, enfant qui s’adresse aux adultes avec des doléances, conseils et enseignements. Dans le texte intitulé Fétiche cependant, l’énonciateur explicite est un adulte qui invoque une divinité pour la protection de son enfant. poème intitulé Cafard conjugal, l’examen du lexique suffit pour déduire qu’il s’agit là d’un énonciateur adulte qui s’adresse aux couples mariés car, un enfant ne saurait conseiller quelqu’un en ce qui a trait à la vie conjugale comme : le rôle d’époux, les responsabilités conjugales, la procréation, etc.
En conclusion, l’énonciateur explicite de statut enfant s’adresse aux adultes en leur donnant des enseignements, des conseils et doléances. Celui de statut adulte s’adresse aux adultes en leur prodiguant conseils, leçons et parfois même des doléances impératives. On retient les modèles ou flux de communication suivants : enfant à adulte et adulte à un adulte
- Interprétation
Au bout de cette brève investigation, il ressort que dans la production poétique pour enfants de Théodore Kafando, l’instance émettrice, lorsqu’elle est implicite, revêt la posture d’adulte. Lorsqu’elle est explicite en revanche, elle est peut-être un adulte ou un enfant. Dans tous les cas de figures, l’objectif de cet énonciateur, c’est l’enseignement, la sensibilisation, les conseils. Il est crucial de retenir que, ces énonciateurs adultes et enfants s’adressent à des énonciataires ou récepteurs enfants et adultes, donnant globalement les circuits, mode, modèle ou flux communicationnels suivants :
- Adulte explicite s’adressant à l’enfant pour enseignement, conseils (adulte → l’enfant)
- Adulte explicite s’adressant à un adulte pour conseils, doléances (adulte → adulte)
- Enfant explicite s’adressant à adulte pour enseignements et directives (enfant → adulte)
A bien observer, le modèle (adulte → l’enfant) est socialement normalisé. Il est du devoir des anciens et des ainés de guider les plus jeunes avec des conseils. Sur le rôle éducatif de l’adulte, Amadou Hampâté Bâ (1991) nous familiarisait avec l’idée selon laquelle, l’enfant est un être sacré et que le former, c’est préparer l’avenir même de la communauté, rappelant ainsi que les adultes, dépositaires du savoir, ont le devoir de transmettre ce savoir aux plus jeunes Léopold Sédar Senghor (1964) nous rappelait aussi que l’éducation de l’enfant était une mission de l’adulte, disait que l’enfant est tel un bourgeon et qu’il s’ouvrait selon la lumière qu’on lui donne. », assimilant le rôle de l’adulte à une lumière nourricière.
Quand au second flux observé emprunté par les agents de la communication textuelle, dans les textes, il est également le reflet de ce qui se fait en société. Des adultes se conseillent entre eux et se sollicitent pour différentes raisons. En Afrique, la solidarité est un principe vital ; et c’est dans la solidarité que se trouve la force de la communauté, nous fait constater Amadou Hampâté Bâ lors de son Discours à la Conférence générale de l’UNESCO le 1er décembre 1960, Hampâté Bâ pour la sauvegarde de la tradition orale. Dans nos sociétés, l’idée est qu’aucun individu ne peut se suffire à lui-même ; et Comme le chante Floby, “c’est l’homme qui fait l’homme”.
Enfin, le flux où, l’enfant s’adresse à l’adulte pour lui donner des enseignements et doléances (directives), et ce explicitement sans langue de bois. Un enfant qui s’adresse ainsi aux grandes personnes en société dans l’objectif de les enseigner, les moraliser, pourrait être qualifié d’enfant impoli ou mal éduqué. Ce processus de communication n’est donc pas couramment admis, en tout cas pas dans cet objectif. Dans la majorité des sociétés africaines traditionnelles, l’adulte est une figure d’autorité et l’enfant doit faire preuve de retenue. Ainsi, un enfant qui sermonne un adulte peut être qualifié d’insolent, d’impoli, de mal éduqué, …Dans une société où, un enfant ne parle pas avant l’aîné ou un enfant ne corrige pas l’adulte, ce flux de communication mis en exergue dans la littérature de jeunesse, se révèle comme un procédé de communication négatif. Apparemment, il y a une inversion des rôles. Cependant, n’est ce qui fait d’ailleurs la spécificité de la littérature de jeunesse ? Un endroit où l’enfant a la parole et où il pet s’adresser aux adultes. De nos jours, n’y a t-il pas des adultes qui ne constituent pas des exemples pour les enfants ? les rôles peuvent être parfois inversés. Ill suffit juste que ces enfants emploient le ton et la manière qu’il faut pour s’adresser aux adultes. Le Président de la transition, chef de l’État, le Capitaine Ibrahim Traoré dans un interview du 19 Janvier 2024 par les enfants, conseillais les enfants de cultiver les valeurs sociales et civiques et d’en être des porteurs même envers les adultes ; d’éviter d’imiter les adultes irresponsables. Il leur conseillait d’écouter les adultes et d’être des patriotes et d’emmener poliment les adultes qui n’ont pas par exemple les bons réflexes quand il s’agit de propreté, à abandonner les mauvaises manières et pratiques. En cela, c’est le flux communicationnel enfant adulte qui est ouvert.
Nous concluons que ce modèle de communication, valorisé par la littérature de jeunesse est donc à valider et à valoriser socialement et les enfants doivent maitriser en ce moment la situation de la communication à l’adresse des adultes.
Conclusion
Plusieurs modèles ou flux de communications admis en sociétés sont reflétés dans les œuvres littéraires pour enfants. Notons le cas ou l’adulte s’adresse à l’enfant pour des enseignements ou même d’adulte à adulte. Le qui est socialement inacceptable, c’est le cas où un enfant donne des enseignements à un adulte. Même si la tradition africaine demande souvent à l’enfant de respecter et d’écouter les adultes, il est important de valoriser aujourd’hui ce mode de communication où l’enfant peut aussi parler, conseiller et rappeler les valeurs quand il le faut. Ce dialogue ne remet pas en cause l’autorité des aînés ; il renforce au contraire la confiance, l’écoute et la compréhension entre les générations. Comme le dit le proverbe africain : « La vérité n’a pas d’âge. » En permettant à l’enfant d’exprimer sa pensée, on lui donne la place d’un véritable acteur de la vie familiale et sociale. Ce modèle mérite donc d’être encouragé, car il forme des adultes responsables, respectueux et capables d’échanger avec les autres dans un esprit ouvert et constructif. Il suffit de leur inculquer la manière de s’y prendre
Bibliographie
Hampâté Bâ, A. (1992). Amkoullel, l’enfant peul : Mémoires I (réimpression). Arles : Actes Sud.
Kafando, L. T. (1987). Dualité : Poésie pour enfants. Ouagadougou : Imprimerie Presse Africaine.
Kientéga, P. S. (2023). Des instances de communication dans l’écriture poétique de Lamoussa Théodore Kafando : Statuts et modalités. Revue DELLA/Afrique, 241–256.
Molinié, G., & Viala, A. (1993). Approches de la réception : Sémiostylistique et sociopoétique de Le Clézio. Paris : Presses Universitaires de France.
Senghor, L. S. (1964). Liberté I : Négritude et humanisme (Vol. 5, No. 13). Paris : Éditions du Seuil.
[1] Assoa Pascal N’GUESSAN, Approches Sémiostylistique de Poèmes et vents lisses de Sony Labou Tansi, une écriture de la transgression, Ethiopiques n°93, Littérature, Philosophie et Art, 2èm semestre 2014




